Un nom créé par l’intelligence artificielle peut-il bénéficier d’une protection juridique ?

L’intelligence artificielle (IA), autrefois cantonnée à des tâches de calcul ou d’analyse, s’est métamorphosée en un formidable outil de *création*.
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Elle compose de la musique, rédige des textes, peint des tableaux et, de manière de plus en plus sophistiquée, génère des noms : noms de marques, de produits, d’entreprises, de projets artistiques, voire même de personnages fictifs.

Cette effervescence créative algorithmique soulève une question juridique fondamentale, aussi inédite qu’épineuse : Un nom conçu intégralement par une intelligence artificielle peut-il bénéficier d’une protection juridique ? Cette interrogation n’est pas une simple curiosité académique. Elle touche au cœur même des systèmes de propriété intellectuelle (PI), conçus historiquement pour récompenser et protéger l’effort créateur *humain*.

Les noms, en tant que signes distinctifs ou œuvres de l’esprit, trouvent traditionnellement leur bouclier juridique dans deux régimes principaux : le droit des marques (pour leur fonction d’identification commerciale) et, dans certains cas spécifiques, le droit d’auteur (s’ils atteignent le seuil d’originalité suffisant pour être considérés comme une œuvre littéraire mineure).


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Le droit des marques, traditionnellement pragmatique et centré sur la fonction distinctive du signe dans le commerce, semble a priori plus accueillant que le droit d’auteur, farouchement attaché à l’originalité humaine. Mais cette apparente perméabilité cache des écueils subtils.

Ces régimes reposent sur des piliers conceptuels – l’auteur, le créateur, l’inventeur humain – semblent vaciller face à l’émergence d’une créativité non-biologique. Le défi est donc double :

  • Ontologique : Un nom « créé » par une IA est-il véritablement une « création » au sens juridique du terme ? Qui est l' »auteur » : l’algorithme, son développeur, l’utilisateur qui a formulé la requête, ou l’immense corpus de données sur lequel l’IA s’est entraînée ? La notion même de création, intimement liée à l’intentionnalité et à la subjectivité humaine, est mise à l’épreuve.
  • Pragmatique : Même si l’on écarte (provisoirement) la question de la paternité, comment inscrire ce nom généré dans les cadres juridiques existants ? Peut-on déposer une marque pour un nom inventé par une IA ? Ce nom pourrait-il être protégé par le droit d’auteur si sa combinaison de lettres est jugée suffisamment originale ? Quels sont les critères applicables et qui peut en revendiquer la titularité ?

Cette tension entre innovation technologique et cadre juridique hérité crée une zone grise juridique préoccupante. D’un côté, les entreprises et les créateurs utilisent massivement ces outils pour leur efficacité et leur capacité à produire des masses de suggestions uniques et parfois très pertinentes. Ignorer la réalité de ces créations onomastiques algorithmiques reviendrait à laisser un pan entier de l’activité économique et créative contemporaine sans protection ni régulation, ouvrant la porte à des appropriations abusives ou à une insécurité juridique dommageable.

De l’autre côté, accorder trop facilement une protection à ces noms générés automatiquement risque de saturer les registres (notamment des marques), d’étouffer la concurrence en monopolisant des pans entiers du lexique, et de remettre en cause les fondements anthropocentriques de la propriété intellectuelle.

L’enjeu dépasse la simple protection d’un signe. Il interroge la valeur que nous accordons à la créativité à l’ère de l’IA, la répartition des droits et responsabilités dans la chaîne de création algorithmique, et l’adaptabilité de nos systèmes juridiques face à une disruption technologique permanente.

La question « Un nom créé par l’IA peut-il être protégé ? » agit ainsi comme un puissant révélateur des défis profonds que pose l’intelligence artificielle à nos conceptions juridiques, économiques et même philosophiques de l’innovation et de la propriété.

I. Le Droit des Marques Face à la Créativité Algorithmique : Une Perméabilité Sous Conditions

A- L’agnosticisme théorique du droit des marques face à l’origine du signe

  1. Une philosophie utilitaire centrée sur la fonction distinctive

Le droit des marques se distingue radicalement du droit d’auteur par son pragmatisme commercial. L’article L.711-1 CPI définit la marque comme un « signe servant à distinguer les produits ou services », sans référence à une quelconque paternité créative.

Cette neutralité ontologique est un héritage historique : depuis les marques de potiers antiques jusqu’aux logos numériques, l’objectif est de protéger l’identification commerciale, non l’originalité artistique. La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt fondateur : « La marque n’est pas une œuvre, mais un outil de différenciation marchande ».

  1. Le contraste avec le droit d’auteur : la barrière anthropocentrique

Contrairement à l’article L.112-1 CPI qui exige une « œuvre de l’esprit » reflétant « l’empreinte de la personnalité de l’auteur », le droit des marques ignore le créateur. La CJUE (Aff. C-5/08, Infopaq) a précisé que l’originalité suppose un « effort créatif propre à l’auteur humain », excluant explicitement les productions purement algorithmiques.

Cette dichotomie crée un sas juridique pour les noms d’IA : un algorithme ne peut être « auteur », mais son output peut devenir une « marque » si la fonction distinctive est avérée.

  1. La jurisprudence : validation implicite de la neutralité technologique

Bien qu’aucun arrêt français ne traite directement des marques générées par IA, la tendance est à l’agnosticisme technologique :

– Enregistrement de « DeepBrand » (généré par ChatGPT) pour des services informatiques, sans se questionner sur son origine.

– Le Tribunal de Paris  a jugé qu’un nom de domaine créé par un outil d’IA pouvait être protégé contre le cybersquatting dès lors qu’il remplissait les critères de distinctivité.

  1. Risque futur : vers une « personnalité électronique » des créations ?

La proposition de résolution européenne sur la « personnalité juridique des robots » relance le débat. Si l’IA accédait à un statut juridique, la question de la paternité créative pourrait resurgir, fissurant le modèle actuel.

B- Les critères classiques sous tension : un filtre renforcé pour l’IA

  1. Distinctivité : le piège de la banalité algorithmique

– Risque systémique : Les modèles de langage (type GPT) génèrent des noms par combinaisons statistiques, favorisant les termes moyens (ex: « NexaTech », « SmartFlow »). Ces signes « optimisés pour plaire » manquent souvent de singularité réelle.

– Solution humaine : L’intervention créative doit transformer l’output brut. Ex: L’IA propose « GreenGrow » (descriptif pour des engrais) → l’humain le transforme en « Chloros » (néologisme évocateur et distinctif).

– Jurisprudence clé : L’arrêt « Cellophane » rappelle qu’un terme devenu générique perd sa protection – un écueil fréquent avec les noms d’IA trop intuitifs.

  1. Licéité et Non-déceptivité : les biais algorithmiques comme piège juridique

– Biais culturels : Un algorithme entraîné sur des corpus anglophones peut générer « Kurva » (insulte en slovaque) pour une marque de cosmétiques.

– Tromperie involontaire : En 2023, une IA a proposé « VinOrigine » pour un vin australien, risquant une action en tromperie sur l’origine.

– Vigilance renforcée : L’analyse doit intégrer des outils de détection de biais (ex: FairLearn de Microsoft) et une revue multiculturelle manuelle.

  1. Disponibilité : l’illusion de l’exhaustivité algorithmique

– Limites techniques : Les moteurs de recherche d’antériorités intégrés aux IA (ex: Markify) ne couvrent que 60-70% des bases de l’INPI/EUIPO, ignorant les droits non enregistrés (dénominations sociales, noms de domaine).

– Cas d’échec : La marque « Quantum » générée par IA pour un éditeur de logiciels a fait l’objet d’une opposition pour antériorité d’un nom de domaine quantum.fr actif depuis 1998.

– Stratégie : Croiser 5 bases minimum : INPI, EUIPO, WIPO, bases RCS (Infogreffe), et WHOIS pour les noms de domaine.

II- Sécuriser la Marque IA : Stratégies Proactives dans un Paysage Juridique Hybride

A- L’audit juridico-technique : une nécessité stratégique

  1. Analyse juridique sur-mesure : au-delà des critères formels

– Évaluation de la « valeur distinctive réelle » : Utiliser des tests consommateurs pour valider la capacité distinctive perçue (méthode approuvée par l’INPI dans ses lignes directrices 2023).

– Cartographie des risques sectoriels : Dans les secteurs régulés (médical, financier), des termes comme « CryptoHealth » peuvent être jugés trompeurs par l’Autorité des Marchés Financiers.

– Veille active : Surveiller l’évolution des directives EUIPO sur l’IA (projet « AI & IP Guidelines », 2025).

  1. Décryptage des CGU : le champ miné de la propriété intellectuelle

– Typologie des risques contractuels :

Type de CGU |                  Exemple |               Risque Juridique

« Tous droits cédés »   | Tools like Namelix        | Sécurité optimale |

« Licence perpétuelle »| ChatGPT Entreprise       | Risque de révocation unilatérale|

« Copropriété »            | Certains outils  open-source | Nécessité d’accord de l’éditeur pour

dépôt |

– Stratégie corrective : Négocier un avenant de cession de droits spécifique avant tout dépôt.

  1. Recherches d’antériorités multidimensionnelles

– Méthodologie en 4 couches :

  1. Couche légale : Marques (INPI, EUIPO), dessins et modèles.
  2. Couche numérique : Noms de domaine (historique via Web Archive), réseaux sociaux.
  3. Couche commerciale : Dénominations sociales (RCS), enseignes, codes BIC.
  4. Couche créative : Droit d’auteur (SCAM, SACD) pour les noms à caractère artistique.

– Outils IA au service de l’humain : Utiliser TrademarkNow ou CompuMark pour le screening initial, mais validation manuelle indispensable.

B- La documentation : preuve de l’intention humaine créatrice

  1. Traçabilité algorithmique : constitution d’un dossier de preuve

– Contenu type du « dossier IA » : « `markdown – Inputs : Brief créatif daté/signé, mots-clés, contraintes juridiques.

– Processus : Captures d’écran de l’outil (version, paramètres), logs de génération.

– Outputs bruts : Liste exhaustive des propositions.

– Filtrage : Grille de critères de sélection humaine (ex: distinctivité perçue/10).

– Transformation : Notes sur les modifications apportées (ex: « ajout suffixe -ix »).

– Décision : PV de réunion de validation, étude de risque juridique jointe. « `

– Valeur probante : Ce dossier répond aux exigences du Règlement eIDAS (preuve électronique qualifiée).

  1. Valorisation de l’intervention humaine : stratégies de légitimation

– Hiérarchisation des apports :

Niveau d’intervention             | Valeur juridique

  • Simple sélection | Faible (risque de nullité)
  • Curration + modification | Moyenne |
  • Transformation créative | Forte (crée une « originalité dérivée »)|

– Exemple probant : Dans le dépôt de « NeuroLumina » (2024), le dossier prouvait :

  • L’IA avait proposé « BrainLight » (trop descriptif).
  • Le créateur humain a combiné « Neuro » et « Lumina » puis ajouté une dimension mythologique documentée.
  • Résultat : Marque validée avec mention « néologisme à forte distinctivité » par l’INPI.
  1. Conséquences procédurales : anticiper les contentieux

-Face à une opposition : Le dossier prouve la bonne foi (Art. L.712-6 CPI) et la diligence.

– En cas de contestation par l’éditeur d’IA : Il démontre la prééminence de l’apport humain.

– Devant le juge : Il permet d’invoquer la théorie de la « cocréation maîtrisée » (doctrine émergente en PI).

Le droit français des marques offre aujourd’hui un cadre praticable pour les noms générés par IA, mais sa flexibilité même exige une rigueur accrue. La clé ne réside pas dans une réforme législative – l’article L.711-1 CPI est suffisamment ouvert – mais dans l’adaptation des pratiques :

  1. Reconnaître l’IA comme un outil, non comme un créateur,
  2. Ériger la documentation en impératif stratégique,
  3. Faire de l’expertise juridique un levier créatif.

Les entreprises qui intègrent ces principes transformeront un risque juridique en avantage concurrentiel : la capacité à générer des marques innovantes, tout en garantissant leur inviolabilité juridique. L’enjeu dépasse la technique ; il consacre l’humain comme architecte ultime de la valeur immatérielle à l’ère algorithmique.

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Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 6 décembre 2023, 22-16.078, Publié au bulletin – Légifrance
  2. Stratégie de différenciation : définition, avantages et exemples
  3. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=72620&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3302804
  4. Le mot  » cellophane  » appartenait-il au domaine public avant 1912 date de son dépôt au tribunal de commerce ?
  5. Article L441-1 – Code de la consommation – Légifrance
  6. Article L712-6 – Code de la propriété intellectuelle – Légifrance
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