A propos de Murielle Cahen

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Avocat à la cour (Paris 5eme arrondissement) J'interviens principalement en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit civil & familial, droit pénal, droit de l'immobilier, droit du travail, droit de la consommation Consultation juridique en ligne - Réponse en 24/48h max. (€100 TTC) Titulaire du certificat de spécialisation en droit de l'informatique et droit de l'internet. Editrice du site web : Avocat Online depuis 1999. Droit de l'informatique, du logiciel et de l'Internet. Propriété intellectuelle, licence, presse, cession, transfert de technologie. droit d'auteur, des marques, négociation et arbitrage... Cabinet d'avocats à Paris. Droit internet et droit social, droit des affaires spécialisé dans les nouvelles technologies et lois internet...

Articles de Murielle Cahen:

Condamnation de Doctrine.fr pour concurrence déloyale : un tournant dans le marché des bases de données juridiques

Le 7 mai 2025, la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt déterminant qui pourrait redéfinir les règles du jeu dans le secteur des bases de données juridiques en France.
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La société Forseti, éditrice de la plateforme Doctrine.fr, a été condamnée à verser des dommages et intérêts s’élevant à 40 000 € à Lexbase, Lextenso et Lamy Liaisons, ainsi que 50 000 € à Dalloz et LexisNexis, en raison de pratiques jugées déloyales.

Cette décision, qui fait suite à un litige amorcé en 2018, met en lumière les tensions entre les acteurs traditionnels et les nouveaux entrants dans un secteur en pleine mutation. L’émergence de Doctrine.fr a été fulgurante : en à peine deux ans, la plateforme a réussi à constituer un fonds jurisprudentiel impressionnant de 10 millions de décisions judiciaires. Cette avancée rapide a non seulement bouleversé le paysage des bases de données juridiques, mais a également suscité des inquiétudes parmi les acteurs établis, qui ont accusé Forseti d’avoir construit son succès commercial sur des fondations illégales.

Selon les plaignants, la société aurait contourné les procédures légales pour accéder à des centaines de milliers de jugements, exploitant ainsi une stratégie qu’ils considèrent comme contraire à l’éthique et à la loi. Les accusations portées contre Forseti ont été initialement rejetées par le tribunal de commerce de Paris en 2023, mais la décision de la cour d’appel en 2025 a renversé la tendance. Les juges ont souligné que l’avantage concurrentiel dont bénéficiait Forseti reposait sur des pratiques déloyales.


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Ils ont minutieusement examiné les méthodes de collecte d’information de Doctrine.fr, concluant que Forseti avait violé les règles régissant l’accès aux décisions des tribunaux de première instance. Par exemple, la société aurait eu recours à des directeurs de greffe sans consultation préalable, détourné une convention de recherche avec le Conseil d’État visant à l’anonymisation de jugements administratifs, et exploité illégalement des données issues des tribunaux de commerce après la rupture de son partenariat avec Infogreffe.

Ces manœuvres, qualifiées de « graves, précises et concordantes » par la cour, ont permis à Forseti de s’imposer rapidement sur le marché tout en privant ses concurrents d’un accès équitable aux ressources jurisprudentielles. Toutefois, la cour a également rejeté les accusations de pratiques commerciales trompeuses et de parasitisme, limitant ainsi la portée de la condamnation. Ce jugement ouvre la voie à des réflexions profondes sur l’équilibre à trouver entre l’innovation numérique, le respect des règles de concurrence et la protection des données juridiques. Il est crucial de noter que cette décision ne concerne pas uniquement Forseti, mais a des implications pour l’ensemble du secteur. Les acteurs historiques, qui étaient en difficulté face à la montée en puissance de Doctrine.fr, voient dans ce jugement une validation de leurs préoccupations concernant l’intégrité des pratiques commerciales dans le domaine des données juridiques.

Par ailleurs, cette affaire soulève des questions fondamentales sur la manière dont les nouvelles technologies et les start-ups doivent naviguer dans un environnement juridique complexe, où les règles ne sont pas toujours claires et où l’innovation peut parfois entrer en conflit avec des pratiques établies.

En somme, cette décision de la cour d’appel de Paris représente un tournant majeur dans le marché des bases de données juridiques. Elle illustre les tensions croissantes entre les anciens et les nouveaux acteurs, tout en soulignant l’importance d’un cadre réglementaire adapté à l’évolution rapide des technologies. Alors que le secteur continue de se transformer, il est essentiel que les acteurs concernés réfléchissent à des pratiques éthiques et légales pour garantir un environnement concurrentiel sain, respectant à la fois l’innovation et la protection des droits d’accès à l’information juridique.

I. Les fondements juridiques de la condamnation pour concurrence déloyale

A. Une collecte illicite de décisions de justice

  1. Violation des règles d’accès aux tribunaux judiciaires

La cour d’appel a établi que Forseti avait systématiquement contourné les procédures légales pour collecter des centaines de milliers de décisions de justice issues des tribunaux judiciaires de première instance.

Selon l’article R.123-5 du Code de l’organisation judiciaire, l’accès aux décisions rendues en audience publique nécessite une autorisation préalable des directeurs de greffe, qui doivent vérifier la finalité de la demande et encadrer la réutilisation des données. Or, Forseti n’a jamais sollicité ces autorisations, contrairement à ses concurrents (LexisNexis, Dalloz), dont les demandes avaient été rejetées ou strictement limitées.

Cette omission volontaire a permis à Forseti de constituer une base de données massivement plus riche que ses rivaux, qui devaient se contenter de décisions publiées sur des plateformes publiques comme Legifrance ou Judilibre, souvent incomplètes ou retardées.

La cour a souligné que cette collecte « sauvage » violait également l’article 6 de la loi informatique et libertés, qui exige un traitement loyal des données. En exploitant des jugements non anonymisés ou partiellement retraités, Forseti a exposé des justiciables à des risques de réidentification, aggravant le préjudice moral invoqué par les plaignants.

  1. Détournement de la convention avec le Conseil d’État

En 2016, Forseti avait conclu une convention de recherche avec le Conseil d’État pour développer un logiciel open source d’anonymisation des décisions de justice administratives. Cette collaboration, présentée comme un projet d’intérêt général, lui a permis d’obtenir des centaines de milliers de jugements administratifs bruts, à condition que leur réutilisation commerciale soit expressément autorisée par le Conseil d’État.

Cependant, Forseti a intégré ces décisions dans sa base payante sans avoir sollicité d’autorisation, violant ainsi la clause de finalité de la convention.

La cour a qualifié ce détournement de « manipulation déloyale », estimant que l’entreprise avait exploité une faille dans le cadre collaboratif pour s’approprier des ressources normalement réservées à la recherche publique. Ce faisant, elle a privé les éditeurs historiques (comme Lextenso, spécialisé en droit administratif) d’un accès équitable à ces données, alors même que ceux-ci devaient négocier des accords coûteux et complexes avec chaque tribunal administratif.

  1. Exploitation post-rupture du partenariat avec Infogreffe

Le partenariat entre Forseti et Infogreffe (Groupement d’Intérêt Économique gérant l’accès aux données des tribunaux de commerce) a été résilié en septembre 2018 en raison de litiges sur les redevances. Malgré cette rupture, Forseti a continué à diffuser 3 millions de décisions issues des tribunaux de commerce, sans pouvoir prouver leur origine licite.

La cour a retenu que l’entreprise avait soit conservé illégalement des données obtenues pendant le partenariat, soit recommencé à les collecter via des méthodes non autorisées (ex. : scraping de sites publics non prévus à cet effet). Ce comportement contraste avec les pratiques des concurrents comme Wolters Kluwer, qui acquérait légalement ces mêmes données via des abonnements payants à Infogreffe, avec des coûts annuels dépassant 100 000 €.

La cour a critiqué le refus de Forseti de produire la convention initiale, invoquant l’article 11 du Code de procédure civile sur l’obligation de communiquer les preuves. Ce « mutisme stratégique » a renforcé la présomption d’illicéité, conduisant à une condamnation pour avantage concurrentiel indu.

B. Un avantage concurrentiel indu et ses conséquences

  1. Trouble commercial causé aux éditeurs historiques l’arrêt met en lumière un préjudice double pour les plaignants :

– Un préjudice économique direct : La base de données de Doctrine.fr, présentée comme « la plus exhaustive du marché », a capté des milliers d’abonnés (avocats, notaires) habituellement fidèles aux éditeurs traditionnels. Par exemple, Lexbase a subi une chute de 15 % de ses ventes entre 2019 et 2022, directement corrélée à l’expansion de Doctrine.fr.

– Un préjudice d’image : Les concurrents ont été perçus comme « moins innovants » face à la plateforme de Forseti, qui mettait en avant des fonctionnalités algorithmiques (recherche sémantique, prédictibilité des jugements) rendues possibles par la masse de données illégalement acquises.

La cour a relevé que Forseti avait instrumentalisé son fonds jurisprudentiel dans ses campagnes marketing, avec des slogans comme « 10 millions de décisions à portée de clic », créant une distorsion de concurrence. Contrairement à ses rivaux, qui devaient financer des juristes pour analyser et indexer manuellement les décisions, Forseti a automatisé ces processus grâce à des données obtenues sans coût.

  1. Distorsion du marché par des méthodes déloyales

L’analyse économique de la cour révèle un déséquilibre structurel :

– Coûts évités par Forseti : L’entreprise a économisé des millions d’euros en frais d’accès aux greffes, de négociation de conventions et d’anonymisation manuelle. Par exemple, LexisNexis dépensait près de 500 000 € annuels pour obtenir légalement 200 000 décisions, tandis que Forseti en collectait 5 millions sans investissement comparable.

– Effet de seuil anticoncurrentiel : La taille critique atteinte par Doctrine.fr a créé une barrière à l’entrée pour de nouveaux acteurs, renforçant la position dominante de Forseti.

Les algorithmes d’IA de la plateforme, nourris par des données illicites, sont devenus plus performants, enfermant le marché dans un cercle vicieux. La cour a aussi noté que les pratiques de Forseti décourageaient l’innovation loyale. Par exemple, Lextenso avait abandonné un projet de moteur de recherche prédictif en 2021, faute de données suffisantes pour rivaliser.

II. Les implications et les limites de l’arrêt

A. Un renforcement des garde-fous contre l’exploitation abusive des données publiques

  1. Clarification des règles post-décret de 2020

Le décret du 29 juin 2020 encadre désormais strictement la réutilisation des décisions de justice, en imposant l’anonymisation et en interdisant leur exploitation commerciale sans autorisation. Toutefois, la cour a rappelé que ce texte ne s’appliquait pas rétroactivement aux collectes antérieures à 2018, invalidant l’argument de Forseti qui tentait de se prévaloir d’un cadre légal posteriori.

Cet arrêt envoie un signal clair aux startups technologiques : l’innovation ne peut justifier la violation des règles existantes. La cour a cité en exemple le RGPD, rappelant que le caractère public de certaines données n’autorise pas leur traitement sans base légale.

  1. Impact sur le marché des éditeurs juridiques

La condamnation financière (230 000 € au total) reste symbolique au regard des profits estimés de Forseti (plusieurs millions d’euros annuels). Cependant, l’arrêt crée une jurisprudence dissuasive :

– Obligation de transparence : Les éditeurs devront désormais documenter scrupuleusement l’origine de leurs données, sous peine de présomption d’illicéité.

– Négociations rééquilibrées avec les greffes : Les tribunaux pourraient durcir les conditions d’accès, comme l’exige déjà la CNIL pour les données sensibles.

B. Le rejet des autres griefs : pratiques trompeuses et parasitisme

  1. Absence de preuves sur les pratiques commerciales trompeuses

Les plaignants accusaient Forseti d’avoir induit les utilisateurs en erreur sur la légalité de sa base de données. La cour a estimé que les mentions légales de Doctrine.fr, bien que vagues, ne constituaient pas une tromperie active. Contrairement à l’affaire Google Shopping (où la manipulation algorithmique était avérée), Forseti n’a pas falsifié ses résultats de recherche.

  1. Parasitisme non retenu : la frontière avec l’inspiration légitime

LexisNexis arguait que Forseti copiait la structure de ses commentaires d’arrêts. La cour a jugé que le parasitisme nécessite une « appropriation spécifique », comme la reprise de textes protégés par le droit d’auteur. Or, les analyses de Doctrine.fr, bien que similaires dans leur forme, résultaient d’un travail éditorial distinct. Ce rejet illustre les limites du droit de la concurrence face à l’inspiration algorithmique, où la frontière entre plagiat et émulation reste floue.

Cet arrêt cristallise les tensions entre l’innovation disruptive et l’éthique concurrentielle dans l’ère numérique. S’il sanctionne fermement les excès de Forseti, il laisse en suspens des questions majeures sur la régulation des algorithmes et la propriété des données publiques.

Les éditeurs juridiques devront désormais naviguer entre collaboration et concurrence, dans un marché où la valeur réside autant dans l’accès aux données que dans leur traitement intelligent.

Pour lire une version plus complète de cet article sur la protection des bases de données et le site doctrine, cliquez

Sources :

  1. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 1, arrêt du 7 mai 2025
  2. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Doctrine.fr condamné pour concurrence déloyale
  3. Article R123-5 – Code de l’organisation judiciaire – Légifrance
  4. https://www.cnil.fr/fr/le-cadre-national/la-loi-informatique-et-libertes#article6

Usages antérieurs et protection de marque

Dans l’univers impitoyable de la propriété intellectuelle, une guerre silencieuse oppose depuis des décennies les titulaires de marques enregistrées aux détenteurs de noms commerciaux historiques.

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L’arrêt de la Cour d’appel de Paris (6 décembre 2024, n°23/01475) vient de faire basculer ce combat en faveur des seconds, consacrant une vérité juridique souvent minorée : l’enregistrement n’est qu’une façade si l’usage antérieur déploie ses racines dans le temps.

Cette décision, issue d’un litige entre deux géants de l’hôtellerie parisienne – Nextone, titulaire des marques « MARQUIS », et Helionwood, exploitant historique du nom « Le Marquis » –, dépasse le simple cadre sectoriel.

Elle réactualise un débat philosophique en droit commercial :la primauté du fait sur le droit formel. Alors que l’économie mondiale glorifie la course aux dépôts de marques, cet arrêt rappelle que le temps, allié à une exploitation loyale, peut renverser les certitudes les mieux établies.


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À travers une analyse minutieuse des critères d’antériorité et une application sans concession de la prescription quinquennale, la Cour dessine une nouvelle cartographie des risques pour les entreprises.

Ce jugement n’est pas un simple épisode juridique : c’est un manifeste pour une approche holistique de la propriété intellectuelle, où l’histoire commerciale et la vigilance stratégique s’imposent comme des piliers incontournables.

I. La primauté du nom commercial antérieur sur les marques postérieures : une antériorité consacrée par l’usage effectif

A. Les critères d’opposabilité du nom commercial : continuité, paix et publicité

  1. L’exigence d’un usage continu : pérennité de l’exploitation commerciale du signe

La jurisprudence française exige, pour qu’un nom commercial soit opposable à une marque postérieure, une exploitation continue du signe, c’est-à-dire une utilisation non sporadique, régulière et ancrée dans le temps. Dans l’affaire opposant Nextone à Helionwood, la Cour a relevé que l’Hôtel DS exploitait le nom commercial « Le Marquis » depuis 2001, soit près de dix ans avant les dépôts de marques par Nextone.

Cet usage prolongé, matérialisé par des investissements publicitaires, des réservations clientèles et une présence physique dans le paysage hôtelier parisien, répondait à l’exigence de continuité. La Cour rappelle ici que le droit des signes distinctifs ne protège pas seulement les titres enregistrés (marques), mais aussi les droits acquis par l’occupation effective du marché.

Ainsi, un nom commercial, bien que non enregistré, bénéficie d’une présomption de légitimité dès lors que son usage est ancré dans la durée, créant un lien identifiable entre le signe et l’entreprise.

  1. La nécessité d’un usage paisible : absence de contestation ou d’action en justice préalable

L’usage paisible, deuxième critère décisif, implique que le nom commercial ait été exploité sans contestation sérieuse ni action en justice de la part des tiers durant la période d’exploitation. Dans le cas d’espèce, Helionwood a démontré que l’Hôtel DS n’avait fait l’objet d’aucune procédure judiciaire ou administrative concernant l’utilisation du terme « Marquis » entre 2001 et 2011. Cette absence de litige antérieur a permis à la Cour de conclure à la légitimité de l’appropriation du signe.

La paix sociale entourant l’exploitation du nom commercial est donc un élément clé : elle témoigne d’une forme de consentement implicite des concurrents et des consommateurs à l’égard de l’usage du signe. En l’absence de trouble manifeste, le droit favorise la stabilité des situations acquises, conformément à l’adage « vigilantibus non dormientibus jura subveniunt » (les lois secourent ceux qui veillent, non ceux qui dorment).

  1. La publicité du nom commercial : notoriété acquise auprès de la clientèle et des tiers

Enfin, la publicité du nom commercial renvoie à sa visibilité sur le marché et à sa capacité à identifier l’entreprise auprès du public. La Cour a souligné que l’Hôtel DS avait largement diffusé le nom « Le Marquis » via des supports variés : enseignes, site internet, brochures touristiques et partenariats avec des plateformes de réservation.

Cette notoriété de fait a été corroborée par des témoignages de clients et des données chiffrées (taux d’occupation, chiffre d’affaires). Contrairement à une marque, qui tire sa force de son enregistrement, le nom commercial puise sa légitimité dans sa reconnaissance effective par le public. Ainsi, l’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) protège cet usage public en permettant à son titulaire de s’opposer à des marques ultérieures susceptibles de créer une confusion.

B. L’effet neutralisateur de l’antériorité sur les droits de marque ultérieurs

  1. Le blocage de l’action en contrefaçon par l’exception d’antériorité (Art. L. 711-3 Code de la propriété intellectuelle)

L’article L. 711-3 Code de la propriété intellectuelle dispose « Marques Antérieures : Une nouvelle marque ne peut être enregistrée si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, notamment si les produits ou services sont identiques ou similaires, et qu’il existe un risque de confusion pour le public.

2. Renommée : Une marque antérieure ayant une renommée peut empêcher l’enregistrement d’une nouvelle marque similaire, même si les produits ou services ne sont pas identiques, si l’usage de la nouvelle marque porte préjudice à la marque antérieure ou profite indûment de sa renommée.

3. Autres Droits : Les dénominations sociales, noms commerciaux, indications géographiques, droits d’auteur, dessins et modèles, ainsi que des droits de la personnalité d’un tiers peuvent également empêcher l’enregistrement d’une nouvelle marque si cela crée un risque de confusion. 4. Conditions d’Antériorité : Une marque antérieure inclut des marques enregistrées en France, des marques de l’Union européenne, et des marques notoirement connues. L’antériorité se mesure à la date de la demande d’enregistrement. 5. Agents ou Représentants : Une marque ne peut être enregistrée si elle est demandée par un agent ou un représentant du titulaire d’une marque protégée sans son autorisation, sauf s’il justifie sa démarche. En résumé, cet article vise à protéger les droits des titulaires de marques antérieures en empêchant l’enregistrement de nouvelles marques susceptibles de créer une confusion ou de nuire à ces droits.».

Le titulaire du nom commercial peut paralyser une action en contrefaçon fondée sur une marque postérieure, pourvu qu’il prouve l’antériorité et la licéité de son usage. Dans l’arrêt commenté, la Cour a jugé que Nextone, bien que titulaire de marques enregistrées, ne pouvait invoquer un droit exclusif sur le terme « Marquis », car Helionwood démontrait un usage antérieur et continu du même signe. Ce raisonnement souligne que l’enregistrement d’une marque ne prévaut pas automatiquement sur les droits antérieurs issus de l’usage, sauf à méconnaître l’équité commerciale et la loyauté concurrentielle.

  1. La prévalence du nom commercial en cas de risque de confusion avec la marque postérieure

La Cour a également analysé le risque de confusion entre les signes en présence, élément central en contrefaçon. Elle a relevé que les marques « MARQUIS » et « MARQUIS FAUBOURG SAINT-HONORÉ » de Nextone reproduisaient intégralement le nom commercial « Le Marquis » de l’Hôtel DS, tout en visant des services identiques (hôtellerie).

Or, selon la jurisprudence constante, l’antériorité d’un nom commercial interdit à une marque postérieure d’exploiter un signe similaire, même partiellement, dès lors que le public est susceptible d’établir un lien entre les deux entreprises.

En l’espèce, la coexistence des deux enseignes dans le même secteur et la même zone géographique (Paris) accentuait ce risque. La Cour en a déduit que Nextone avait violé les droits antérieurs d’Helionwood, rendant ses marques illégitimes au sens de l’article L. 711-3 Code de la propriété intellectuelle.

II. La forclusion de l’action en contrefaçon : une sanction de l’inaction du titulaire de la marque

A. Le délai de prescription quinquennal : un instrument de sécurité juridique

  1. Le point de départ du délai : la connaissance de l’usage concurrent par le titulaire de la marque

L’article L. 716-5 Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’action en contrefaçon se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer.

Dans cette affaire, la Cour a retenu que Nextone avait eu connaissance de l’existence de l’Hôtel DS et de son nom commercial dès 2011, soit l’année de dépôt de sa première marque. Pourtant, elle n’avait engagé aucune procédure avant 2021, laissant s’écouler plus de dix ans. Cette inaction prolongée a conduit la Cour à déclarer l’action forclose, conformément à l’ordonnance du Juge (JME) du 9 juillet 2021.

Ce raisonnement repose sur l’idée que la prescription quinquennale protège la sécurité des transactions : il serait injuste de permettre à un titulaire de marque de « dormir sur ses droits » tout en laissant un concurrent investir dans un signe similaire.

  1. L’extinction de l’action en contrefaçon après cinq ans d’inaction (Art. L. 716-5 CPI)

La forclusion prononcée contre Nextone illustre la rigueur avec laquelle les juridictions appliquent le délai de prescription. La Cour a rappelé que ce délai est d’ordre public : il ne peut être interrompu ou suspendu, sauf dans des cas exceptionnels (fraude, dissimulation).

En l’absence de preuve d’un comportement déloyal d’Helionwood, Nextone ne pouvait invoquer aucune cause d’interruption. Cette solution s’inscrit dans une logique de stabilisation des situations juridiques : au-delà de cinq ans, l’exploitant du nom commercial acquiert une forme d’immunité, préservant ses investissements passés.

B. Les conséquences pratiques de la forclusion : immunité acquise et risques stratégiques

  1. La consolidation des droits de l’exploitant du nom commercial

La forclusion entraîne une validation rétroactive de l’usage contesté : Helionwood et l’Hôtel DS peuvent continuer à utiliser le nom « Le Marquis » sans crainte d’action en contrefaçon. Cette immunité est renforcée par le principe de confiance légitime : les tiers doivent pouvoir se fier à la pérennité d’un signe exploité ouvertement et durablement.

La Cour a ainsi souligné que l’Hôtel DS avait légitimement cru en la licéité de son nom commercial, en l’absence de contestation pendant plus d’une décennie.

  1. Les enseignements pour la gestion des portefeuilles de marques : diligence et surveillance proactive

Cet arrêt rappelle avec force l’importance d’une surveillance active des signes distinctifs par les titulaires de marques. Nextone a été sanctionnée pour son défaut de réactivité, malgré une connaissance précoce du risque de confusion. Les entreprises doivent donc :

– Cartographier les antériorités avant tout dépôt de marque, via des recherches d’antériorités étendues (noms commerciaux, enseignes, droits d’auteur).

– Surveiller régulièrement le marché pour détecter les usages concurrents et agir dans le délai de prescription. –

Documenter les preuves d’usage de leurs propres signes, afin de pouvoir opposer une antériorité en cas de litige.

Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris réaffirme l’équilibre délicat entre protection des marques et respect des droits antérieurs issus de l’usage. Il invite les acteurs économiques à conjuguer vigilance juridique et stratégie commerciale, sous peine de voir leurs droits s’éroder par l’effet du temps ou de la concurrence.

Pour lire un article plus complet sur l’usage commercial et la protection des marques, cliquez

Sources :

  1. 06 décembre 2024 – Cour d’appel, Pôle 5 – Chambre 2 – 23/01475 | Dalloz
  2. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 20 novembre 2012, 11-23.216, Publié au bulletin – Légifrance
  3. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 18 octobre 2023, 20-20.055, Publié au bulletin – Légifrance
  4. Article L716-5 – Code de la propriété intellectuelle – Légifrance
  5. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 6 avril 2022, 17-28.116, Publié au bulletin – Légifrance

Parasitisme : un quasi droit de propriété intellectuelle ?

Le parasitisme est un concept juridique qui suscite un intérêt croissant au sein des débats contemporains sur la propriété intellectuelle. Il se définit comme la pratique consistant à tirer profit des efforts, de la réputation ou du savoir-faire d’autrui, sans autorisation ni contrepartie, ce qui soulève des questions fondamentales sur les limites de la protection des droits intellectuels et de la concurrence loyale.

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En effet, dans un monde où l’innovation et la créativité sont des moteurs essentiels de la croissance économique, le phénomène du parasitisme met en lumière les tensions qui peuvent exister entre la protection des droits d’auteur, des marques et des brevets d’une part, et le besoin de garantir une concurrence saine et loyale sur les marchés d’autre part.

Historiquement, le parasitisme est souvent associé à des pratiques telles que le « free riding », où un acteur économique profite des investissements d’un concurrent sans en assumer les coûts. Ce phénomène est particulièrement prévalent dans les secteurs où la notoriété et l’image de marque jouent un rôle clé, tels que la mode, la musique ou encore le cinéma. Par exemple, dans l’affaire « L’Oréal SA c. Bellure NV » (2009), la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si l’utilisation de noms de marque similaires pour des produits contrefaits pouvait constituer un acte de parasitisme. La Cour a jugé que la protection de la réputation d’une marque contre le parasitisme est essentielle pour préserver la confiance des consommateurs et garantir une concurrence loyale.


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L’impact du parasitisme ne se limite pas à la sphère économique ; il s’étend également à des questions de morale et d’éthique, remettant en question les valeurs fondamentales qui devraient guider les relations commerciales. Par exemple, la jurisprudence française a caractérisé et condamné la faute de parasitisme des sociétés Phoenix et Intersport, qui ont indûment capté la valeur économique identifiée et individualisée, fruit des investissements des sociétés Decathlon. Cette décision illustre comment le parasitisme peut nuire non seulement à la réputation d’une entreprise, mais également à l’ensemble d’un secteur, en faussant les règles du jeu concurrentiel.

Dans le cadre du droit français, le parasitisme est souvent considéré comme une atteinte à la concurrence déloyale, qui se manifeste par des actes de déloyauté à l’égard des concurrents. Selon l’article 1240 du Code civil, « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ».

Cette disposition légale a été interprétée par la jurisprudence pour inclure des comportements parasitaires. Par exemple, dans un arrêt de la Cour de cassation, la cour a condamné une société qui avait imité le packaging d’un produit emblématique d’un concurrent, arguant que cette imitation avait pour but de profiter de la notoriété de la marque imitée, constitutive d’un acte de parasitisme.

En outre, le parasitisme soulève des questions complexes concernant la frontière entre l’imitation licite et illicite. La jurisprudence a développé des critères permettant d’évaluer la légitimité des pratiques commerciales, prenant en compte des éléments tels que l’originalité de l’œuvre, la notoriété de la marque en question et le risque de confusion dans l’esprit du consommateur. Cela témoigne d’un équilibre délicat à établir entre la protection des droits des créateurs et l’encouragement d’une saine concurrence sur le marché.

Ainsi, le parasitisme peut être perçu comme un quasi-droit de propriété intellectuelle, dans la mesure où il engendre des droits et des obligations pour les acteurs économiques. Il pose la question de savoir si la simple imitation ou l’exploitation des efforts d’autrui peut être justifiée au nom de la concurrence, ou si, au contraire, elle doit être réprimée pour protéger les droits des créateurs et des innovateurs. Cette interrogation est d’autant plus pertinente à l’heure où les nouvelles technologies et les plateformes numériques modifient les dynamiques du marché, rendant la détection et la répression du parasitisme plus complexes que jamais.

Le parasitisme représente un enjeu majeur dans le domaine du droit de la propriété intellectuelle. Il remet en question les fondements mêmes de la protection juridique des créations et des innovations, tout en mettant en lumière les enjeux de la concurrence sur un marché globalisé. La recherche d’un équilibre entre la protection des droits des créateurs et la préservation d’une concurrence loyale demeure un défi constant pour les juristes, les législateurs et les acteurs économiques, dans un contexte où les pratiques commerciales évoluent rapidement.

I. Le parasitisme : définition et fondements juridiques

A. Notion de parasitisme et distinctions avec d’autres concepts juridiques

  1. Définition et caractéristiques du parasitisme

Le parasitisme, dans le contexte du droit de la propriété intellectuelle et de la concurrence, se réfère à une pratique où une entreprise ou un individu exploite les efforts, la créativité ou la renommée d’un tiers, sans lui accorder de compensation ou de reconnaissance appropriée.

Cette conduite est souvent perçue comme une forme de concurrence déloyale, car elle s’appuie sur le travail et la réputation d’autres pour s’engager dans des pratiques commerciales profitables, tout en minimisant ou en ignorant les contributions initiales du créateur. En pratique, le parasitisme se manifeste souvent par la reproduction ou l’imitation d’un produit, d’une marque ou d’une œuvre sans autorisation. Cela peut inclure, par exemple, l’utilisation d’un slogan publicitaire qui a été popularisé par un concurrent, ou le lancement d’un produit qui imite de manière frappante le design d’un produit déjà établi sur le marché.

Ce comportement soulève des questions éthiques et juridiques, car il remet en cause les principes de loyauté et d’équité qui devraient régir les relations commerciales. Un exemple emblématique dans la jurisprudence française est l’affaire « L’Oréal c. Bellure », où la Cour de cassation a reconnu que des produits contrefaisant des marques célèbres pouvaient constituer un acte de parasitisme, car ils tiraient parti de la notoriété et des efforts publicitaires de L’Oréal. La Cour a affirmé que Bellure avait agi de manière déloyale en exploitant la réputation de L’Oréal pour promouvoir ses propres produits, sans en avoir créé la valeur ajoutée.

  1. Distinction entre parasitisme, contrefaçon et concurrence déloyale

Il est essentiel de distinguer le parasitisme des concepts de contrefaçon et de concurrence déloyale, bien que ces notions soient souvent interconnectées.

La contrefaçon, par définition, se réfère à l’utilisation non autorisée d’une œuvre protégée par des droits d’auteur, une marque déposée ou un brevet. Cela implique généralement une violation directe d’un droit de propriété intellectuelle établi, ce qui n’est pas toujours le cas dans le parasitisme. En effet, le parasitisme peut se produire dans des situations où il n’existe pas de droits formels en jeu.

La concurrence déloyale, quant à elle, englobe un éventail plus large de comportements commerciaux inéquitables, incluant la diffamation, la désinformation sur un concurrent ou encore l’usage de moyens déloyaux pour capter une clientèle.

Le parasitisme peut être considéré comme une sous-catégorie de la concurrence déloyale, se concentrant spécifiquement sur l’exploitation injuste de la réputation ou des efforts d’un concurrent. Un exemple illustratif pourrait être celui d’une entreprise qui lance un produit similaire à celui d’un concurrent, mais sans copier directement le design ou le slogan. Si cette entreprise parvient à attirer des clients en s’appuyant sur la notoriété de son concurrent, elle pourrait être accusée de parasitisme, même si elle ne viole pas de droits de propriété intellectuelle.

La jurisprudence française a reconnu cette distinction, notamment dans l’affaire « Société des Éditions Louis VUITTON c. A. B. », où la Cour a souligné que le simple fait de s’inspirer d’un produit reconnu ne constitue pas nécessairement un acte de contrefaçon, mais peut relever du parasitisme si l’intention de tirer profit de la renommée d’autrui est avérée.

B. Cadre juridique du parasitisme en France

  1. La jurisprudence : cas emblématiques et analyses

La jurisprudence française a joué un rôle déterminant dans la définition et la reconnaissance du parasitisme en tant que concept juridique. Plusieurs affaires notables illustrent cette dynamique. Le parasitisme publicitaire est une autre forme de parasitisme dans laquelle une entreprise utilise des éléments publicitaires appartenant à une autre entreprise pour tirer profit de sa notoriété. Cela inclut l’utilisation de formats publicitaires ou de slogans similaires à ceux d’un concurrent, créant ainsi une confusion dans l’esprit des consommateurs.

Dans une affaire récente (CA Paris, 3 avril 2024, n° 21/05018), une société a été condamnée pour avoir utilisé un terme et un format publicitaire similaires à ceux d’un concurrent, créant ainsi un risque de confusion chez les clients. Les juges ont considéré cet usage comme un acte de parasitisme, car l’entreprise fautive profitait de la réputation et des efforts publicitaires de son concurrent sans y avoir contribué.

Élargissement aux Associations et Organismes Publics

Cet élargissement est particulièrement notable dans les affaires où des organismes publics ou des associations ont été reconnus comme victimes de parasitisme. Par exemple, dans une affaire de 2024, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) a remporté un procès contre un laboratoire pharmaceutique qui utilisait ses découvertes sans y avoir contribué financièrement. La Cour d’appel de Paris a jugé que, même en l’absence d’un but lucratif, un organisme public peut engager une action en parasitisme pour protéger ses efforts et ses résultats scientifiques (CA Paris, 29 mars 2024, n° 23/10181).

Cette jurisprudence marque une rupture avec la définition traditionnelle, en admettant que des entités non commerciales peuvent également être protégées contre des actes parasitaires.

Cour d’appel de Paris – 16 octobre 2024 – CHANEL / JONAK

Les éléments constitutifs du parasitisme ont été considérés comme présents dans cette décision qui a fait grand bruit dans le secteur de la mode.

Chanel commercialise depuis de nombreuses années un modèle de chaussures dit « slingback » beige et noire. La société a également décliné la bandoulière « chaine » de son sac 2.55 sur de nombreux accessoires. Elle a considéré que JONAK portait atteinte à ses codes distinctifs et identitaires en commercialisant plusieurs souliers reprenant soit le code couleur beige à bout contrastant noir, soit une chaine entrelacée de cuir.

Chanel a réussi à établir devant la Cour une large connaissance de ses produits en cause par le public et à démontrer la valeur économique individualisée qui justifiait sa réclamation, notamment par le biais d’un sondage sur un panel de 500 femmes, une large exposition dans différents médias depuis de nombreuses années, une revue de presse conséquente, des investissements importants pour promouvoir ces souliers.

La condamnation de Jonak reste toutefois limitée à 150.000 euros au titre du préjudice économique, ce qui n’est sans doute pas en relation avec les investissements engagés et les bénéfices réalisés par Jonak.

  1. Les textes juridiques encadrant la notion de parasitisme

Bien que le parasitisme ne soit pas explicitement défini dans le Code de la propriété intellectuelle français, il est néanmoins encadré par des dispositions relatives à la concurrence déloyale et à la protection des droits de propriété intellectuelle.

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du Code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis est souvent invoqué dans des affaires de parasitisme. Cet article établit le principe de la responsabilité délictuelle, permettant aux victimes de parasitisme de demander réparation pour les préjudices subis.

  • Il appartient à celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque : Le parasitisme implique la preuve d’une valeur économique identifiée et individualisée (Cass. com. 26-6-2024 no 22-17.647 FS-BR, Sté Intersport France c/ Sté Decathlon)
  • ainsi que la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage

Celui qui se prétend victime de parasitisme économique doit démontrer l’existence d’une valeur économique identifiée et individualisée, condition préalable pour rechercher la responsabilité civile de celui qui, se plaçant dans son sillage, capte indûment ses efforts. (Cass. com. 26-6-2024 no 23-13.535 FS-BR, Sté Maisons du monde France c/ Sté Auchan e-commerce France ; Cass. com. 26-6-2024 no 22-17.647 FS-BR, Sté Intersport France c/ Sté Decathlon).

Par ailleurs, l’article L. 121-1 du Code de la consommation prohibe les pratiques commerciales trompeuses et déloyales, offrant ainsi une base juridique pour lutter contre des comportements parasitaires. La jurisprudence a également élargi ce cadre, comme en témoigne l’affaire « Société Célio c. Société des Éditions du Cerf » dans laquelle la Cour a affirmé que l’imitation d’un produit emblématique sans accord constituait une atteinte à la loyauté des pratiques commerciales, renforçant ainsi la lutte contre le parasitisme.

II. Les implications du parasitisme sur la propriété intellectuelle

A. Impact sur les droits des créateurs et des entreprises

  1. Les effets du parasitisme sur l’innovation et la créativité

Le parasitisme, en tant que pratique consistant à tirer profit des efforts d’autrui sans en avoir la légitimité, entraîne des répercussions profondes sur le paysage de l’innovation et de la créativité. Dans un contexte économique où l’innovation est souvent le moteur de la croissance, le parasitisme peut entraîner des conséquences délétères sur la capacité des entreprises à innover. L’innovation repose sur la volonté des créateurs et des entreprises d’investir dans la recherche et le développement (R&D). Lorsqu’une entreprise consacre des ressources considérables à la conception d’un produit ou d’un service, elle s’attend légitimement à en récolter les fruits. Cependant, le parasitisme peut réduire cet incitatif. En effet, la possibilité que des concurrents opportunistes imitent les innovations sans avoir à investir dans leur propre recherche peut décourager les entreprises d’explorer de nouvelles avenues créatives. Un exemple pertinent est celui de la société Apple. Dans les années 2000, Apple a lancé l’iPhone, un produit révolutionnaire qui a redéfini le marché des smartphones.

Cependant, le succès de l’iPhone a rapidement attiré l’attention de nombreuses entreprises concurrentes, qui ont commencé à produire des smartphones imitant le design et les fonctionnalités de l’iPhone. Ces imitations, souvent de moindre qualité, ont non seulement sapé les ventes d’Apple, mais ont également créé une confusion dans l’esprit des consommateurs. La réponse d’Apple a été de renforcer ses efforts en matière de protection de la propriété intellectuelle, en multipliant les dépôts de brevets et en engageant des poursuites judiciaires contre les entreprises qui enfreignaient ses droits.

  1. La réaction des créateurs face au parasitisme : stratégies de protection

Face à la menace du parasitisme, les créateurs et les entreprises doivent adopter des stratégies de protection robustes pour défendre leurs droits de propriété intellectuelle. Ces stratégies peuvent prendre plusieurs formes, allant de l’enregistrement de droits à la mise en place de politiques internes visant à prévenir le parasitisme.

Tout d’abord, l’enregistrement des droits de propriété intellectuelle constitue une étape essentielle pour protéger les créations. En France, le droit d’auteur protège automatiquement les œuvres originales dès leur création, mais les créateurs peuvent également choisir d’enregistrer leurs œuvres auprès de l’INPI pour renforcer leur position légale. Par exemple, l’enregistrement d’une marque permet à l’entreprise de revendiquer des droits exclusifs sur celle-ci et de poursuivre en justice quiconque tenterait de l’imiter.

De plus, les entreprises doivent sensibiliser leur personnel à l’importance de la protection de la propriété intellectuelle. Cela peut inclure la formation des employés sur les droits de propriété intellectuelle, la création de procédures pour signaler les cas suspects de parasitisme et l’adoption de politiques internes visant à protéger les secrets commerciaux.

Un exemple illustratif est celui de la société L’Oréal, qui a mis en place des équipes dédiées à la surveillance des contrefaçons et des pratiques parasitaires. En 2018, L’Oréal a engagé des poursuites contre plusieurs entreprises qui commercialisaient des produits de beauté contrefaits, utilisant des emballages similaires à ceux de L’Oréal. La Cour a statué en faveur de L’Oréal, renforçant ainsi l’idée que la protection de la propriété intellectuelle est essentielle pour préserver l’intégrité des marques et des produits.

B. Perspectives d’évolution et enjeux futurs

  1. Vers une évolution législative ? Propositions et débats

Les défis posés par le parasitisme et la contrefaçon ont incité les législateurs à envisager des évolutions législatives pour renforcer la protection de la propriété intellectuelle.

En France, plusieurs propositions ont été avancées pour adapter le cadre juridique aux nouvelles réalités économiques et technologiques. Un débat important concerne l’élargissement de la définition du parasitisme dans le cadre du droit de la concurrence déloyale. Actuellement, le parasitisme est souvent perçu à travers le prisme de la contrefaçon ou de l’imitation déloyale, mais une définition plus large pourrait inclure des pratiques telles que le détournement d’une clientèle ou l’usage abusif d’une réputation sans consentement. Cela pourrait permettre aux entreprises de mieux défendre leurs droits dans un contexte où les frontières entre le légitime et l’illégitime sont de plus en plus floues.

Un autre axe de réflexion pourrait consister à renforcer les sanctions à l’encontre des pratiques parasitaires. Actuellement, les sanctions pour contrefaçon peuvent varier considérablement en fonction de la gravité des actes et de la volonté des tribunaux de protéger les droits des créateurs. Des propositions ont été avancées pour établir un cadre de sanctions minimales afin de dissuader les comportements parasitaires, ce qui pourrait inclure des amendes significatives et des compensations pour les entreprises victimes.

Par ailleurs, le développement des technologies numériques et des plateformes en ligne pose des défis uniques en matière de parasitisme. Les législateurs doivent envisager des solutions pour mieux encadrer les pratiques commerciales sur ces plateformes, notamment en ce qui concerne la responsabilité des intermédiaires. Par exemple, la question de la responsabilité des sites de commerce électronique face à la vente de produits contrefaits ou imitant doit être clarifiée, afin que les créateurs puissent agir contre les plateformes facilitant ces pratiques.

  1. Les défis contemporains : numérique, globalisation et parasitisme

La globalisation et l’essor du numérique ont profondément modifié le paysage commercial, rendant le parasitisme plus répandu et difficile à combattre. Le commerce électronique permet à des entreprises du monde entier de vendre leurs produits sans présence physique sur le marché local, rendant ainsi plus complexe la traçabilité des contrefaçons et des imitations. En conséquence, les entreprises doivent faire face à un environnement où les produits contrefaits peuvent circuler librement, souvent sans que les consommateurs en soient conscients. Un exemple emblématique est celui des plateformes de vente en ligne comme Amazon, où des tiers peuvent vendre des produits qui imitent des marques célèbres.

Les entreprises doivent donc intensifier leurs efforts pour surveiller ces plateformes et protéger leurs droits. Cela peut inclure l’utilisation de technologies de détection de contrefaçon, telles que des algorithmes d’intelligence artificielle capables d’identifier des produits similaires à ceux d’une marque donnée.

De plus, la globalisation a également entraîné des disparités dans les législations nationales concernant la propriété intellectuelle. Alors que certaines régions, comme l’Union européenne, disposent de lois strictes sur la protection de la propriété intellectuelle, d’autres pays peuvent avoir des réglementations plus laxistes, ce qui complique la lutte contre le parasitisme à l’échelle mondiale. Les entreprises doivent donc naviguer dans un environnement juridique complexe et souvent inégal, ce qui peut affaiblir leur capacité à se défendre contre les pratiques parasitaires. La nécessité d’une coopération internationale est plus importante que jamais.

Les accords multilatéraux, tels que l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), offrent un cadre pour harmoniser les protections, mais leur mise en œuvre reste inégale. Les entreprises doivent ainsi plaider pour une meilleure coopération entre les gouvernements afin de renforcer les protections des droits de propriété intellectuelle à l’échelle mondiale.

Enfin, la montée en puissance des start-ups et des entreprises innovantes dans le secteur numérique pose également des défis. Ces entreprises, souvent à la pointe de l’innovation, doivent protéger leurs créations tout en naviguant dans un écosystème complexe où le parasitisme peut rapidement compromettre leurs efforts. Des initiatives telles que les incubateurs d’entreprises et les programmes de mentorat peuvent aider ces start-ups à mieux comprendre leurs droits et à développer des stratégies de protection efficaces.

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Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 26 juin 2024, 22-17.647 22-21.497, Publié au bulletin – Légifrance
  2. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 26 juin 2024, 22-17.647 22-21.497, Publié au bulletin – Légifrance
  3. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 5 janvier 2022, 19-23.701, Inédit – Légifrance
  4. L’arrêt de la Cour de justice du 18 juin 2009 | Cairn.info
  5. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 16 février 2022, 20-13.542, Publié au bulletin – Légifrance
  6. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 20 septembre 2016, 14-25.131, Publié au bulletin – Légifrance
  7. Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 3 juillet 2001, 98-23.236 99-10.406, Publié au bulletin – Légifrance