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Les problèmes de preuves numériques

L’introduction à une problématique juridique complexe, telle que celle relative à la collecte et à l’utilisation des preuves numériques, doit nécessairement se fonder sur des fondements solides, tant sur le plan théorique que pratique.

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À l’ère de la digitalisation croissante, les questions relatives à la protection des données personnelles et à la préservation des droits fondamentaux des individus se posent avec une acuité sans précédent. En effet, les innovations technologiques, bien que essentielles pour l’efficacité des enquêtes judiciaires et des poursuites pénales, soulèvent des interrogations quant aux limites à poser dans le cadre de la collecte de données, souvent perçues comme intrusives.

L’importance d’une telle analyse se trouve accentuée par la nécessité de concilier les impératifs de sécurité publique avec le respect des droits de l’homme, tels qu’énoncés dans des instruments juridiques internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la Convention européenne des droits de l’homme. À titre d’exemple, l’article 8 de cette dernière stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », posant ainsi un cadre juridique essentiel pour évaluer les pratiques de collecte de preuves numériques.


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Les interprétations jurisprudentielles, telles que celles fournies par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire *S. et Marper c. Royaume-Uni* (2008), illustrent les conséquences potentielles d’une collecte excessive de données, où la Cour a jugé que la conservation indéfinie des empreintes digitales et des échantillons d’ADN de personnes non condamnées constituait une violation de l’article 8 de la Convention.

D’autre part, les législations nationales, comme le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne, établissent des principes fondamentaux encadrant le traitement des données personnelles. Le RGPD impose, par exemple, le principe de minimisation des données, exigeant que la collecte soit limitée à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, illustrant ainsi le besoin d’un équilibre précaire entre les nécessités d’enquête et la protection des droits individuels.

Dans le cadre de la jurisprudence française, le Conseil constitutionnel a également rappelé, que la protection de la vie privée doit être assurée même dans le cadre de procédures judiciaires, soulignant l’importance d’une réglementation rigoureuse et d’un contrôle judiciaire exercé sur les opérations de collecte de preuves.

En outre, la question de l’admissibilité des preuves obtenues par des moyens numériques soulève des enjeux critiques. La jurisprudence des cours suprêmes, tant en France qu’à l’international, nous offre des illustrations frappantes des dilemmes rencontrés dans ce domaine. Dans l’affaire *Google France c. Louis Vuitton*, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la responsabilité des moteurs de recherche en matière de contenus protégés par le droit d’auteur, illustrant les tensions entre innovation technologique et respect des droits de propriété intellectuelle, tout en soulevant des questions sur la responsabilité des intermédiaires numériques dans la régulation des contenus en ligne. Ainsi, la présente analyse se propose d’explorer les différentes dimensions de la collecte et de l’utilisation des preuves numériques, en mettant en lumière les enjeux juridiques, éthiques et pratiques qui en découlent.

Par ailleurs, les acteurs du droit doivent naviguer entre l’impératif de la preuve et le respect des droits individuels, ce qui nécessite une analyse approfondie des implications juridiques et éthiques de l’utilisation des données numériques. Par exemple, dans l’affaire « Google Spain SL », la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur le droit à l’oubli, affirmant que les individus ont le droit de demander la suppression de leurs données personnelles sous certaines conditions, ce qui impacte directement la collecte et l’utilisation des preuves numériques. Face à ces défis, il est crucial de développer des solutions technologiques et juridiques qui garantissent la fiabilité et l’admissibilité des preuves numériques.

Il s’agira d’examiner comment les législations actuelles, tant nationales qu’internationales, répondent aux défis posés par la numérisation de la justice, tout en garantissant le respect des droits fondamentaux. Par ailleurs, nous nous intéresserons à la manière dont les acteurs juridiques, y compris les avocats, les juges et les enquêteurs, s’adaptent à ce nouvel environnement technologique, en développant des pratiques qui allient efficacité et respect des principes d’équité et de justice.

Cette réflexion se fonde sur une analyse approfondie des textes juridiques en vigueur, des décisions jurisprudentielles pertinentes, ainsi que des réflexions doctrinales contemporaines sur la question de la preuve numérique. En définitive, cette introduction vise à poser les jalons d’une étude exhaustive sur un sujet aux implications majeures pour l’avenir du droit et de la justice dans un monde de plus en plus connecté et numérisé.

I. Les Fondements des Preuves Numériques

A. Définition et importance

  1. Qu’est-ce qu’une preuve numérique

La notion de preuve numérique se définit comme toute information ou donnée qui est créée, stockée ou transmise sous forme électronique, et qui peut être utilisée dans un cadre judiciaire pour établir la véracité d’un fait ou d’un événement.

Cette définition englobe une grande variété de supports, notamment les courriers électroniques, les messages instantanés, les fichiers multimédias (images, vidéos), les données de géolocalisation, ainsi que les enregistrements de communications téléphoniques.

Dans un contexte juridique, il est essentiel de distinguer les preuves numériques des preuves traditionnelles, telles que les témoignages écrits ou les objets matériels. Alors que les preuves traditionnelles sont souvent palpables et tangibles, les preuves numériques reposent sur des systèmes technologiques, des algorithmes et des protocoles de communication qui peuvent, à la fois, faciliter et complexifier leur validité.

Par exemple, les captures d’écran de conversations sur les réseaux sociaux peuvent être considérées comme des preuves numériques, mais leur admissibilité peut être contestée en raison de la difficulté à prouver leur authenticité, ce qui soulève des questions cruciales sur les normes de preuve dans le cadre des contentieux.

L’importance des preuves numériques réside dans leur capacité à enrichir le dossier probatoire d’une affaire. Dans de nombreuses situations, elles deviennent des éléments nécessaires à la reconstitution des faits. À titre d’exemple, dans l’affaire de l’attentat de Nice en 2016, les autorités ont utilisé des images de vidéosurveillance et des données de téléphonie mobile pour établir la chronologie des événements et identifier les suspects.

Ces éléments ont joué un rôle déterminant dans l’enquête et ont permis de renforcer les charges retenues contre les inculpés. Ainsi, les preuves numériques ne se contentent pas de compléter les éléments de preuve traditionnels ; elles peuvent parfois constituer le fondement même de la décision judiciaire.

  1. Rôle dans le système juridique

Le rôle des preuves numériques dans le système juridique est devenu de plus en plus prépondérant au fur et à mesure que les sociétés se numérisent. Elles participent à toutes les étapes de la procédure judiciaire, depuis l’enquête préliminaire jusqu’au jugement final, et influencent aussi bien le droit pénal que le droit civil.

Dans le cadre du droit pénal, les preuves numériques peuvent être déterminantes pour établir la culpabilité ou l’innocence d’un accusé. Par exemple, dans l’affaire « Kerviel », où le trader Jérôme Kerviel a été accusé de fraude, les preuves numériques sous forme de courriels et de systèmes de trading ont été utilisées pour démontrer ses actions dans le cadre de la manipulation des marchés. Les juges ont dû examiner minutieusement ces preuves numériques pour établir la nature et l’intention des actes reprochés, soulignant ainsi l’importance d’une analyse rigoureuse des données numériques dans le cadre des affaires criminelles.

Au niveau civil, les preuves numériques jouent également un rôle crucial dans les litiges commerciaux, notamment dans les affaires de contrefaçon ou de concurrence déloyale. Les courriers électroniques, les messages d’entreprise et les documents numériques peuvent constituer des preuves essentielles pour établir le comportement des parties et la réalité des faits allégués.

Par exemple, dans une affaire de contrefaçon de marque, des échanges de courriels entre les parties peuvent révéler des intentions malveillantes ou des tentatives de dissimulation, influençant ainsi la décision du tribunal

En outre, les preuves numériques doivent respecter des normes d’admissibilité qui garantissent leur intégrité et leur authenticité. Ces normes sont souvent définies par des textes législatifs et des décisions de jurisprudence. Par exemple, le Code de procédure pénale français prévoit des dispositions concernant la conservation et la présentation des preuves numériques, stipulant que ces dernières doivent être obtenues dans le respect des droits fondamentaux et des procédures établies.

L’affaire « Boulanger » a illustré cette exigence, où la cour a invalidé certaines preuves numériques en raison de leur collecte non conforme aux droits des individus, affirmant ainsi la nécessité d’un équilibre entre l’efficacité de la justice et le respect des droits des justiciables

Les preuves numériques, par leur nature et leur diversité, occupent une place essentielle dans le système juridique contemporain.

B. Types de preuves numériques

  1. Emails et messages

Les emails et les messages instantanés constituent l’une des formes les plus courantes de preuves numériques. Ils sont souvent utilisés dans des contextes variés, allant des affaires commerciales aux litiges personnels. En matière de droit civil et commercial, les échanges par emails peuvent prouver des accords, des promesses ou des notifications. Par exemple, dans une affaire de rupture de contrat, un email confirmant l’acceptation d’une offre peut être utilisé comme preuve pour établir la volonté des parties.

Dans le cadre des affaires pénales, les messages peuvent également être cruciaux. L’affaire « Martin » a démontré l’importance des messages électroniques dans une enquête criminelle, où des échanges entre le suspect et un complice ont été utilisés pour établir un complot. Cependant, l’admissibilité de ces preuves dépend de leur authentification et de leur intégrité, ce qui peut poser des défis, notamment en cas de falsification ou de modification des messages

  1. Données de localisation

Les données de localisation, récupérées par des appareils mobiles ou des systèmes GPS, jouent un rôle fondamental dans les enquêtes criminelles et civiles. Elles permettent d’établir la présence ou l’absence d’une personne à un endroit donné à un moment précis. Par exemple, dans une affaire de vol, les données de localisation d’un téléphone portable peuvent prouver que le suspect se trouvait sur les lieux du crime au moment des faits, renforçant ainsi le dossier de l’accusation. Cependant, l’utilisation de ces données soulève des questions de vie privée et de consentement, notamment en vertu du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe.

Les tribunaux doivent donc non seulement évaluer la pertinence des données de localisation, mais aussi s’assurer qu’elles ont été obtenues légalement, comme l’illustre l’affaire « C-746/18 », où la Cour de Justice de l’Union Européenne a statué sur la nécessité de respecter les droits des individus lors de la collecte de telles informations.

  1. Images et vidéos (capturées par des smartphones ou caméras de surveillance)

Les images et vidéos constituent des preuves visuelles puissantes dans le cadre des procédures judiciaires. Les enregistrements provenant de caméras de surveillance peuvent fournir des témoignages visuels d’événements, comme dans le cas de la célèbre affaire « Dreyfus », où des images ont été utilisées pour établir des faits cruciaux.

De même, les vidéos capturées par des smartphones lors de manifestations ou d’incidents peuvent être utilisées pour corroborer ou contredire des témoignages Cependant, l’admissibilité de telles preuves dépend de plusieurs critères, notamment l’authenticité et la chaîne de conservation.

Les juges doivent s’assurer que les images n’ont pas été altérées et qu’elles proviennent de sources fiables. L’affaire « García » a illustré ce point, où des vidéos présentées comme preuves ont été écartées en raison de doutes sur leur provenance et leur intégrité

  1. Logs de connexion et historiques de navigation

Les logs de connexion et les historiques de navigation sont des éléments de preuve essentiels dans les affaires liées aux cybercrimes ou aux infractions sur Internet. Ils peuvent révéler des informations sur les comportements en ligne d’un individu, ses connexions à des sites web, ou les services qu’il a utilisés. Par exemple, dans une affaire de fraude en ligne, les logs de connexion peuvent démontrer que le suspect a accédé à un compte bancaire à des moments critiques, établissant ainsi un lien entre l’accusé et l’infraction.

Les tribunaux doivent toutefois être prudents lors de l’évaluation de ces preuves, car elles peuvent être soumises à des interprétations diverses. De plus, la protection des données personnelles impose des contraintes sur la manière dont ces informations peuvent être collectées et utilisées, comme le montre l’affaire « Google Spain SL », où la Cour de Justice de l’Union Européenne a statué sur le droit à l’oubli, affectant ainsi la conservation des historiques de navigation.

  1. Données provenant des réseaux sociaux (publications, commentaires)

Les publications sur les réseaux sociaux peuvent être utilisées pour démontrer des déclarations diffamatoires ou pour contredire les affirmations d’une partie. Dans l’affaire « M. X contre Y », les commentaires publiés sur un réseau social ont joué un rôle clé dans la détermination de la véracité des accusations portées contre la partie défenderesse.

Les juges ont pris en compte le contexte et la nature des commentaires pour établir si ceux-ci constituaient réellement une diffamation ou s’ils étaient protégés par la liberté d’expression. Les données des réseaux sociaux soulèvent également des questions de confidentialité et de consentement, notamment en ce qui concerne le droit à l’image et à la vie privée. Par conséquent, les tribunaux doivent évaluer si les données ont été collectées légalement et si les droits des individus ont été respectés, comme le montre l’affaire « NT1 » en France, où la cour a dû trancher sur la légitimité de l’utilisation des données d’un compte de réseau social dans le cadre d’un litige.

  1. Fichiers numériques (documents, présentations, feuilles de calcul)

Les fichiers numériques, comprenant des documents, des présentations et des feuilles de calcul, représentent un autre type de preuve numérique essentiel. Dans un contexte commercial, ces fichiers peuvent être utilisés pour prouver des transactions, des accords ou des engagements. Par exemple, un contrat signé numériquement peut être présenté comme preuve d’une obligation légale en cas de litige entre les parties.

Le cas « Société A contre Société B » illustre bien ce point, où la cour a reconnu la validité d’un contrat électronique en raison de l’existence de preuves numériques corroborant la signature. Dans le domaine pénal, les fichiers numériques peuvent également jouer un rôle crucial. Des documents trouvés sur l’ordinateur d’un suspect peuvent établir des liens entre la personne et une activité criminelle, comme dans l’affaire « Leroy », où des fichiers contenant des informations sur des activités illégales ont été présentés comme preuves lors du procès. Toutefois, tout comme pour les autres types de preuves numériques, l’authenticité et la provenance des fichiers doivent être vérifiées.

Les tribunaux doivent s’assurer que ces documents n’ont pas été falsifiés et que leur intégrité a été préservée tout au long de la chaîne de possession.

Les preuves numériques jouent un rôle prépondérant dans le paysage juridique contemporain. Leur utilisation croissante répond à l’évolution des technologies et des modes de communication, mais elle pose également des défis en matière de protection des droits individuels et de respect des lois sur la vie privée. Dans chaque type de preuve numérique, il est essentiel de garantir l’authenticité, l’intégrité et la légalité de la collecte des données.

Les tribunaux doivent naviguer avec prudence dans ce domaine en constante évolution, en tenant compte des implications éthiques et juridiques associées à l’utilisation des preuves numériques dans les procédures judiciaires.

La jurisprudence continue d’évoluer pour s’adapter à ces nouvelles réalités, et les praticiens du droit doivent rester informés des développements en matière de législation et de technologie pour garantir une application juste et appropriée des lois.

II. Défis et solutions liés aux preuves numériques

A. Problèmes d’authenticité et de conservation

  1. Risques de falsification

La falsification des preuves numériques constitue un défi majeur dans le domaine juridique. Avec l’avancement des technologies de traitement de l’information, il est devenu de plus en plus facile de manipuler, d’altérer ou de créer des documents et des fichiers numériques de toute pièce.

Ce phénomène soulève des préoccupations quant à l’authenticité des preuves présentées devant les tribunaux, car la véracité de ces éléments peut être mise en doute, compromettant ainsi l’intégrité des procédures judiciaires. La falsification peut prendre plusieurs formes, telles que la modification de dates et d’heures sur des emails, l’altération de contenus de fichiers ou même la création de faux enregistrements vidéo et audio. Par exemple, dans l’affaire « Société C contre Société D », un document numérique crucial, prétendument signé électroniquement par un représentant de la société défenderesse, a été contesté sur la base de preuves techniques démontrant que la signature avait été falsifiée.

L’examen d’experts en informatique légale a révélé que le fichier avait été modifié après sa création, ce qui a conduit la cour à rejeter ce document comme preuve. Les conséquences de la falsification peuvent être graves, non seulement pour la partie qui en est victime, mais également pour l’intégrité du système judiciaire dans son ensemble.

Les tribunaux doivent donc mettre en place des mécanismes rigoureux pour authentifier les preuves numériques. Cela peut inclure l’utilisation de technologies telles que la cryptographie, qui permet de garantir l’intégrité des données, ainsi que des méthodes d’authentification des signatures électroniques. L’affaire « C-162/16 » de la Cour de justice de l’Union européenne a également souligné l’importance de l’authenticité des signatures électroniques dans les transactions commerciales, en précisant que les systèmes d’authentification doivent être suffisamment robustes pour prévenir la falsification.

  1. Importance de la chaîne de conservation

La chaîne de conservation, ou « chain of custody », est un concept fondamental dans le cadre de l’acceptation des preuves numériques en justice. Elle désigne l’ensemble des procédures et des protocoles mis en place pour garantir l’intégrité et l’authenticité des preuves numériques tout au long de leur traitement, depuis leur collecte jusqu’à leur présentation devant un tribunal.

Une chaîne de conservation bien établie permet de prouver que les éléments de preuve n’ont pas été altérés, falsifiés ou manipulés de quelque manière que ce soit. La chaîne de conservation doit inclure des enregistrements détaillés de chaque étape du processus, tels que la collecte initiale des preuves, leur stockage, les personnes ayant eu accès aux preuves, ainsi que les analyses effectuées.

Par exemple, dans une affaire pénale portant sur des cybercrimes, un enquêteur a collecté des données à partir d’un ordinateur suspect. Pour garantir la validité des preuves, il a utilisé un logiciel d’imagerie disque qui a créé une copie exacte des données, tout en préservant l’original dans un environnement sécurisé. Chaque étape a été documentée, et les enregistrements ont été présentés au tribunal pour établir la chaîne de conservation.

L’importance de la chaîne de conservation a été mise en avant dans l’affaire « R v. McDonald », où la cour a rejeté des preuves numériques en raison d’un manque de documentation sur la manière dont les données avaient été collectées et manipulées. La cour a souligné que l’absence de preuve de la chaîne de conservation remettait en question la fiabilité des données présentées.

Pour renforcer la chaîne de conservation, les juridictions peuvent adopter des normes et des protocoles clairs, tels que ceux énoncés dans le Guide de l’Association internationale des enquêteurs en criminalistique (IAI) ou les recommandations de l’Organisation internationale de normalisation (ISO).

Ces directives peuvent aider les enquêteurs à établir des pratiques de collecte et de gestion des preuves numériques qui minimisent les risques de contestation lors des procédures judiciaires

Les défis liés à l’authenticité et à la conservation des preuves numériques exigent une attention particulière de la part des praticiens du droit et des enquêteurs.

La falsification des preuves peut compromettre l’intégrité des procédures judiciaires, tandis qu’une chaîne de conservation rigoureuse est essentielle pour garantir la validité des éléments présentés devant le tribunal. La mise en œuvre de technologies appropriées et de protocoles clairs peut contribuer à atténuer ces risques et à renforcer la confiance dans les preuves numériques au sein du système judiciaire.

B. Protection des données personnelles

  1. Enjeux de la vie privée

La protection des données personnelles est devenue une préoccupation centrale à l’ère numérique, particulièrement dans le contexte de la collecte, du stockage et de l’utilisation des preuves numériques.

L’explosion des technologies de l’information et de la communication a entraîné une accumulation massive de données, qui peuvent inclure des informations sensibles sur les individus, telles que leurs opinions, comportements, et interactions sociales.

Dans ce cadre, les enjeux de la vie privée surgissent de manière pressante, à la fois pour les citoyens et pour les institutions judiciaires.

L’un des principaux enjeux réside dans la nécessité d’équilibrer l’intérêt de la justice à obtenir des preuves pertinentes et la protection des droits fondamentaux des individus, notamment le droit à la vie privée, tel qu’énoncé dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par exemple, dans l’affaire « S. et Marper c. Royaume-Uni », la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la conservation indéfinie d’échantillons ADN de personnes innocentes constituait une violation du droit à la vie privée, soulignant l’importance de respecter les principes de proportionnalité et de nécessité dans la collecte de données.

Un autre enjeu majeur réside dans les risques d’abus liés à la surveillance numérique. Les autorités judiciaires et policières peuvent être tentées d’utiliser des données personnelles dans des enquêtes sans respecter les garanties nécessaires.

Par exemple, l’affaire « Google Spain SL v. Agencia Española de Protección de Datos » a mis en lumière la responsabilité des moteurs de recherche dans le traitement des données personnelles, en établissant que les individus ont le droit de demander la suppression de liens vers des informations les concernant, lorsque ces informations sont inexactes ou obsolètes.

En outre, la réglementation sur la protection des données personnelles, telle que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe, impose des obligations strictes en matière de transparence, de consentement et de sécurité des données.

Les organismes qui collectent et traitent des données personnelles doivent s’assurer que ces pratiques respectent les droits des individus, ce qui complique souvent les enquêtes judiciaires et la collecte de preuves numériques. Les institutions judiciaires doivent donc naviguer avec prudence pour éviter les violations potentielles de la vie privée tout en cherchant à garantir la justice.

  1. Solutions pour renforcer la fiabilité

L’amélioration de la fiabilité des preuves numériques tout en veillant à la protection des données personnelles nécessite une approche systématique et méthodique. Voici un développement en plusieurs points

  1. a) Collecte minimisée et ciblée des données

Il est essentiel d’adopter une approche de collecte de données qui se limite aux informations strictement nécessaires à l’enquête. Cela implique une évaluation rigoureuse des données à collecter en fonction de leur pertinence pour l’affaire en cours. Par exemple, dans une enquête criminelle, il serait judicieux de ne recueillir que les communications et les documents directement liés aux faits reprochés, évitant ainsi la collecte de données superflues sur la vie personnelle des individus concernés

  1. b) Consentement éclairé

Le principe du consentement éclairé doit être respecté dans toutes les situations où la collecte de données personnelles est envisagée. Les individus doivent être informés de manière claire et compréhensible sur la finalité de la collecte de leurs données et sur la manière dont elles seront utilisées. Par exemple, lors de la collecte de témoignages en ligne, il est crucial d’obtenir le consentement explicite des témoins pour l’utilisation de leurs déclarations dans un cadre judiciaire

  1. c) Chiffrement des données

L’utilisation de technologies de chiffrement permet de protéger les données sensibles durant leur transmission et leur stockage. Le chiffrement garantit que seules les personnes autorisées peuvent accéder aux informations. Par exemple, les preuves numériques recueillies par la police doivent être chiffrées pour prévenir tout accès non autorisé avant leur présentation devant un tribunal

  1. d) Anonymisation des données

Consiste à retirer ou à modifier les informations permettant d’identifier un individu. Cela est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de traiter des données provenant de bases de données ou de systèmes de surveillance. En anonymisant les données, les enquêteurs peuvent analyser des tendances ou des comportements sans compromettre la vie privée des individus. Par exemple, les données relatives à des comportements d’achat en ligne peuvent être analysées sans révéler l’identité des acheteurs

  1. e) Protocoles de sécurité renforcés

La mise en place de protocoles de sécurité rigoureux pour la gestion des données est essentielle. Cela inclut des mesures telles que l’accès restreint aux données, l’utilisation de mots de passe forts, et des audits réguliers des systèmes de sécurité. Par exemple, les serveurs contenant des preuves numériques devraient être protégés par des systèmes de sécurité avancés pour éviter toute fuite ou piratage

  1. f) Formation continue des professionnels

Il est crucial de fournir une formation continue aux professionnels du droit, aux enquêteurs et aux agents de la force publique concernant les lois sur la protection des données et les techniques de collecte de preuves. Cette formation doit inclure des ateliers sur le RGPD, les droits des victimes et des témoins, ainsi que sur les meilleures pratiques en matière de collecte et de traitement des données. En formant ces acteurs, on garantit une meilleure conformité aux normes de protection des données

  1. g) Mécanismes de contrôle et de supervision

L’instauration de mécanismes de contrôle indépendants est nécessaire pour superviser la collecte et l’utilisation des preuves numériques. Des commissions ou des organismes de contrôle devraient être établis pour vérifier que les pratiques des autorités respectent les lois sur la protection des données. Par exemple, ces organes pourraient effectuer des audits réguliers et rendre des comptes au public sur l’utilisation des données personnelles par les forces de l’ordre

  1. h) Transparence et responsabilité

Les institutions judiciaires doivent s’engager à maintenir un haut niveau de transparence concernant leurs pratiques de collecte de données. Cela inclut la publication de rapports sur l’utilisation des données personnelles et les mesures prises pour protéger la vie privée des individus. En étant transparent, les autorités renforcent la confiance du public et montrent leur engagement envers la protection des droits fondamentaux

  1. i) Recours et réparation des violations

Il est essentiel de prévoir des mécanismes de recours pour les individus dont les données personnelles ont été collectées ou utilisées de manière abusive. Cela comprend la possibilité de porter plainte et d’obtenir des réparations en cas de violations des droits relatifs à la vie privée. Par exemple, un cadre légal clair sur les recours disponibles pour les victimes d’atteintes à la vie privée peut dissuader les abus et garantir que les droits des individus sont respectés

  1. j) Collaboration internationale

Avec la nature mondiale des données numériques, la collaboration internationale entre les États et les organismes de protection des données est impérative. Établir des accords internationaux sur la protection des données peut aider à harmoniser les lois et à faciliter la coopération dans les enquêtes transnationales,

  1. k) Utilisation de technologies avancées pour la détection des abus

L’implémentation de technologies d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique peut aider à identifier des modèles d’utilisation abusive des données. Ces outils peuvent analyser les comportements suspects et alerter les autorités avant qu’une violation ne se produise. Par exemple, des systèmes de surveillance peuvent être configurés pour détecter des accès non autorisés ou des manipulations de données

  1. l) Évaluation d’impact sur la protection des données (EIPD)

Avant de lancer un projet impliquant la collecte de données personnelles, il est important de réaliser une évaluation d’impact sur la protection des données. Cela permet d’identifier les risques potentiels pour la vie privée et de mettre en place des mesures pour les atténuer. Par exemple, lors de l’implémentation d’un nouveau système de surveillance, une EIPD peut aider à déterminer si les mesures de sécurité sont adéquates

  1. m) Engagement des parties prenantes

Impliquer les parties prenantes, y compris des représentants de la société civile, des experts en protection des données et des utilisateurs, dans le développement des politiques de collecte et de traitement des preuves numériques est crucial. Cela permet de s’assurer que les préoccupations des citoyens sont prises en compte et que les pratiques sont alignées sur les attentes du public

  1. n) Promotion de la culture de la protection des données

Il est essentiel de promouvoir une culture de respect de la vie privée au sein des institutions judiciaires et des forces de l’ordre. Cela peut se faire par des campagnes de sensibilisation, des formations et des initiatives visant à intégrer la protection des données dans toutes les pratiques professionnelles

  1. o) Établissement de normes éthiques

Développer des normes éthiques claires pour la collecte et l’utilisation des preuves numériques est fondamental. Ces normes devraient guider les professionnels du droit et les enquêteurs dans leurs actions, en veillant à ce que la dignité et les droits des individus soient respectés tout au long du processus

  1. p) Mise en œuvre de mécanismes de feedback

Instaurer des mécanismes de retour d’expérience où les acteurs impliqués dans la collecte et l’analyse des preuves numériques peuvent partager leurs préoccupations et suggestions. Cela peut contribuer à l’amélioration continue des pratiques et à l’adaptation des politiques aux enjeux émergents

  1. q) Suivi et évaluation des pratiques

Mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation réguliers des pratiques de collecte de données permet de s’assurer qu’elles restent conformes aux lois et aux normes en vigueur. Cela peut inclure des revues annuelles et des rapports sur l’efficacité des mesures de protection des données

  1. r) Utilisation de données agrégées

Lorsque cela est possible, privilégier l’utilisation de données agrégées plutôt que de données individuelles permet de réduire les risques pour la vie privée. Par exemple, en analysant des tendances à partir de données regroupées, les enquêteurs peuvent obtenir des informations précieuses sans compromettre les informations personnelles des individus

  1. s) Sensibilisation du public sur les droits en matière de données

Informer le public sur ses droits en matière de protection des données et sur les recours disponibles en cas de violation est essentiel. Cela renforce l’autonomisation des citoyens et leur capacité à défendre leur vie privée

  1. t) Mise en place de sanctions dissuasives

Établir des sanctions claires et dissuasives pour les violations des lois sur la protection des données peut contribuer à prévenir les abus. Les organismes responsables doivent être en mesure d’appliquer des mesures punitives pour assurer le respect des normes établies

  1. u) Innovation constante

Encourager l’innovation dans les méthodes de collecte et d’analyse des preuves numériques, tout en garantissant que ces innovations respectent les normes éthiques et les lois sur la protection des données. Cela permet de trouver des solutions efficaces tout en préservant les droits des individus

  1. v) Dialogue continu avec les experts en protection des données

Maintenir un dialogue régulier avec des experts en protection des données, des juristes et des techniciens peut aider à anticiper les défis futurs et à adapter les pratiques en conséquence. Cette collaboration peut fournir des conseils précieux sur les évolutions législatives et technologiques Ces points, pris ensemble, constituent un cadre complet visant à renforcer la fiabilité des preuves numériques tout en protégeant les données personnelles, garantissant ainsi une approche équilibrée entre justice et respect des droits fondamentaux.

Pour lire une version plus complète de cet article sur les preuves numériques, cliquez

Sources :

  1. EUR-Lex – 62012CJ0131 – EN – EUR-Lex
  2. Kerviel, l’affaire devenue une série | Les Echos
  3. CURIA – Documents
  4. Affaire Dreyfus, un scandale d’État sous la IIIe République : un podcast à écouter en ligne | France Inter
  5. CURIA – Documents
  6. EUR-Lex – 62012CJ0131 – FR – EUR-Lex

Le droit de la preuve peut autoriser la présentation d’information qui sont normalement soumises à la protection du secret des affaires.

Dans un contexte économique mondial où la concurrence est de plus en plus féroce, la question de la protection des informations sensibles au sein des entreprises prend une importance cruciale. En effet, le secret des affaires joue un rôle fondamental pour préserver des atouts stratégiques, tels que des savoir-faire, des procédés de fabrication ou des données clients, qui, s’ils venaient à être divulgués, pourraient gravement compromettre la position d’une entreprise sur le marché.

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Cependant, cette nécessité de protection peut parfois se heurter à un autre principe tout aussi essentiel : le droit à la preuve, qui est au cœur des procédures judiciaires et du respect du procès équitable.

L’équilibre entre ces deux impératifs – la préservation du secret des affaires et le droit à la preuve – constitue un enjeu juridique majeur, particulièrement dans le cadre des litiges commerciaux. La jurisprudence contemporaine, notamment l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 février 2025 (pourvoi n° 23-10.953), vient éclairer les conditions dans lesquelles le droit à la preuve peut permettre la levée du secret des affaires. L’article L. 151-8, 3° du Code de commerce établit que le secret des affaires ne peut être opposé lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation de ces informations est justifiée par un intérêt légitime reconnu par la loi, qu’elle soit nationale ou européenne. Cette disposition souligne que, dans certaines circonstances, la nécessité de produire une preuve peut prévaloir sur la protection du secret, mais cela doit être soigneusement encadré.


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Cette tension entre la protection des informations confidentielles et le droit de chaque partie à faire valoir ses arguments devant un tribunal appelle à une analyse rigoureuse. Les juges sont appelés à examiner si la production d’une pièce protégée par le secret des affaires est réellement indispensable pour établir les faits allégués, comme dans les cas de concurrence déloyale, par exemple. Il incombe également aux juridictions d’évaluer si l’atteinte au secret est proportionnée à l’objectif poursuivi. Cette approche exige une attention minutieuse aux spécificités de chaque affaire, et il est essentiel de se rappeler que la simple nécessité de produire une preuve ne saurait justifier, à elle seule, la levée du secret des affaires. Les implications de cette problématique sont vastes et nécessitent une réflexion approfondie.

D’une part, les entreprises doivent naviguer entre leur besoin légitime de protéger leurs informations sensibles et leur obligation de se conformer aux procédures judiciaires.

D’autre part, les magistrats doivent veiller à rendre des décisions justes en respectant les droits des parties impliquées, tout en préservant l’intégrité du système judiciaire. Ce processus de mise en balance entre le droit à la preuve et la protection du secret des affaires s’avère complexe, mais il est indispensable pour garantir la transparence et la justice dans le cadre des litiges commerciaux. Dans cet article, nous nous attacherons à analyser plus en profondeur les implications de l’arrêt de la Cour de cassation précité, en considérant les conditions dans lesquelles le droit à la preuve peut justifier la levée du secret des affaires.

I. Fondements Historiques et Philosophiques

A. Genèse du Secret des Affaires : De l’Artisanat Médiéval à l’Industrie

  1. Les Corporations Médiévales

Les statuts des guildes, comme ceux des drapiers de Paris en 1268, imposaient le secret sous peine d’exclusion. Le savoir-faire, appelé « mystery » en anglais, était transmis oralement pour éviter la divulgation. Par exemple, les verriers de Murano à Venise, confinés sur une île au XVe siècle pour protéger leurs techniques, illustrent l’ancêtre du secret industriel.

  1. L’Ère Industrielle et la Naissance des Brevets

Le Statute of Monopolies anglais de 1623 marque un tournant en reconnaissant les brevets tout en laissant le secret comme alternative pour les innovations non brevetables. Un cas emblématique est celui de la recette secrète du Coca-Cola, jamais brevetée pour éviter la divulgation, et qui reste protégée depuis 137 ans.

  1. L’Influence des Révolutions Technologiques

Au XXe siècle, les procès sur les secrets industriels, comme celui de DuPont contre Rolfe Christopher en 1970 concernant la photographie aérienne d’usines, posent les bases du droit moderne.

B. Le Droit à la Preuve : Une Garantie de l’Équité Processuelle

  1. Des Origines Romaines à la CEDH

Le principe « actori incumbit probatio », issu du droit romain, structure les systèmes juridiques occidentaux. La CEDH, dans l’affaire Dombo Beheer contre Pays-Bas en 1993, érige le droit à la preuve en composante du procès équitable.

  1. La Philosophie sous-jacente

Pour Jürgen Habermas, dans sa « Théorie de l’agir communicationnel », la transparence judiciaire est un pilier de la démocratie délibérative. À l’inverse, Friedrich Hayek, dans « Droit, Législation et Liberté », souligne les risques d’une intrusion excessive de l’État dans les affaires privées.

II. Cadre Juridique Actuel : Droit Comparé et Harmonisation

A. Le Modèle Français : Un Équilibre Téléologique

  1. L’Article L. 151-8 du Code de Commerce

L’article L. 151-8 du Code de commerce dispose que le secret des affaires n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est nécessaire pour exercer un droit à réparation ou protéger un intérêt légitime.

  • La Cour de cassation, dans son arrêt du 5 février 2025 a partiellement annulé un arrêt de la cour d’appel de Paris dans un litige opposant des franchisés de pizzas. La Cour a confirmé que le guide d’évaluation des points de vente de Domino’s Pizza, marqué « confidentiel », était protégé par le secret des affaires, mais a cassé la condamnation à 30 000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral, estimant que la cour d’appel n’avait pas vérifié si la production de la pièce était strictement proportionnée et indispensable à la défense d’un intérêt légitime. (1)
  • L’arrêt du 23 novembre 2022 de la cour d’appel de Paris concerne une affaire de concurrence déloyale entre la société Agora, franchisée de Speed Rabbit Pizza, et la société Domino’s Pizza France. Agora a reproché à Domino’s et à sa filiale DPFC des pratiques déloyales, tandis que Domino’s a demandé des dommages et intérêts pour violation de son secret des affaires. La cour a jugé que le guide d’évaluation des points de vente, produit par Domino’s, était protégé par le secret des affaires. Cependant, elle a également condamné Agora et SRP à verser 30 000 euros à Domino’s pour préjudice moral. La Cour de cassation a ensuite annulé cette condamnation, estimant que la cour d’appel n’avait pas suffisamment examiné si la production du document était justifiée par un intérêt légitime et si l’atteinte au secret des affaires était proportionnée.
  1. Les Mesures Protectrices Innovantes

Des mesures comme les « Confidentiality Clubs », inspirés du droit anglo-saxon, permettent de limiter l’accès aux informations sensibles à un nombre restreint de personnes, comme dans l’affaire Safran contre Airbus. Les ordonnances de scellement, utilisées dans les litiges spatiaux comme Thales contre SpaceX, protègent les données après l’audience.

B. Le Modèle Américain : Primauté du Trade Secret Act

  1. Le Defend Trade Secrets Act (DTSA, 2016) Le DTSA permet des saisies ex parte de preuves en cas de risque de destruction. Un cas célèbre est celui de Waymo contre Uber en 2017, où des secrets sur les voitures autonomes ont été volés, résolu par un accord de 245 millions de dollars.

  2. La Doctrine du Inevitable Disclosure

Cette doctrine empêche un employé de rejoindre un concurrent si son savoir-faire rend la divulgation inévitable, comme dans l’affaire IBM contre Papermaster en 2008.

C. Le Modèle Allemand : Rigueur Procédurale

  1. Le Gesetz zum Schutz von Geschäftsgeheimnissen (2019) Cette loi exige une motivation détaillée des juges sur la nécessité de la divulgation. Par exemple, la BGH en 2024 a refusé de divulguer un procédé chimique, jugé non indispensable à la preuve d’une contrefaço
  2. D. Le Modèle Japonais : Approche Consensuelle

  3. Les Confidentiality Arbitrations Au lieu d’un procès public, les parties optent pour un arbitrage confidentiel, comme dans le litige Sony contre Panasonic sur les batteries lithium-ion en 2023.

 

III. Études de Cas Approfondies : Stratégies et Enseignements

A. Affaire Volkswagen c. Greenpeace

Dans cette affaire, Greenpeace a demandé l’accès à des rapports internes sur les émissions de CO2, invoquant l’intérêt public environnemental. La CJUE a autorisé la divulgation partielle, sous anonymisation des données techniques critiques, créant un précédent sur la supériorité de l’intérêt public en matière climatique.

B. Affaire Meta c. France

La France a ordonné à Meta de divulguer des algorithmes publicitaires suspectés de discrimination. La CEDH a validé la demande, estimant que la lutte contre les discriminations justifie une atteinte proportionnée. Les algorithmes ont été communiqués sous forme agrégée, sans révéler le code source.

D. Affaire Tesla c. Rivian

Dans cette affaire, Tesla a accusé Rivian de vol de secrets sur les batteries par d’anciens employés. Le tribunal a ordonné une forensic audit des serveurs de Rivian, sous supervision d’un tiers neutre, et a condamné Rivian à 1,2 milliard de dollars pour dommages punitifs.

IV. Défis Contemporains : Technologies et Globalisation

A. L’Intelligence Artificielle : Nouvelle Frontière du Secret

  1. Les Algorithmes Opaques

Les réseaux de neurones profonds sont par nature incompréhensibles. Dans l’affaire HealthAI contre MedTech, le juge a imposé une explicabilité partielle sans divulguer l’algorithme.

  1. L’Apprentissage Fédéré

Les données restent décentralisées, mais les modèles d’IA sont partagés. Dans l’affaire Google Health contre Mayo Clinic, un accord a été trouvé sur des modèles chiffrés accessibles uniquement via une API sécurisée.

B. La Blockchain : Transparence Irréversible vs. Confidentialité

  1. Les Smart Contracts

Un contrat automatisé sur blockchain Ethereum a révélé involontairement des clauses secrètes. Dans l’affaire CodeLaw contre ChainSecure, la divulgation accidentelle a entraîné la perte de protection.

  1. Les NFTs et la Propriété Intellectuelle

Un NFT inclut des éléments protégés par le secret, posant des problèmes de traçabilité et de responsabilité.

C. Le Métavers : Espace Virtuel, Enjeux Réels

  1. Vol de Secrets dans les Espaces Virtuels

Un avatar a espionné une réunion confidentielle dans le métavers MetaWorld, soulevant des questions sur la qualification du vol.

  1. Preuve Électronique et Authenticité

Il est essentiel de garantir l’intégrité des preuves issues du métavers, par exemple en utilisant des timbres blockchain.

V. Perspectives Doctrinales et Réformes

A. Débats Théoriques

  1. École Économique (Posner, Easterbrook)

Le secret doit être protégé comme un bien rival, car sa divulgation réduit sa valeur. Cependant, cette approche peut nuire à l’innovation cumulative, comme dans le cas des logiciels open-source.

  1. École Sociétale (Delmas-Marty, Supiot)

La transparence est un bien commun, et les exceptions au secret doivent être élargies, notamment dans les secteurs stratégiques comme le climat et la santé. Une proposition est de créer un droit à l’audit pour les ONG.

B. Projets de Réforme

  1. Un Registre Mondial des Secrets

Inspiré de l’OMPI, ce registre permettrait une déclaration encadrée sans divulgation, bien qu’il présente des risques de piratage et de centralisation des données sensibles.

  1. Des Cours Spécialisées en Propriété Immatérielle

Sur le modèle de l’Unified Patent Court européen, une juridiction dédiée aux secrets et preuves pourrait être créée.

  1. Législation sur l’IA Explicable

Il est proposé d’imposer des standards d’explicabilité, comme la norme ISO/IEC 24027, pour concilier transparence et protection.

Le droit à la preuve et le secret des affaires ne sont pas des antipodes, mais les deux faces d’une même médaille : celle d’un droit en constante adaptation aux défis de son temps. Les récentes évolutions jurisprudentielles, technologiques et géopolitiques appellent à une refondation équilibrée des principes, où la nécessité et la proportionnalité restent les boussoles du juge. Les innovations procédurales, comme les confidentiality clubs et les audits numériques, pallient les rigidités traditionnelles, tandis que la coopération internationale atténue les conflits de souveraineté. À l’aube de la décennie 2030, le droit est confronté à un impératif : protéger les secrets sans sacrifier la vérité, et garantir la preuve sans étouffer l’innovation. Comme l’écrivait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » – une maxime qui guide plus que jamais cet équilibre délicat.

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Sources :

Différence entre injure, diffamation et cyberharcélement

L’ensemble des infractions pénales commises sur la toile sont généralement des infractions déjà réprimées par les articles du Code pénal dont l’application a été étendue à la cybercriminalité. Tel est le cas des infractions de presse telles que l’injure et la diffamation réprimées par la loi de presse du 29 juillet 1881.

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Toutefois, un délit général de cyberharcélement a été créé par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes  et qui incrimine « le fait, par tout moyen, de soumettre une personne à des humiliations ou à des intimidations répétées, ou de porter atteinte de façon répétée à sa vie privée » par le biais de « nouvelles technologies de communication et d’information » et prévoit plusieurs circonstances aggravantes.

Dans un arrêt en date du 5 septembre 2023, la chambre criminelle a jugé que lorsque l’auteur de propos diffamatoires estime qu’il est de bonne foi, le juge doit rechercher si les propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante. Ce n’est qu’après vérification de ces conditions qu’il peut décider d’apprécier moins strictement les critères de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence et mesure dans l’expression. (8)

Ce délit de cyberharcèlement (I) peut être assimilé légitimement aux délits de diffamation ou d’injures (II) parfois difficiles à distinguer.

I- Le cyberharcèlement :

A- les victimes de cyberharcèlement :

Toute personne, peu importe son sexe ou son âge, peut se retrouver victime de cyberharcèlement. Ce danger répandu sur internet ne se limite pas aux réseaux sociaux. Ce phénomène touche également les forums, chats, courriers électroniques, mais aussi les jeux ce qui étend le cercle des victimes.

Ce qui caractérise le cyberharcèlement, c’est la répétition. Ces victimes se retrouvent tout comme en matière de harcèlement confrontées presque quotidiennement à ces faits, mais ce type d’harcèlement est, dans la majorité des cas, totalement anonyme. Les victimes ne peuvent pas mettre de nom ni de visage sur le malfaiteur et ce dernier peut continuer ses agissements en toute impunité. Et parfois, quand bien même l’harcèlement prend fin, les actes peuvent demeurer en ligne. Pourtant, il existe bien une répression à ces agissements qui, selon l’article 222-33-2-2 du code pénal, est de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (1).


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Le but du cyberviolent est l’humiliation, l’intimidation de la victime. Pour atteindre son but, le cyberharceleur peut procéder par divers moyens.

La loi du 21 mai 2024 (LOI n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique) visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique a notamment pour objectif d’améliorer la cybersécurité. Une peine de bannissement des réseaux pour les cyberharcèlements a été institué à cet effet ainsi qu’un filtre de cybersécurité anti-arnaque à destination du grand public. (9)

B- les différentes formes de cyberharcèlement :

Les cyberharceleurs ne manquent pas de moyens pour atteindre leur but et ainsi provoquer une angoisse chez la victime tout en portant atteinte à son bien-être.

Il y a d’abord la pratique du « Flaming » qui consiste à intimider la victime via de brefs messages d’insultes, de moqueries ou encore de menaces. Cette pratique est très répondue sur les réseaux sociaux par le biais de la messagerie instantanée permettant ainsi le partage de ces intimidations entre plusieurs personnes.

Ensuite, la « Dénigration » consiste en une propagation de rumeurs afin de nuire à la réputation de la personne et en faire une «Persona non grata ». Cela peut se produire aussi par plusieurs messages incitant à la haine via un groupe ou une page sur les réseaux sociaux.

Existe aussi ce qu’on appelle le « Happy slapping » qui consiste à filmer l’agression, l’humiliation ou encore l’abus sexuel infligé à une victime déterminée puis partager la vidéo via la toile. Cette liste n’est pas exhaustive, il existe d’autres formes de cyberharcèlement comme la publication d’une photo ou d’une vidéo montrant la victime en mauvaise posture ou encore « sexting », usurpation d’identité digitale, piratages de comptes….

D’ailleurs, la CNIL a dressé une liste de comportements constitutifs de cyberharcèlement tels que le lynchage en groupe puis publication de la vidéo sur un site ( appelé également le Happy slapping), la propagation de rumeurs par téléphone ou sur internet, la création d’une page, d’un groupe ou d’un faux profil à l’encontre de la personne, la publication de photographies sexuellement explicites ou humiliantes, les messages menaçants, insulte via messagerie privée et la commande de biens et services pour la victime grâce à ses informations personnelles.

Le cyberharcèlement nécessite la répétition des faits. Cependant d’autres délits tels que l’injure ou la diffamation peuvent être incrimés alors qu’ils n’ont eu lieu qu’une seule fois.

 

II- Distinction entre la diffamation et l’injure :

A. La diffamation

La diffamation est définie à l’article 29 alinéa 1 de la loi de presse du 29 juillet 1881 qui dispose que « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. ».

Pour caractériser l’élément matériel de la diffamation, il faut la réunion de deux conditions. La diffamation nécessite d’abord l’imputation d’un fait précis à une personne. La caractérisation de ce fait précis est souvent délicate parce que cela peut être confondu avec une opinion. Ensuite, ce fait doit porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne.

L’élément intentionnel est présumé du simple fait de l’existence d’un élément matériel. L’intention de publication suffit donc à caractériser l’élément intentionnel. Nul besoin de prouver l’intention de nuire de l’auteur de l’infraction.

Selon l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, le délai de prescription de l’action de diffamation est de « trois mois révolus, à compter du jour où les faits auront été commis ». La diffamation étant une infraction instantanée, le point de départ de ce délai est fixé au jour de l’infraction. Cette action nécessite un dépôt de plainte de la victime ou une citation directe devant le tribunal correctionnel.

La diffamation publique qui constitue un délit au sens de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 est passible d’une amende de 12 000€.

Dans un arrêt rendu le 26 mai 2021, la Cour de cassation a apporté des précisions sur les conditions dans lesquelles un prévenu présente sa défense dans la mesure où des poursuites sont engagées à son encontre pour des faits de diffamation publique envers un particulier. Ainsi, la Cour réaffirme que les propos doivent renfermer l’allégation d’un fait précis pour être qualifiés de diffamatoires.

Cependant, une autre forme de diffamation peut aussi constituer une infraction pénale, c’est la diffamation non publique qui constitue une contravention et est passible d’une amende de 38€. La différence réside donc dans l’acte de publication.

Dans un arrêt en date du 1er février 2022 (Cass. crim., 1er févr. 2022, no 21-83124), la chambre criminelle a jugé que si l’élément de publicité fait défaut, les accusations diffamatoires relèvent de la contravention de diffamation non publique, que le juge correctionnel doit examiner. Par conséquent, l’absence de publicité peut entrainer l’irrecevabilité de l’action. (10)

B. L’injure

Selon l’article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, « Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».

Contrairement à la diffamation, l’injure n’impute pas un fait précis à une personne, mais un terme isolé. Cette distinction n’est pas toujours évidente et dans les cas où les deux infractions sont indivisibles, selon un arrêt de la chambre criminelle du 12 juin 1956, c’est la diffamation qui prévaut.

Comme pour la diffamation, l’élément intentionnel est présumé et l’acte de publication à lui seul suffit à caractériser l’infraction.

Le délai de prescription est le même que pour le délit de diffamation.

Selon l’article 33 al 2, l’injure est « punie d’une amende de 12 000 euros».

Lorsque l’injure est commise à l’encontre d’une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou leur appartenance ethnique, nationale, raciale ou une religieuse, celle-ci est punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a rajouté un alinéa, dans ce même article, disposant que : « Lorsque les faits mentionnés aux troisième et quatrième alinéas du présent article sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende ».

Dans un arrêt en date du 26 janvier 2021, (Cass. crim., 26 janv. 2021, no 19-85762,) la chambre criminelle a considéré que lorsqu’on ne peut dissocier des expressions injurieuses poursuivies d’imputations diffamatoires non poursuivies contenues dans le texte qui les renferme, la qualification de diffamation absorbe celle d’injure. (11)

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Sources :

(1)     https://www.cnil.fr/fr/reagir-en-cas-de-harcelement-en-ligne
(2)     Crim., 26 mai 2021, n°20–80.884
(3)    https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000043982443/2021-08-26/#LEGIARTI000043982443
(4)http://www.clg-chartreux.ac-aix-marseille.fr/spip/sites/www.clg-chartreux/spip/IMG/pdf/cyber_harcelement.pdf
(5)http://www.20minutes.fr/societe/2010919-20170208-video-cinq-chiffres-cyber-harcelement-france
(6)https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000029334247&cidTexte=LEGITEXT000006070719
(7)http://www.justice.gouv.fr/include_htm/pub/rap_cybercriminalite.pdf
(8)crim., 5 sept. 2023, no22-84763, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048059181?page=1&pageSize=10&query=22-84763&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT
(9)LOI n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique
(10)https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049563368
(11)crim., 1erfévr. 2022, no 21-83124 https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2022-02-01_2183124
(12)crim., 26 janv. 2021, no19-85762, https://www.courdecassation.fr/en/decision/601427e85b34856017551fd5

 

Les limites du droit à l’oubli et du référencement

Le droit à l’oubli, concept novateur au confluent de la protection des données personnelles et du respect de la vie privée, a été institutionnalisé par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne, entré en vigueur en mai 2018.

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Ce droit confère aux individus la possibilité de demander la suppression de leurs données personnelles, lorsqu’elles ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées, ou lorsqu’ils retirent leur consentement à leur traitement.

Toutefois, ce droit, bien que fondamental dans une société de plus en plus numérisée, ne peut s’exercer sans limites. En effet, la mise en œuvre du droit à l’oubli doit être soigneusement équilibrée avec d’autres droits et libertés, notamment le droit à l’information, la liberté d’expression, et le droit du public à accéder à des informations d’intérêt général.

D’un point de vue jurisprudentiel, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été amenée à se prononcer sur plusieurs affaires qui illustrent les tensions inhérentes à ce droit. L’affaire emblématique *Google Spain SL, Google Inc. v. Agencia Española de Protección de Datos, Mario Costeja González* (C-131/12) a marqué une étape cruciale dans la reconnaissance du droit à l’oubli.

Dans cette décision, la CJUE a établi que les moteurs de recherche sont considérés comme des « responsables de traitement » et qu’ils sont donc tenus de supprimer les liens vers des informations personnelles lorsque leur diffusion n’est plus justifiée. Cela a ouvert la voie à de nombreuses demandes de déréférencement, mais a également soulevé des questions quant à la portée et aux limites de ce droit.


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Cependant, la mise en œuvre de cette jurisprudence a révélé des défis significatifs. Par exemple, dans l’affaire *NT1 v. Google LLC* (2018), la Haute Cour de Londres a dû naviguer entre le droit à l’oubli d’un individu condamné pour des infractions pénales et le droit du public à être informé des activités d’une personne ayant eu un rôle public. La Cour a finalement statué en faveur de l’individu, mais cette affaire a mis en lumière les dilemmes éthiques et juridiques que soulève le droit à l’oubli, notamment en ce qui concerne la balance entre la réhabilitation personnelle et l’intérêt public.

De plus, les limites du droit à l’oubli s’étendent également à la question du traitement des informations d’intérêt public, comme celles relatives à des personnalités publiques ou à des événements ayant un impact sociétal significatif.

Dans l’affaire *GC et autres v. M. et autres* (C-136/17), la CJUE a précisé que le droit à l’oubli ne doit pas conduire à une censure des informations qui revêtent un intérêt général, soulignant ainsi que l’effacement d’informations ne doit pas se faire au détriment de la transparence et du débat démocratique. D’un autre côté, des critiques ont été émises concernant le potentiel de ce droit à créer des inégalités d’accès à la justice.

Les personnes disposant de ressources financières et juridiques suffisantes peuvent plus efficacement faire valoir leur droit à l’oubli, tandis que d’autres, souvent issues de milieux défavorisés, peuvent se voir privées de cette opportunité. Cela souligne un paradoxe : bien que le droit à l’oubli soit conçu pour protéger les individus, il peut également renforcer des inégalités existantes, ce qui questionne la légitimité de son application. Ainsi, il est impératif d’analyser non seulement la portée du droit à l’oubli, mais également ses implications sur les mécanismes de régulation de l’information à l’ère numérique.

En effet, la prolifération des données personnelles sur Internet, couplée à la facilité avec laquelle ces informations peuvent être accessibles et diffusées, complique la tâche des autorités de régulation et des acteurs privés confrontés à des demandes de déréférencement. Ces acteurs doivent naviguer dans un paysage juridique en constante évolution, tout en prenant en compte des considérations éthiques et sociologiques.

Un autre exemple jurisprudentiel significatif est l’affaire *GC et autres v. M. et autres* (C-136/17), où la CJUE a réaffirmé que les droits des individus à la vie privée et à l’oubli ne doivent pas occulter le droit du public à l’information. Dans cette affaire, les plaignants, victimes d’un incident criminel, avaient demandé le déréférencement d’articles de presse relatant leur histoire. La Cour a statué que, bien que le droit à la vie privée soit fondamental, il est essentiel de prendre en compte le contexte de l’information et l’intérêt général qu’elle représente.

Ce jugement illustre les limites du droit à l’oubli, en mettant en avant la nécessité d’une approche nuancée qui prenne en compte à la fois les droits individuels et les intérêts collectifs.

L’interaction entre le droit à l’oubli et le référencement des informations soulève également des questions pratiques quant à la mise en œuvre de ce droit par les moteurs de recherche et les plateformes numériques. Les critères de déréférencement demeurent flous et souvent sujets à interprétation, ce qui peut engendrer des incohérences dans les décisions prises par les acteurs en ligne.

Par exemple, Google a mis en place un processus de demande de déréférencement qui, bien qu’efficace pour certaines demandes, peut également laisser des utilisateurs dans l’incertitude quant à leurs droits. La question de la transparence dans le traitement de ces demandes est donc cruciale pour garantir la confiance des utilisateurs dans les mécanismes de protection des données.

Par ailleurs, les questions de compétence territoriale et de juridiction se posent également dans le cadre du droit à l’oubli. La portée extraterritoriale de certaines décisions de la CJUE, notamment dans l’affaire *Google Spain*, a suscité des débats sur la capacité des États membres à imposer des normes de confidentialité et de protection des données en dehors de leurs frontières.

Les disparités entre les législations nationales et les pratiques des entreprises technologiques multinationales compliquent la mise en œuvre uniforme du droit à l’oubli à l’échelle mondiale. Ce phénomène met en exergue la nécessité d’une coopération internationale plus étroite pour traiter les enjeux liés à la protection des données et au droit à l’oubli.

Ainsi, tout en reconnaissant l’importance du droit à l’oubli dans la protection des données personnelles et la préservation de la vie privée, il apparaît fondamental de délimiter clairement ses contours. Les défis juridiques, éthiques et pratiques qu’il soulève exigent une réflexion approfondie et une approche équilibrée qui tienne compte des droits individuels tout en préservant l’intérêt général et le besoin de transparence dans la société de l’information.

En somme, le débat sur les limites du droit à l’oubli et du référencement est emblématique des tensions qui existent entre la nécessité de protéger les individus des atteintes à leur vie privée et celle d’assurer un accès libre et ouvert à l’information.

La recherche d’un équilibre entre ces deux impératifs constitue un enjeu majeur pour les législateurs, les juges et les acteurs du numérique, et nécessite une vigilance constante pour s’adapter aux évolutions technologiques et sociétales. À ce titre, il est crucial de mettre en place des mécanismes de régulation qui soient à la fois justes et efficaces, afin de garantir une protection adéquate des données personnelles sans compromettre l’essence même de la démocratie et de la liberté d’expression.

Les démarches pour faire valoir ce droit sont encadrées par des procédures précises, souvent complexes, nécessitant une évaluation minutieuse des circonstances de chaque cas. Par exemple, une personne souhaitant faire valoir son droit à l’oubli doit généralement soumettre une demande auprès du moteur de recherche concerné, en justifiant la pertinence de sa requête.

I. Le droit à l’oubli : Cadre et mise en œuvre

A. Démarches pour faire valoir son droit à l’oubli

  1. Description des procédures à suivre pour soumettre une demande

La première étape pour faire valoir son droit à l’oubli consiste à rassembler les informations nécessaires et à comprendre le processus de demande. Voici un développement détaillé des étapes à suivre :

  1. Identification du moteur de recherche

La procédure commence par l’identification du moteur de recherche auprès duquel la demande sera faite. Google est le moteur de recherche le plus utilisé, mais il existe d’autres moteurs, tels que Bing ou Yahoo, qui doivent également être pris en compte. Chaque moteur de recherche peut avoir ses propres procédures, mais les principes de base restent similaires.

  1. Remplissage du formulaire de demande

La plupart des moteurs de recherche disposent d’un formulaire dédié au droit à l’oubli, accessible sur leur site web. Ce formulaire est généralement conçu pour faciliter la soumission des demandes. Les informations requises dans ce formulaire incluent :

– Identité du demandeur : Le demandeur doit fournir ses informations personnelles, notamment son nom complet, son prénom, son adresse électronique et, dans certains cas, son adresse postale. Ces informations permettent au moteur de recherche de vérifier l’identité du demandeur et de le contacter si nécessaire.

– URL(s) concernée(s) : Il est essentiel de fournir les liens exacts vers les contenus que le demandeur souhaite faire supprimer. Ces URL doivent renvoyer à des pages spécifiques contenant les informations litigieuses. La précision est cruciale, car toute erreur pourrait retarder le traitement de la demande.

– Motifs de la demande : Le demandeur doit justifier sa demande en expliquant pourquoi il estime que les informations doivent être supprimées. Cela peut inclure des arguments tels que l’inexactitude des informations, le caractère obsolète des données, ou le fait que ces informations ne sont plus pertinentes pour l’intérêt public. Pour renforcer la demande, le demandeur peut également inclure des preuves ou des documents soutenant ses affirmations.

  1. Soumission de la demande

Une fois le formulaire complété, il doit être soumis selon les instructions fournies par le moteur de recherche. Cela peut se faire en ligne via une plateforme dédiée, par courrier électronique ou même par voie postale, selon les modalités spécifiées. Il est recommandé de conserver une copie de la demande ainsi que de tous les documents joints pour ses propres archives.

  1. Attente de la réponse

Après la soumission, le moteur de recherche examinera la demande. Ce processus peut prendre plusieurs semaines, voire des mois, en fonction de la complexité de la demande et du volume des demandes reçues. Pendant cette période, le moteur de recherche peut demander des informations supplémentaires ou des clarifications au demandeur.

  1. Notification de la décision

Le moteur de recherche informera le demandeur de sa décision, qui peut être favorable ou défavorable. Si la demande est acceptée, les URL concernées seront supprimées des résultats de recherche. En revanche, si la demande est rejetée, le demandeur recevra une explication des raisons de ce refus.

  1. Possibilité de recours

En cas de refus de la demande, le demandeur a la possibilité de contester cette décision. Cela peut impliquer de soumettre une nouvelle demande avec des justifications supplémentaires ou, dans certains cas, de porter l’affaire devant une autorité de protection des données ou un tribunal compétent. Il est important de bien comprendre les recours disponibles, car chaque pays peut avoir ses propres règles et procédures en matière de protection des données.

  1. Rôle des moteurs de recherche et des plateformes concernées

Les moteurs de recherche jouent un rôle central dans la mise en œuvre du droit à l’oubli, en tant qu’intermédiaires entre les internautes et l’information disponible en ligne. Conformément à la législation européenne, notamment les règlements sur la protection des données comme le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), ces moteurs de recherche ont l’obligation légale d’examiner les demandes de suppression d’informations personnelles.

Ce processus d’évaluation repose sur l’application de critères établis par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans ses décisions, notamment dans l’affaire Google Spain. Les moteurs de recherche doivent mener une analyse équilibrée qui prend en compte à la fois le droit à la vie privée du demandeur et l’intérêt public en matière d’information.

  1. Pertinence des informations

Le premier critère que les moteurs de recherche doivent considérer est la pertinence des informations en question. Pour qu’une demande soit acceptée, les informations concernées doivent avoir un caractère personnel. Cela signifie qu’elles doivent avoir un lien direct avec la vie privée du demandeur, comme des données sur sa santé, ses opinions politiques ou ses activités personnelles.

De plus, il est essentiel que ces informations ne soient pas nécessaires à l’intérêt public. Par exemple, des informations sur un acte criminel dont le demandeur a été acquitté peuvent être jugées comme n’étant plus d’intérêt public, tandis que des informations sur des affaires publiques ou des personnalités politiques peuvent ne pas être supprimées en raison de leur importance pour le débat public.

  1. Actualité des informations

Un autre critère crucial est l’actualité des informations. Les moteurs de recherche doivent évaluer si le contenu en question est obsolète ou si, au contraire, il reste pertinent dans le contexte actuel.

Par exemple, des informations sur une condamnation pénale passée peuvent devenir moins pertinentes au fil du temps, surtout si le demandeur a démontré un changement de comportement ou a été réhabilité. Cette évaluation nécessite une analyse approfondie des circonstances et du contexte, car les attentes de la société concernant la réhabilitation et le pardon évoluent également.

  1. Caractère préjudiciable des informations

Les moteurs de recherche doivent également examiner le caractère préjudiciable des informations en question. Cela implique de déterminer si les données concernées causent un préjudice significatif à la réputation ou à la dignité du demandeur.

Si les informations sont jugées nuisibles, mais qu’elles revêtent une importance suffisante pour l’intérêt public — par exemple, si elles concernent une personne occupant une fonction publique — leur suppression pourrait être refusée. Les moteurs de recherche doivent donc peser le préjudice potentiel pour le demandeur contre l’importance de l’information pour le public.

  1. Processus de décision

Le processus de décision des moteurs de recherche est rigoureux et implique souvent des équipes dédiées à l’évaluation des demandes de suppression. Ces équipes doivent être formées pour appliquer les critères de la CJUE de manière cohérente et équitable.

Après avoir examiné les demandes, les moteurs de recherche rendent une décision qu’ils communiquent au demandeur. Dans certains cas, les moteurs de recherche peuvent également consulter des experts ou des avocats pour évaluer les demandes complexes.

  1. Transparence et responsabilité

Les moteurs de recherche sont également tenus d’assurer une certaine transparence dans leur processus de décision. Ils doivent informer les demandeurs des raisons de la décision prise, qu’elle soit positive ou négative.

Cette transparence est essentielle pour que les demandeurs puissent comprendre les motifs de refus et, le cas échéant, préparer des recours. De plus, les moteurs de recherche doivent maintenir des statistiques sur les demandes reçues et les décisions prises, permettant ainsi une évaluation de l’impact du droit à l’oubli sur la vie privée des individus.

  1. Recours en cas de refus

En cas de refus d’une demande de suppression, le demandeur dispose de plusieurs options. Il peut contester la décision directement auprès de l’autorité de protection des données compétente dans son pays. Ce recours peut impliquer une réévaluation de la demande par l’autorité, qui examinera si les critères de la CJUE ont été correctement appliqués. De plus, le demandeur peut également envisager des voies judiciaires, ce qui pourrait conduire à des décisions créant des précédents juridiques importants.

B. Application géographique du droit à l’oubli

  1. Cadre juridique en Europe

En Europe, le droit à l’oubli est principalement encadré par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur le 25 mai 2018. L’article 17 du RGPD stipule que les individus ont le droit d’obtenir l’effacement de leurs données personnelles dans certaines circonstances, notamment lorsque les données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées. Ce cadre légal a permis d’étendre et de formaliser le droit à l’oubli en tant qu’élément central de la protection des données personnelles en Europe.

  1. Comparaison avec d’autres juridictions

À l’international, la notion de droit à l’oubli n’est pas systématiquement reconnue. Par exemple, aux États-Unis, le droit à l’oubli est limité et se heurte à la liberté d’expression, protégée par le premier amendement de la Constitution.

Les tribunaux américains, notamment dans l’affaire *Doe v. MySpace, Inc.* (2008), ont rejeté les demandes d’effacement de contenus en raison de la protection de la liberté d’expression. Cette divergence souligne les défis liés à l’harmonisation des législations en matière de protection des données à l’échelle mondiale, et illustre l’importance d’un cadre juridique robuste pour garantir les droits des individus.

II. Les enjeux et limites du droit à l’oubli

A. Critiques et inconvénients du droit à l’oubli

1. Impact sur la liberté d’expression et le droit à l’information

Le droit à l’oubli est souvent perçu comme une tentative de restreindre l’accès à des informations qui peuvent être d’intérêt public. Cette dynamique pose une question essentielle : comment trouver un équilibre entre le droit à la vie privée et la liberté d’expression ?

Les critiques soutiennent que la suppression d’informations peut mener à une forme de censure, où des contenus, même pertinents et véridiques, sont retirés des moteurs de recherche, privant ainsi le public de connaissances importantes.

Dans l’affaire *Google Spain*, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu que le droit à l’oubli ne devait pas interférer avec le droit à l’information. La CJUE a souligné que les moteurs de recherche doivent évaluer chaque demande de manière équilibrée, tenant compte des intérêts du demandeur ainsi que de l’intérêt public. Toutefois, la mise en pratique de cette directive s’avère complexe.

En effet, des cas concrets montrent que des informations d’intérêt public peuvent être supprimées, soulevant des questions éthiques sur la transparence et l’accès à l’information. Par exemple, des articles d’actualité relatifs à des personnalités publiques ou des affaires judiciaires peuvent être retirés, ce qui va à l’encontre du principe de transparence qui sous-tend les démocraties. Ce phénomène de censure potentielle est particulièrement préoccupant dans le contexte des élections, des affaires publiques ou des questions sociales.

La suppression d’informations peut nuire à la capacité des citoyens à prendre des décisions éclairées, réduisant ainsi la qualité du débat public. Les journalistes et les chercheurs peuvent également se retrouver limités dans leur capacité à enquêter et à rapporter des faits, ce qui peut affecter leur travail et la liberté de la presse. Ainsi, alors que le droit à l’oubli vise à protéger les individus, il doit être manié avec prudence pour ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux des autres.

  1. Problèmes pratiques liés à l’application du droit à l’oubli

L’application du droit à l’oubli présente également des défis pratiques considérables pour les moteurs de recherche et les plateformes numériques. La charge administrative qui en résulte est significative, car les moteurs de recherche doivent traiter un nombre croissant de demandes de suppression. En effet, depuis l’instauration du droit à l’oubli, le volume des demandes a explosé, ce qui met une pression supplémentaire sur les ressources des moteurs de recherche.

Les moteurs de recherche doivent non seulement évaluer chaque demande de manière conforme aux critères juridiques, mais ils doivent également s’assurer que ce processus est transparent et équitable. Cela implique la création de procédures internes rigoureuses, de formations pour le personnel, ainsi que l’établissement de lignes directrices claires. Cependant, comme l’a révélé l’affaire *GC et autres v. M. et autres* (C-136/17), il est souvent difficile pour les moteurs de recherche d’établir un cadre de décision uniforme et équitable.

Les difficultés à standardiser les processus d’évaluation, couplées aux variations dans les législations nationales, rendent la tâche encore plus complexe. De plus, la charge de la preuve repose souvent sur le demandeur. Ce dernier doit démontrer que les informations en question sont nuisibles, inexactes ou obsolètes, ce qui peut s’avérer particulièrement difficile pour les individus n’ayant pas les ressources nécessaires pour engager des procédures juridiques complexes.

Les personnes qui souhaitent faire valoir leur droit à l’oubli se retrouvent souvent confrontées à des obstacles financiers, juridiques et administratifs. Cela peut créer des inégalités dans l’accès à la justice, renforçant les disparités déjà existantes.

Par ailleurs, les moteurs de recherche peuvent faire face à des difficultés dans le traitement des demandes. Par exemple, dans certains cas, il peut être difficile de déterminer si une information est effectivement nuisible ou si elle a un intérêt public suffisant pour justifier son maintien en ligne. Les décisions prises peuvent également varier d’un moteur de recherche à l’autre, ce qui soulève des préoccupations quant à la cohérence et à l’uniformité des décisions.

B. Les conséquences de l’oubli sur la société et l’individu

  1. Risques de perte de mémoire collective et de révisionnisme

L’un des enjeux cruciaux liés à l’application du droit à l’oubli est la menace qu’il représente pour la mémoire collective d’une société. En supprimant certaines informations jugées nuisibles ou obsolètes pour des individus, il existe un risque réel que des événements significatifs soient effacés de l’histoire accessible au public. Cette situation soulève des préoccupations quant à la capacité d’une société à se souvenir de son passé et à apprendre de ses erreurs.

Le philosophe George Orwell, dans son roman dystopique 1984, met en lumière les dangers d’un contrôle de l’information qui mène à la manipulation de la mémoire collective. Dans cet univers où le passé est constamment réécrit pour servir les intérêts du pouvoir, la vérité devient relative, et la société perd sa capacité à se souvenir de ses erreurs historiques.

Ce mécanisme de révisionnisme est particulièrement préoccupant dans le cadre du droit à l’oubli, où des faits historiques ou des événements marquants peuvent être occultés pour protéger la réputation de certains individus. L’affaire NT1 v. Google LLC (2018) illustre ce dilemme.

Dans cette affaire, une personne a demandé la suppression de résultats de recherche la concernant, liés à une condamnation pénale. Bien que le jugement ait été en faveur du droit à l’oubli, il convient de s’interroger sur les implications de cette décision. En effaçant des informations qui pourraient être considérées comme nuisibles, on court le risque d’altérer l’accès à des informations d’importance historique ou sociale, et ce, même si ces informations sont factuelles.

Ainsi, la question se pose de savoir si le droit à l’oubli pourrait contribuer à un révisionnisme, où des faits historiques seraient délibérément omis ou minimisés pour protéger des intérêts individuels.

Cette dynamique pourrait mener à une forme de réécriture de l’histoire, où la mémoire collective serait altérée, privant les générations futures de la possibilité d’apprendre des leçons du passé. En ce sens, le droit à l’oubli pourrait nuire non seulement à l’individu dont les informations sont supprimées, mais également à la société dans son ensemble, qui peut perdre des repères historiques essentiels.

  1. Effets sur les individus concernés

Les effets du droit à l’oubli ne se limitent pas à la sphère publique ; ils touchent également les individus concernés de manière directe et personnelle. Bien que certaines personnes puissent envisager le droit à l’oubli comme une opportunité de réhabilitation et de renaissance, il peut également engendrer des effets pervers et des conséquences inattendues.

Dans l’affaire *GC et autres v. M. et autres* (C-136/17), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu que le droit à l’oubli ne suffisait pas à effacer les conséquences sociales et professionnelles des informations qui avaient été auparavant accessibles. En effet, même après la suppression d’informations, la stigmatisation et les préjugés peuvent persister dans l’esprit du public.

Une personne dont les informations sensibles ont été effacées peut continuer à faire face à des discriminations, des jugements hâtifs ou des préjugés basés sur des événements passés, ce qui peut entraver sa réinsertion sociale et professionnelle. De plus, des études ont montré que le droit à l’oubli peut créer des inégalités dans l’accès à la justice.

Les personnes issues de milieux défavorisés peuvent ne pas avoir les ressources nécessaires pour engager des procédures juridiques complexes et coûteuses pour faire valoir leur droit. À l’inverse, les individus plus privilégiés, qui peuvent se permettre de consulter des avocats spécialisés ou de naviguer dans le système judiciaire, peuvent bénéficier d’une plus grande visibilité et d’un accès plus facile à ce droit. Cette disparité soulève des questions éthiques et juridiques sur l’égalité d’accès au droit à l’oubli et sur la manière dont les lois peuvent être appliquées de manière discriminatoire.

Il est également essentiel de considérer les implications psychologiques de l’oubli. Pour certains, la possibilité d’effacer des événements du passé peut sembler être une solution à des souffrances psychologiques. Cependant, il existe un risque que cette démarche soit perçue comme une forme de fuite plutôt qu’une véritable guérison. Les individus pourraient éprouver un sentiment de déconnexion avec leur propre histoire, ce qui pourrait nuire à leur processus d’identité personnelle.

La mémoire, même des événements douloureux, joue un rôle crucial dans la construction de l’identité. Le fait de vouloir effacer ces souvenirs peut créer un vide, un manque de continuité dans la vie d’un individu.

De plus, l’oubli n’est pas un processus simple. Les informations supprimées peuvent avoir des conséquences systémiques sur la façon dont les individus sont perçus par leur entourage. Par exemple, une personne ayant été condamnée pour un crime peut voir son passé effacé des résultats de recherche, mais la méfiance et le jugement de ses pairs peuvent persister.

Les réseaux sociaux et les interactions personnelles peuvent renforcer cette stigmatisation, car les opinions et les préjugés sont souvent difficiles à changer, même en l’absence de preuves tangibles. Un autre aspect à considérer est la question de la responsabilité sociale. En permettant aux individus de demander l’effacement de certaines informations, on pourrait créer un environnement où les gens ne se sentent pas responsables de leurs actions passées

. Cela pourrait encourager un comportement irresponsable, où les individus estiment qu’ils peuvent agir de manière préjudiciable sans devoir en subir les conséquences à long terme. Cette dynamique pourrait in fine nuire à la cohésion sociale, car elle affaiblirait les mécanismes de responsabilité et de transparence qui sont essentiels au bon fonctionnement d’une société. Enfin, il est important de reconnaître que le droit à l’oubli peut également avoir des implications sur les relations interpersonnelles.

Pour lire un article plus complet sur le droit à l’oubli et le déréférencement, cliquez

Sources :

1 Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 17 février 2009, 09-80.558, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
2 LE DROIT À L’OUBLI (murielle-cahen.com)
3 Droit à l’oubli : le Conseil d’État donne le mode d’emploi – Conseil d’État (conseil-etat.fr)
4 CURIA – Documents (europa.eu)