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Condamnation de Doctrine.fr pour concurrence déloyale : un tournant dans le marché des bases de données juridiques

Le 7 mai 2025, la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt déterminant qui pourrait redéfinir les règles du jeu dans le secteur des bases de données juridiques en France.
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La société Forseti, éditrice de la plateforme Doctrine.fr, a été condamnée à verser des dommages et intérêts s’élevant à 40 000 € à Lexbase, Lextenso et Lamy Liaisons, ainsi que 50 000 € à Dalloz et LexisNexis, en raison de pratiques jugées déloyales.

Cette décision, qui fait suite à un litige amorcé en 2018, met en lumière les tensions entre les acteurs traditionnels et les nouveaux entrants dans un secteur en pleine mutation. L’émergence de Doctrine.fr a été fulgurante : en à peine deux ans, la plateforme a réussi à constituer un fonds jurisprudentiel impressionnant de 10 millions de décisions judiciaires. Cette avancée rapide a non seulement bouleversé le paysage des bases de données juridiques, mais a également suscité des inquiétudes parmi les acteurs établis, qui ont accusé Forseti d’avoir construit son succès commercial sur des fondations illégales.

Selon les plaignants, la société aurait contourné les procédures légales pour accéder à des centaines de milliers de jugements, exploitant ainsi une stratégie qu’ils considèrent comme contraire à l’éthique et à la loi. Les accusations portées contre Forseti ont été initialement rejetées par le tribunal de commerce de Paris en 2023, mais la décision de la cour d’appel en 2025 a renversé la tendance. Les juges ont souligné que l’avantage concurrentiel dont bénéficiait Forseti reposait sur des pratiques déloyales.


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Ils ont minutieusement examiné les méthodes de collecte d’information de Doctrine.fr, concluant que Forseti avait violé les règles régissant l’accès aux décisions des tribunaux de première instance. Par exemple, la société aurait eu recours à des directeurs de greffe sans consultation préalable, détourné une convention de recherche avec le Conseil d’État visant à l’anonymisation de jugements administratifs, et exploité illégalement des données issues des tribunaux de commerce après la rupture de son partenariat avec Infogreffe.

Ces manœuvres, qualifiées de « graves, précises et concordantes » par la cour, ont permis à Forseti de s’imposer rapidement sur le marché tout en privant ses concurrents d’un accès équitable aux ressources jurisprudentielles. Toutefois, la cour a également rejeté les accusations de pratiques commerciales trompeuses et de parasitisme, limitant ainsi la portée de la condamnation. Ce jugement ouvre la voie à des réflexions profondes sur l’équilibre à trouver entre l’innovation numérique, le respect des règles de concurrence et la protection des données juridiques. Il est crucial de noter que cette décision ne concerne pas uniquement Forseti, mais a des implications pour l’ensemble du secteur. Les acteurs historiques, qui étaient en difficulté face à la montée en puissance de Doctrine.fr, voient dans ce jugement une validation de leurs préoccupations concernant l’intégrité des pratiques commerciales dans le domaine des données juridiques.

Par ailleurs, cette affaire soulève des questions fondamentales sur la manière dont les nouvelles technologies et les start-ups doivent naviguer dans un environnement juridique complexe, où les règles ne sont pas toujours claires et où l’innovation peut parfois entrer en conflit avec des pratiques établies.

En somme, cette décision de la cour d’appel de Paris représente un tournant majeur dans le marché des bases de données juridiques. Elle illustre les tensions croissantes entre les anciens et les nouveaux acteurs, tout en soulignant l’importance d’un cadre réglementaire adapté à l’évolution rapide des technologies. Alors que le secteur continue de se transformer, il est essentiel que les acteurs concernés réfléchissent à des pratiques éthiques et légales pour garantir un environnement concurrentiel sain, respectant à la fois l’innovation et la protection des droits d’accès à l’information juridique.

I. Les fondements juridiques de la condamnation pour concurrence déloyale

A. Une collecte illicite de décisions de justice

  1. Violation des règles d’accès aux tribunaux judiciaires

La cour d’appel a établi que Forseti avait systématiquement contourné les procédures légales pour collecter des centaines de milliers de décisions de justice issues des tribunaux judiciaires de première instance.

Selon l’article R.123-5 du Code de l’organisation judiciaire, l’accès aux décisions rendues en audience publique nécessite une autorisation préalable des directeurs de greffe, qui doivent vérifier la finalité de la demande et encadrer la réutilisation des données. Or, Forseti n’a jamais sollicité ces autorisations, contrairement à ses concurrents (LexisNexis, Dalloz), dont les demandes avaient été rejetées ou strictement limitées.

Cette omission volontaire a permis à Forseti de constituer une base de données massivement plus riche que ses rivaux, qui devaient se contenter de décisions publiées sur des plateformes publiques comme Legifrance ou Judilibre, souvent incomplètes ou retardées.

La cour a souligné que cette collecte « sauvage » violait également l’article 6 de la loi informatique et libertés, qui exige un traitement loyal des données. En exploitant des jugements non anonymisés ou partiellement retraités, Forseti a exposé des justiciables à des risques de réidentification, aggravant le préjudice moral invoqué par les plaignants.

  1. Détournement de la convention avec le Conseil d’État

En 2016, Forseti avait conclu une convention de recherche avec le Conseil d’État pour développer un logiciel open source d’anonymisation des décisions de justice administratives. Cette collaboration, présentée comme un projet d’intérêt général, lui a permis d’obtenir des centaines de milliers de jugements administratifs bruts, à condition que leur réutilisation commerciale soit expressément autorisée par le Conseil d’État.

Cependant, Forseti a intégré ces décisions dans sa base payante sans avoir sollicité d’autorisation, violant ainsi la clause de finalité de la convention.

La cour a qualifié ce détournement de « manipulation déloyale », estimant que l’entreprise avait exploité une faille dans le cadre collaboratif pour s’approprier des ressources normalement réservées à la recherche publique. Ce faisant, elle a privé les éditeurs historiques (comme Lextenso, spécialisé en droit administratif) d’un accès équitable à ces données, alors même que ceux-ci devaient négocier des accords coûteux et complexes avec chaque tribunal administratif.

  1. Exploitation post-rupture du partenariat avec Infogreffe

Le partenariat entre Forseti et Infogreffe (Groupement d’Intérêt Économique gérant l’accès aux données des tribunaux de commerce) a été résilié en septembre 2018 en raison de litiges sur les redevances. Malgré cette rupture, Forseti a continué à diffuser 3 millions de décisions issues des tribunaux de commerce, sans pouvoir prouver leur origine licite.

La cour a retenu que l’entreprise avait soit conservé illégalement des données obtenues pendant le partenariat, soit recommencé à les collecter via des méthodes non autorisées (ex. : scraping de sites publics non prévus à cet effet). Ce comportement contraste avec les pratiques des concurrents comme Wolters Kluwer, qui acquérait légalement ces mêmes données via des abonnements payants à Infogreffe, avec des coûts annuels dépassant 100 000 €.

La cour a critiqué le refus de Forseti de produire la convention initiale, invoquant l’article 11 du Code de procédure civile sur l’obligation de communiquer les preuves. Ce « mutisme stratégique » a renforcé la présomption d’illicéité, conduisant à une condamnation pour avantage concurrentiel indu.

B. Un avantage concurrentiel indu et ses conséquences

  1. Trouble commercial causé aux éditeurs historiques l’arrêt met en lumière un préjudice double pour les plaignants :

– Un préjudice économique direct : La base de données de Doctrine.fr, présentée comme « la plus exhaustive du marché », a capté des milliers d’abonnés (avocats, notaires) habituellement fidèles aux éditeurs traditionnels. Par exemple, Lexbase a subi une chute de 15 % de ses ventes entre 2019 et 2022, directement corrélée à l’expansion de Doctrine.fr.

– Un préjudice d’image : Les concurrents ont été perçus comme « moins innovants » face à la plateforme de Forseti, qui mettait en avant des fonctionnalités algorithmiques (recherche sémantique, prédictibilité des jugements) rendues possibles par la masse de données illégalement acquises.

La cour a relevé que Forseti avait instrumentalisé son fonds jurisprudentiel dans ses campagnes marketing, avec des slogans comme « 10 millions de décisions à portée de clic », créant une distorsion de concurrence. Contrairement à ses rivaux, qui devaient financer des juristes pour analyser et indexer manuellement les décisions, Forseti a automatisé ces processus grâce à des données obtenues sans coût.

  1. Distorsion du marché par des méthodes déloyales

L’analyse économique de la cour révèle un déséquilibre structurel :

– Coûts évités par Forseti : L’entreprise a économisé des millions d’euros en frais d’accès aux greffes, de négociation de conventions et d’anonymisation manuelle. Par exemple, LexisNexis dépensait près de 500 000 € annuels pour obtenir légalement 200 000 décisions, tandis que Forseti en collectait 5 millions sans investissement comparable.

– Effet de seuil anticoncurrentiel : La taille critique atteinte par Doctrine.fr a créé une barrière à l’entrée pour de nouveaux acteurs, renforçant la position dominante de Forseti.

Les algorithmes d’IA de la plateforme, nourris par des données illicites, sont devenus plus performants, enfermant le marché dans un cercle vicieux. La cour a aussi noté que les pratiques de Forseti décourageaient l’innovation loyale. Par exemple, Lextenso avait abandonné un projet de moteur de recherche prédictif en 2021, faute de données suffisantes pour rivaliser.

II. Les implications et les limites de l’arrêt

A. Un renforcement des garde-fous contre l’exploitation abusive des données publiques

  1. Clarification des règles post-décret de 2020

Le décret du 29 juin 2020 encadre désormais strictement la réutilisation des décisions de justice, en imposant l’anonymisation et en interdisant leur exploitation commerciale sans autorisation. Toutefois, la cour a rappelé que ce texte ne s’appliquait pas rétroactivement aux collectes antérieures à 2018, invalidant l’argument de Forseti qui tentait de se prévaloir d’un cadre légal posteriori.

Cet arrêt envoie un signal clair aux startups technologiques : l’innovation ne peut justifier la violation des règles existantes. La cour a cité en exemple le RGPD, rappelant que le caractère public de certaines données n’autorise pas leur traitement sans base légale.

  1. Impact sur le marché des éditeurs juridiques

La condamnation financière (230 000 € au total) reste symbolique au regard des profits estimés de Forseti (plusieurs millions d’euros annuels). Cependant, l’arrêt crée une jurisprudence dissuasive :

– Obligation de transparence : Les éditeurs devront désormais documenter scrupuleusement l’origine de leurs données, sous peine de présomption d’illicéité.

– Négociations rééquilibrées avec les greffes : Les tribunaux pourraient durcir les conditions d’accès, comme l’exige déjà la CNIL pour les données sensibles.

B. Le rejet des autres griefs : pratiques trompeuses et parasitisme

  1. Absence de preuves sur les pratiques commerciales trompeuses

Les plaignants accusaient Forseti d’avoir induit les utilisateurs en erreur sur la légalité de sa base de données. La cour a estimé que les mentions légales de Doctrine.fr, bien que vagues, ne constituaient pas une tromperie active. Contrairement à l’affaire Google Shopping (où la manipulation algorithmique était avérée), Forseti n’a pas falsifié ses résultats de recherche.

  1. Parasitisme non retenu : la frontière avec l’inspiration légitime

LexisNexis arguait que Forseti copiait la structure de ses commentaires d’arrêts. La cour a jugé que le parasitisme nécessite une « appropriation spécifique », comme la reprise de textes protégés par le droit d’auteur. Or, les analyses de Doctrine.fr, bien que similaires dans leur forme, résultaient d’un travail éditorial distinct. Ce rejet illustre les limites du droit de la concurrence face à l’inspiration algorithmique, où la frontière entre plagiat et émulation reste floue.

Cet arrêt cristallise les tensions entre l’innovation disruptive et l’éthique concurrentielle dans l’ère numérique. S’il sanctionne fermement les excès de Forseti, il laisse en suspens des questions majeures sur la régulation des algorithmes et la propriété des données publiques.

Les éditeurs juridiques devront désormais naviguer entre collaboration et concurrence, dans un marché où la valeur réside autant dans l’accès aux données que dans leur traitement intelligent.

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Sources :

  1. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 1, arrêt du 7 mai 2025
  2. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Doctrine.fr condamné pour concurrence déloyale
  3. Article R123-5 – Code de l’organisation judiciaire – Légifrance
  4. https://www.cnil.fr/fr/le-cadre-national/la-loi-informatique-et-libertes#article6

LA PROTECTION DU LOGICIEL PAR LE DROIT D’AUTEUR

11Le logiciel occupe aujourd’hui une place importante de l’économie numérique, en effet, celui-ci est embarqué dans de nombreuses machines, il est devenu indispensable. C’est pourquoi il est apparu nécessaire de savoir quelle protection était accordée au logiciel, or la réponse à cette question n’était pas évidente, puisque l’on pouvait hésiter entre une protection accordée via le droit des brevets, le droit d’auteur, ou encore créer un régime propre au logiciel. C’est finalement la protection par le droit d’auteur qui a été choisie.

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Le Code de la propriété intellectuelle n’apporte pas de définition arrêtée en la matière, mais la Commission de terminologie française a apporté des précisions quand au terme de logiciel, dans des travaux publiés au journal officiel du 17 janvier 1982. Ainsi, le logiciel est un ensemble de programmes, procédés et règles, et éventuellement de la documentation, relatif au fonctionnement d’un ensemble de traitement de données.

Un logiciel est un produit actif qui se caractérise principalement par ses fonctionnalités, ou sa structure externe, alors qu’un programme informatique se caractérise par sa structure interne et peut ne consister qu’en un listing de données. La loi française est une des rares avoir opté pour le terme de « logiciel », alors que les législations étrangères (Royaume-Uni, Japon, Allemagne ou les États-Unis) ont préféré celui de « programme informatique ». La directive européenne, qui vise les programmes d’ordinateur, pose dans son préambule que le terme « programme d’ordinateur » comprend les travaux préparatoires de conception du logiciel aboutissant, ainsi, au développement d’un programme, à condition qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un programme à un stade ultérieur.

Dans un arrêt en date du 6 octobre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 6 oct. 2021, no C-13/20), a précisé la possibilité pour un acquéreur de programme d’ordinateur d’effectuer une décompilation de tout ou partie de celui-ci pour corriger des erreurs affectant son fonctionnement, y compris dans la situation où la correction implique la désactivation d’une fonction perturbant le bon fonctionnement de l’application contenant le programme. (12)

On sait, par ailleurs, que le droit d’auteur recoupe l’ensemble des droits moraux et patrimoniaux dont dispose l’auteur d’une « œuvre de l’esprit » (de sa création, somme toute) sur celle-ci. Le Code de la propriété indique cette fois-ci, en son article L112-2, les œuvres encadrées par la protection accordée par le droit d’auteur, parmi lesquelles on compte les logiciels.


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En France, le logiciel est protégé par le droit d’auteur, même si le législateur hésitait entre la protection par le droit des brevets, une protection par le droit d’auteur, ou une protection par un droit intellectuel spécifique. En effet, le logiciel fait appel à plusieurs notions. D’abord, à des notions de brevets par son aspect technique, ensuite au droit d’auteur, en ce qu’il constitue une œuvre du langage. Même si le législateur a choisi le droit d’auteur pour assurer la protection du logiciel, celui-ci a été adapté au logiciel de façon à appréhender l’aspect technique de la notion de logiciel.

I / Le choix de la protection par le droit d’auteur

A / Les raisons de l’exclusion du droit des brevets

En France, le débat a été tranché dès 1968 avec l’adoption de la loi du 2 janvier 1968 qui expliquait le refus de l’application du droit des brevets au logiciel par son inaptitude à remplir le caractère industriel exigé pour les inventions brevetables.

En effet, pour qu’une invention soit brevetable, elle doit remplir plusieurs conditions cumulatives, à savoir : une invention nouvelle, une invention impliquant une activité inventive, une invention licite, et enfin, une invention susceptible d’application industrielle. En vertu de l’article L. 611-15 du code la propriété intellectuelle, une invention est considérée comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture.

Par ailleurs, le législateur a opté de ne pas choisir la protection par le droit des brevets pour des motifs économiques et techniques. Il craignait que les États Unis inondent le marché français de demande de brevet et qu’ils bloquent ainsi la recherche française. En somme, les praticiens auraient eu plus de difficulté à apprécier l’état de la technique antérieure en matière de logiciel.

Toutefois l’exclusion de brevetabilité n’est pas absolue. En effet l’article L 611-10 CPI n’exclut le logiciel de la brevetabilité « qu’en tant que tel ». Cela signifie que le logiciel ne peut pas être déposé que s’il est revendiqué en tant que tel, mais qu’il devient brevetable lorsqu’il est intégré à une invention plus globale.

Ainsi, bien qu’un algorithme ou un logiciel ne soit pas brevetable, en tant que tel, il le devient s’il constitue une étape importante dans un processus industriel et/ou dans le fonctionnement d’un système. Ce principe a été consacré, en matière de logiciel, dans l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris dans l’affaire « Schlumberger ».

La loi exclut donc de la brevetabilité les logiciels en tant que tels et non les machines ou les systèmes, dont une ou plusieurs étapes sont mises en œuvre par un logiciel, comme le précisent les directives de l’Office européen des brevets (OEB).

Enfin l’avantage de la protection par le droit d’auteur est que celle-ci est acquise sans aucune formalité de dépôt, contrairement au brevet qui implique un dépôt entraînant un certain coût, soit auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle, soit auprès de l’Office européen des brevets (OEB).

B / La notion de logiciel

Il faut se référer à la jurisprudence pour délimiter les contours de la notion de « logiciel ». Du point de vue technique le logiciel se définit comme un processus comprenant deux phases, à savoir une phase d’analyse et une phase de programmation. La phase de programmation consiste enfin à rédiger des instructions dans un langage informatique, ce qui se concrétise par le passage du code source au code objet, qui permet de passer à une version automatisable par l’ordinateur de la solution donnée.

On distingue le logiciel d’application du logiciel d’exploitation. Leur différence tient dans leur nature et leur fonctionnalité. En effet, le logiciel d’exploitation permet l’utilisation et organise le fonctionnement de la machine, tandis que le logiciel d’application ne sera qu’une fonctionnalité incluse dans l’ordinateur, sachant qu’il doit être compatible avec le logiciel d’exploitation et avec l’ordinateur sur lequel il sera installé.

II / L’adaptation du droit d’auteur au logiciel

A / Les éléments du logiciel protégeables par le droit d’auteur

Selon un célèbre adage attribué à Henri Debois, « les idées sont par essence et par destination de libre parcours ». Les idées doivent librement circuler dans nos esprits. L’exclusion de la protection des idées se justifie par la volonté de ne pas bloquer la création ni entraver la libre concurrence. Or certains éléments du logiciel sont assimilés aux idées (les algorithmes et les fonctionnalités du logiciel).

Toutefois, il convient de noter que la Cour de Justice de l’Union européenne a précisé, dans une décision, que « ne sont pas protégeables des fonctionnalités de logiciel (CJUE, SAS Institue c/ World Programming).

Un des éléments protégeables par le droit d’auteur est d’une part le matériel de conception préparatoire. L’article L 111-2 du CPI dispose en effet que la protection est accordée au logiciel y compris son matériel de conception préparatoire. Cela recouvre l’ensemble des travaux de conception aboutissant au développement d’un programme de nature à constituer un logiciel à un stade ultérieur. C’est dans ce concept de « matériel de conception préparatoire » que se situent les analyses fonctionnelles et organiques, qui sont donc protégées.

Le deuxième élément du logiciel protégé est son programme. Les programmes recouvrent le code source et le code objet du logiciel. Par programme source, on entend la liste des instructions qui composent le logiciel. Pour déterminer s’il y a contrefaçon d’un programme source, les experts le comparent avec celui du logiciel contrefaisant afin d’établir le nombre de lignes identiques des deux programmes.

Concernant le programme objet, la jurisprudence n’a jamais douté de l’application du droit d’auteur aux programmes objet, c’est-à-dire à l’enregistrement ou à la transcription en code binaire, sur bande, disque ou disquette magnétiques ou à l’intérieur d’une mémoire de type « ROM », du programme source d’un logiciel. Le droit d’auteur protège le œuvres quelle que soit leur forme, et la doctrine et la jurisprudence française ne voient dans le programme objet qu’une traduction du programme source en langage codé magnétiquement.

Le troisième élément protégé est la documentation d’utilisation. Le statut du cahier des charges, et des informations qu’il contient, est normalement réglés par les dispositions du contrat de développement de logiciel.

Dans un arrêt en date du 6 mars 2024, (Cass. com., 6 mars 2024, no 22-23657,) la chambre commerciale a précisé que lorsqu’un logiciel est mis à disposition par téléchargement accompagné de la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation permettant au client d’utiliser cette copie de manière permanente, en contrepartie d’un paiement, cela implique un transfert de la propriété de cette copie. (14)

Mais, même en l’absence de dispositions contractuelles, commets un acte de concurrence déloyale la SSII ou le constructeur qui utilise pour son compte un cahier des charges ou d’autres informations techniques qui lui ont été communiquées par un client dans le cadre de relations contractuelles. Cependant, le réalisateur demeure libre d’utiliser le « savoir-faire général » acquis par l’étude du cahier des charges, mais par prudence, il aura intérêt à le mentionner spécifiquement dans le contrat de commande.

Le quatrième élément du logiciel bénéficiant de la protection est la page-écran. Elle consiste en la manifestation graphique du logiciel, passant par des dessins, des icônes, etc.

Enfin, d’autres éléments du logiciel pouvant faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur sont : les interfaces techniques et fonctionnelles, le manuel d’utilisation et documents commerciaux, le titre des logiciels, etc.

B / Les droits moraux et patrimoniaux du créateur

Concernant les droits patrimoniaux, l’article L 122-6 du CPI prévoit trois prérogatives au bénéfice de l’auteur d’un logiciel, à savoir un droit de reproduction, de modification et de mise sur le marché.

La première prérogative, à savoir, le droit de reproduction permet à l’auteur d’avoir un monopole sur la fixation de l’œuvre sur tout support qui en permet la communication au public. Ce droit implique pour l’auteur du logiciel d’être protégé à la fois contre la reproduction permanente de son logiciel, mais aussi contre toute reproduction provisoire.

Le droit de modification permet quant à lui à l’auteur du logiciel de s’opposer à la traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification de son logiciel. Ces actes nécessitent en effet l’autorisation de l’auteur du logiciel, sous peine d’être déclarés contrefacteur.

Enfin le droit de mise sur le marché est totalement étranger au droit d’auteur classique. Cela signifie que l’auteur dispose du droit de mettre son logiciel sur le marché à titre onéreux ou gratuit. Il existe toutefois une limite à ce droit dans la mesure où la première vente d’un logiciel dans un État membre de la communauté européenne, par l’auteur ou avec son consentement, épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les États membres. Le logiciel étant considéré comme une marchandise, il est logique qu’on lui applique le principe communautaire de libre circulation des marchandises.

La location reste cependant réservée à l’auteur même lorsqu’il y a eu une première vente dans un État membre.

Concernant les droits moraux, là aussi le droit d’auteur s’est adapté au logiciel notamment en paralysant certaines attributions qui font en principe partie des attributions de l’auteur au titre de ses droits moraux. La finalité de la limitation est d’éviter un exercice débridé de ces droits, notamment parce qu’ils sont perpétuels alors que les droits patrimoniaux courent jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur, puisse nuire à la commercialisation des logiciels.

L’auteur du logiciel conserve le droit de divulgation et le droit à la paternité de l’œuvre. Selon un arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai, « le droit moral du programmeur, par interprétation a contrario de l’article L. 127-7 du CPI, se réduit en matière de logiciel au droit au nom . ». Cela sous-entend qu’il suffit que le nom de l’auteur soit crédité sur l’écran de l’ordinateur lors de la mise en route du logiciel, pour que son droit au respect soit respecté. Le nom de l’auteur doit donc être mentionné.

Concernant le droit au respect de son œuvre, il est limité dans la mesure où un auteur ne peut pas s’opposer à la modification du logiciel par le cessionnaire des droits patrimoniaux si elle n’est pas préjudiciable à son honneur ou à sa réputation. Ce droit consiste pour l’auteur à pouvoir s’opposer à une dénaturation de son œuvre. En droit d’auteur classique, il n’est pas nécessaire de prouver une atteinte à son honneur ou à sa réputation pour pouvoir invoquer son droit au respect de l’œuvre.

Enfin le droit de retrait, ou droit de repentir, est totalement paralysé en matière de logiciel. Ce droit consiste au fait que l’auteur peut en principe à tout moment décider d’arrêter la divulgation de son œuvre.

III / Protection des logiciels autres que par le droit d’auteur

A – Protection par le droit des dessins et modèles

Un logiciel peut bénéficier de la protection par le droit des dessins et modèles, dans son aspect télévisuel si l’on suit la logique du Livre V du CPI (an. L. 14 juill. 1909). Toutefois, sont exclus de la protection accordée par le Livre V les dessins dont la forme est inséparable de leur fonction par leur fonction. Enfin, ne sont protégés que les dessins « nouveaux » : ainsi, la protection de la loi a été refusée à un jeu vidéo ayant le même aspect télévisuel que des jeux existants antérieurement.

B – Protection des logiciels par le droit des marques

La marque fait l’objet d’une protection autonome qui élargit l’arsenal juridique à la disposition des créateurs de logiciels. Par exemple : en cas de piratage par des distributeurs, il y aura également contrefaçon de marque. Mais le dépôt de la marque ne confère que des droits sur celle-ci et non sur le logiciel lui-même.

C – Protection des logiciels par le droit pénal

L’appropriation frauduleuse d’un logiciel est susceptible de tomber sous le coup d’une large variété de lois pénales (vol, abus de confiance, corruption active ou passive d’employé, violation de secret professionnel, divulgation de secret de fabrique). D’ailleurs, il a déjà été jugé que constituait :

« Le délit de vol prévu par le Code pénal la copie d’un logiciel spécifique par un employé à l’insu de son employeur. »

Dans un arrêt en date du 9 mars 2021, (Cass. crim., 9 mars 2021, no 20-90034) la chambre criminelle a considéré qu’était dénuée de caractère sérieux la question prioritaire de constitutionnalité concernant la conformité de l’article L335-3 alinéa 2 du CPI au principe de légalité des délits et des peines. Cet article dispose : « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. » (15)

IV / Sanctions de la contrefaçon de logiciels

L’alinéa 1er de l’article 6 de la directive européenne sur la protection juridique des programmes d’ordinateur dispose que : « Le fait d’importer, de posséder ou de prendre en charge une copie illicite d’un programme d’ordinateur en sachant ou en ayant de bonnes raisons de croire qu’il s’agit effectivement d’une copie illicite constitue une infraction aux droits exclusifs de l’auteur sur ce programme. »

En matière pénale, la contrefaçon est punie par l’article L. 335-2 du CPI qui, depuis la loi du 29 octobre 2007, prévoit une peine d’emprisonnement de trois ans et 300 000 euros d’amende.

En matière civile, le contrefacteur peut être condamné non seulement à la confiscation des logiciels contrefaits, à celui du matériel utilisé pour la contrefaçon, à la publication du jugement dans diverses revues professionnelles, mais surtout au paiement de dommages et intérêts destinés à compenser le préjudice subi.

L’attribution de dommages et intérêts est généralement effectuée d’une manière stricte, sur le fondement du gain manqué ou de la perte du chiffre d’affaires, compte tenu des éléments commerciaux fournis par le demandeur.

Dans un arrêt en date du 8 décembre 2023 (CA Paris, P. 5, ch. 2, 8 déc. 2023, no 21/19696), la cour d’appel de Paris a précisé que l’éditeur d’un logiciel peut agir en contrefaçon contre son cocontractant pour bénéficier des garanties de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 tenant à l’évaluation des dommages et intérêts et à la saisie réelle des marchandises prétendument contrefaisantes. (13)

Pour lire une version plus complète de cet article sur la contrefaçon de logiciel, cliquez

Sources :

  1. Le Stanc, « Exclusions de brevetabilité règles relatives au logiciel » J.-cl. brevets, fasc. 155 J.-P. Martin, « La < protection > des < logiciels > informatiques : droit d’auteur ou brevet d’invention ?
  2. CA Paris, 4e ch., 15 juin 1981
  3. 3 juin 1986, no 84-16.97
  4. CA Douai, 1re ch., 1er juill. 1996, PIBD 1993, III, 129 qui alloue l’équivalent de 3 000 euros pour l’atteinte portée au droit au nom de l’auteur.
  5. corr. Nanterre, 15e ch., Coreland c/ Fama
  6. TGI Paris, 3e ch., 9 mars 1984
  7. CA Versailles, 3e ch., 21 avr. 1989, Rigoult c/ Verveer, Juris-data no 43864
  8. -L. Goutal, « La < protection > pénale des < logiciels > », Exp. 1986, no 80, p. 2
  9. TGI Montbéliard, 26 mai 1978, Peugeot c/ X, Exp. 1978.
  10. TGI Paris, 31e ch., 19 mars 1990 GST c/ E., Cah. dr. Auteur 1990
  11. TGI Paris, 3e ch., 13 févr. 1989, Sisro c/ Ampersand, Exp. 1989.
  12. CJUE, 6 oct. 2021, noC-13/20 https://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?language=fr&td=ALL&num=C-13/20
  13. CA Paris, P. 5, ch. 2, 8 déc. 2023, no21/19696 https://www.courdecassation.fr/decision/657412aed0916383187adcd2?search_api_fulltext=21/19696&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=1
  14. com., 6 mars 2024, no22-23657, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000049261474?init=true&page=1&query=22-23.657&searchField=ALL&tab_selection=all
  15. crim., 9 mars 2021, no20-90034 https://juricaf.org/arret/FRANCE-COURDECASSATION-20210309-2090034

 

Comment protéger une base de données selon la loi ?

La notion de base de données qui s’est imposée vient du droit de l’Union européenne (Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil 11 mars 1996 : JOCE n° L 77, 27 mars). La directive (article 1, § 1) a retenu la définition suivante : « La base de données est un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière. » L’article L. 112-3, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle a repris cette définition si ce n’est qu’il a substitué in fine l’expression « par tout autre moyen » à celle « d’une autre manière ».

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La loi du 1er juillet 1998 a transposé dans le code de la propriété intellectuelle la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. Les enjeux en la matière sont importants : investissements humains, techniques et financiers considérables, développement d’un marché de l’information dans la Communauté sans parler des déséquilibres communautaires, de la distorsion dans la concurrence. Ils ont une dimension internationale : il suffit de citer les services de bases de données en ligne. La loi, comme la directive, répond à des préoccupations toujours présentes en matière de créations informatiques.

La création est difficile et chère alors que la reproduction est facile et peu onéreuse. Les créateurs ressentent donc logiquement un besoin de protection étendue. L’objectif a été d’assurer un niveau de protection approprié (et homogène au niveau communautaire) des bases de données afin de garantir la rémunération de l’auteur ou du producteur de la base de données. La directive du 11 mars 1996 avait pour intérêt principal de prévoir, le droit d’auteur étant considéré comme « une forme appropriée de droits exclusifs des auteurs de bases de données », des mesures additionnelles afin « d’empêcher l’extraction et/ou la réutilisation non autorisées du contenu d’une base de données en l’absence d’un régime harmonisé concernant la concurrence déloyale ou de jurisprudence en la matière ».


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Dans un arrêt en date du 22 décembre 2023, (TJ Paris 3e chambre, 22 décembre 2023, n°22/03126), le tribunal judiciaire de Paris a précisé que la réalisation d’investissements dans le cadre de la création d’un logiciel lié à un système de gestion d’une base de données ne peut conférer la qualité de producteur de base de données si ces investissements ne sont pas en lien avec le contenu des bases constitué par les utilisateurs du logiciel. (4)

Il s’agira donc de voir dans un premier temps le mécanisme de protection des bases de données (I) et dans un second temps, les enjeux économiques et juridiques de la protection des bases de données (II).

 I. Mécanismes de protection des bases de données

Deux régimes juridiques de protection des bases de données ont été superposés. La protection des bases de données est assurée d’une part, par le droit d’auteur (A) et d’autre part, par le droit sui generis encore appelé le droit des bases de données (B).

A) Protection par le droit d’auteur

La protection par le droit d’auteur est assurée aux bases de données qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles propres à leurs auteurs. Cette protection est consacrée et harmonisée par les trois principaux traités internationaux.

Cette protection n’est accordée aux bases de données qu’à la condition qu’elles soient originales. Or, le seuil d’originalité requis pour l’application de la protection conférée par le droit d’auteur diffère d’un pays à l’autre aboutissant à protéger une même catégorie de bases de données dans certains États et non dans d’autres États. Le niveau de créativité requis pour cette protection par le droit d’auteur n’est pas déterminé à l’échelle internationale.

S’il est admis communément que la multiplication des droits spéciaux au sein du droit d’auteur affaiblit la condition d’originalité, la directive a essayé d’harmoniser le seuil « d’originalité ». De ce fait au sein des États membres de l’Union européenne, le Royaume Uni et l’Irlande ont dû abandonner la protection des bases de données dites originales en application du critère dit du « travail investi » (the sweat of the brow), spécifique au copyright.

De telles bases de données ne présentent pas un caractère créatif au sens traditionnel du droit d’auteur ne révélant pas l’empreinte de la personnalité de leurs auteurs. Ces bases de données s’appuient sur un certain niveau d’effort ou d’investissement et ne relèvent plus de la protection du droit d’auteur. C’est également la raison pour laquelle la protection par le droit sui generis a été introduite comme une forme entière et nouvelle de propriété intellectuelle.

Ainsi, pour être protégeable au titre du droit d’auteur, une base de données doit donc refléter l’empreinte de la personnalité de l’auteur par le travail de sélection, de présentation et de classement des informations qui y sont contenues. La protection doit être limitée à ce qui est considéré comme original dans la base de données.

En général, la logique contraignante de l’ordre alphabétique, ne permet pas de justifier de la réalité d’un apport intellectuel caractérisant une création originale. Le choix arbitraire opéré par l’auteur pour la disposition des matières et la présentation des informations doit traduire l’empreinte de sa personnalité et permet, alors de caractériser l’originalité ; dès lors, la protection revendiquée au titre du droit d’auteur ne saurait être déniée.

La contrefaçon au titre du droit d’auteur doit s’apprécier en comparant l’œuvre originale à celle prétendument contrefaisante afin d’en dégager des ressemblances. Si la base de données n’est pas originale, l’action en contrefaçon au titre du droit d’auteur doit être écartée, mais la réunion d’informations sans justifier d’efforts et d’investissements constitue un agissement traduisant la volonté de profiter, à moindre coût, du travail de recherche des informations et de vérification qui est constitutif d’une faute. Néanmoins, la reprise de l’essentiel des informations contenues dans la base de données constitue une atteinte au droit moral de l’auteur lorsqu’elle s’est faite sans citer son nom et sa qualité.

En outre, la création du droit sui generis tient également au fait que les dispositions spéciales insérées dans le droit d’auteur soulèvent de délicats problèmes de frontières. Il est d’ailleurs surprenant que les juridictions nationales n’aient pas eu à délimiter le champ d’application des dispositions spécifiques applicables aux bases de données et celui relevant des logiciels.

Dans un arrêt du 16 décembre 2021, la cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 1re ch., 16 déc. 2021, no 16/05564) a jugé que le fait de sélectionner des fiches techniques au sein d’une bibliothèque informatique selon un agencement propre à l’auteur, est protégeable par le droit d’auteur. (7)

Il résulte de l’étude de la jurisprudence que la protection des bases de données au titre du droit d’auteur n’est que rarement appliquée faute pour les producteurs de solliciter cette protection et/ou de justifier de l’exigence d’originalité devant les juridictions. De ce fait, la protection par le droit sui generis est souvent invoquée devant les juridictions (B).

B. Protection par le droit sui generis ou droit du producteur de bases de données

Lorsque les bases de données ne sont pas originales mais assurent une compilation d’informations ou de données générales, elles peuvent bénéficier d’une nouvelle forme de protection par le droit sui generis c’est-à-dire un droit de « propriété » spécifique aux bases de données lié à l’investissement substantiel nécessaire à leur constitution. Ce droit confère, alors, aux producteurs une protection efficace contre les extractions et réutilisations substantielles des données incorporées dans la base.

  • La notion d’investissement substantiel

Le législateur a entendu prendre en considération tant l’investissement financier que l’investissement matériel ou humain. En règle générale, ces trois types d’investissements ont été cumulativement consentis lors de l’élaboration d’une base. La notion d’investissement financier n’appelle pas de commentaire particulier si ce n’est qu’elle pose évidemment la question de l’évaluation de son caractère substantiel.

L’investissement matériel a cette ambiguïté qu’il est une forme d’investissement financier. Quant à l’investissement humain, il était envisagé, dans la directive, par la formule selon laquelle, il pouvait « consister dans la mise en œuvre de moyens financiers et/ou d’emploi du temps, d’efforts et d’énergie ». L’emploi du temps, les efforts et l’énergie renvoient logiquement à la prestation du personnel réalisant la base de données. Devant les tribunaux, un tel investissement est assez facilement démontré par l’existence de salariés ou de prestataires spécifiquement affectés à la constitution et à la vérification des bases.

Dans un arrêt du 5 octobre 2022,(Cass. 1re civ., 5 oct. 2022, no 21-16307)  la première chambre civile a confirmé la possibilité pour le producteur d’une base de données d’interjeter l’appel fondé sur une sous base de données, à la condition que les investissements réalisés portent sur l’obtention, la vérification et la présentation du contenu de cette sous-base contre celui qui a extrait toutes les données de la sous-base. (5)

  • Les effets de la protection par le droit sui generis

Le producteur dispose donc du droit d’interdire toute extraction ou réutilisation des données comprises dans sa base. Cependant, dans les cas où les producteurs de base de données ont, eux-mêmes, produit les données pour les besoins de leur activité principale, le droit sui generis leur confère un monopole quasi exclusif sur les informations, voire les produits ou services dérivés, s’opposant au droit de la concurrence.

  • La notion de partie substantielle

Les actes d’extraction correspondent à un transfert du contenu d’une base de données sur un autre support et les actes de réutilisation à la mise à disposition du public de la base de données.

Si ces actes portent sur la totalité ou une partie substantielle du contenu de la base de données l’autorisation de celui qui a constitué la base est obligatoire. L’autorisation est requise, même s’il a rendu sa base accessible en tout ou en partie au public ou s’il a autorisé un ou des tiers déterminés à diffuser celle-ci auprès du public. Les dispositions contractuelles deviennent alors essentielles et les juges les appliquent avec rigueur.

Par exemple, la Cour de justice a eu à se prononcer sur la notion de partie substantielle du contenu d’une base de données qui doit s’apprécier quantitativement ou qualitativement.

Ainsi, pour estimer si les actes d’extraction ou de réutilisation portent sur une partie substantielle appréciée quantitativement, il faut se référer au volume de données extraites et/ou réutilisées par rapport au volume du contenu de la base. C’est ainsi que le tribunal de commerce de Rennes a estimé que « les extractions opérées ne sont pas contraires, par leur quantité et leur qualité, aux dispositions de l’article L. 342-2 du Code de la propriété intellectuelle ». En revanche, l’extraction et la réutilisation d’une base de données correspondent souvent à une reproduction quantitativement substantielle ; en fait, l’importance des actes d’extraction et de réutilisation dépend de l’appréciation des juges.

Pour déterminer si les actes d’extraction ou de réutilisation portent sur une partie substantielle appréciée qualitativement, il faut prendre en compte l’importance de l’investissement lié à l’obtention, à la vérification ou à la présentation de la partie des données affectée par les actes d’extraction et ou de réutilisation. Les extractions par des moteurs de recherche, à partir de sites Internet de petites annonces, d’informations telles que le prix et la localisation de logements ou encore l’intitulé d’offres d’emplois, ont été jugées qualitativement substantielles.

Toutefois, le producteur d’une base de données n’a pas à faire figurer une mention de l’interdiction d’extraction et/ou de réutilisation de la base de données pour bénéficier de la protection du droit sui generis.

La cour d’appel de Paris a précisé dans un arrêt en date du 8 septembre 2023 (CA Paris, P. 5, ch. 2, 8 sept. 2023, no 21/15589) que l’extraction quantitativement et qualitativement substantielle d’une base de données, permettant la reprise d’informations essentielles contenues dans les annonces publiées sur un site internet, présente un risque pour l’amortissement des investissements d’un producteur de base de données. (6)

  • Le monopole du producteur, créateur des données

Lorsque le producteur est également le créateur des données, la compilation de données dans les bases est le résultat plus ou moins automatique d’autres activités et notamment de l’activité principale (de telles bases de données portent en anglais le nom de spin-off data base ou spun-off data base).

Il en va ainsi, par exemple, des compagnies de transports qui établissent pour les besoins de leur activité principale les horaires et les lieux de départ et de destination, accorder à ces dernières un droit exclusif sur les données comprises dans l’indicateur « horaires » leur confère un monopole contraire au principe de libre concurrence. Les producteurs de telles données emploient le droit sui generis pour obtenir un monopole sur le marché dérivé de l’information. Même les organismes publics invoquent le droit sui generis pour se créer un pouvoir sur le marché et protéger les rentrées d’argent dues à l’exploitation des données du secteur public.

Pour sanctionner de telles pratiques abusives dans certains États, les juridictions nationales ont appliqué le droit de la concurrence. D’ailleurs, le considérant 47 de la directive prévoit que les dispositions de la présente directive sont sans préjudice de l’application des règles de la concurrence, qu’elles soient communautaires ou nationales. Le droit exclusif d’exploitation accordé aux titulaires de droits de propriété intellectuelle et aux producteurs de bases de données par le droit sui generis conduit à s’interroger sur leur compatibilité avec le droit de la concurrence.

L’application du droit de la concurrence aux « créations utilitaires » est susceptible d’entraîner une première conséquence qui est celle de restreindre la portée du droit exclusif. Certaines juridictions se sont basées uniquement sur le droit sui generis en interprétant de façon restrictive la notion d’investissement substantiel et ont écarté la protection pour les bases de données issues d’une activité principale. Cette position revient à sacrifier les droits de propriété intellectuelle et notamment le droit sui generis sans considération des effets pour le producteur, à des fins d’efficience des marchés de l’information.

Pour que le droit exclusif accordé aux titulaires de droits de propriété intellectuelle et aux producteurs de bases de données soit compatible avec le droit de la concurrence, les conditions d’exercice des droits de propriété intellectuelle et du droit sui generis ne doivent pas entraver les règles de la concurrence communautaire ou nationale. C’est notamment le cas lorsque les titulaires de ces droits sont amenés à exercer leur droit exclusif dans des conditions qui caractérisent un abus de position dominante ou une entente illicite.

Cependant lors de « circonstances exceptionnelles », l’acquisition de nouveaux droits de propriété intellectuelle est susceptible d’entraîner l’application du droit de la concurrence portant ainsi atteinte à l’existence des droits de propriété intellectuelle. Dans le domaine des bases de données, l’entrave au principe de libre concurrence s’opère lorsque le producteur de la base de données se trouve en position dominante sur un marché et refuse l’accès à ce marché à des concurrents.

En conclusion, seuls les investissements dédiés à la construction de la base doivent être évalués, et non ceux qui sont effectués par un organisme pour assurer sa mission principale. Cet investissement jugé « substantiel » permet au producteur de la base de données de bénéficier du droit spécifique. Par ailleurs, la piraterie de telles bases de données, non protégées, pourrait être encouragée en vue de constituer une nouvelle base de données et de favoriser ainsi une forme de concurrence. Les enjeux économiques et juridiques liés à la protection des bases de données ne sont certes pas négligeables (II).

II. Les enjeux économiques et juridiques de la protection des bases de données

L’évaluation de la Commission européenne a essentiellement pour objet d’examiner l’impact économique et juridique suite à l’introduction du droit sui generis et de vérifier s’il est opportun de maintenir cette protection. L’évaluation a été réalisée à partir de deux sources principales d’information : une enquête en ligne réalisée par la Commission en août et septembre 2005 auprès de l’industrie européenne des bases de données et le Gale Directory of Databases (GDD).

Le but est de savoir si l’introduction du droit sui generis a généré une augmentation du taux de croissance de l’industrie européenne des bases de données et de la production de bases de données. Elle examine également si le champ d’application ou l’étendue du droit vise des domaines dans lesquels l’Europe doit encourager l’innovation.

Au niveau économique, la Commission a constaté que l’adoption de la directive et plus particulièrement l’impact économique du droit sui generis avait eu peu d’effets sur le développement de l’industrie des bases de données en Europe. D’ailleurs, la Commission souligne le retard pris par rapport aux États-Unis au cours de ces dernières années dans ce secteur.

Cependant, l’industrie européenne de la publication fait valoir que la protection par le droit sui generis est cruciale pour le succès et le maintien de ses activités car il a apporté une sécurité juridique, réduit les coûts liés à la protection, créé des opportunités commerciales et facilité la commercialisation des bases de données.

De son côté, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle a constaté qu’un grand nombre de ces bases de données ne sont disponibles qu’au sein de l’Union européenne car la protection du droit sui generis garantit aux producteurs de bases de données un environnement juridique sûr pour la commercialisation de leurs produits et sans cette garantie juridique, ils seraient peu disposés à les commercialiser.

Sur le plan juridique, la Commission observe que les termes de la directive sont trop vagues et ont entraîné une incertitude juridique même si depuis les décisions de la Cour de justice, la portée de cette protection a été limitée pour les bases de données « non originales ». Dès lors, quatre options sont, selon la Commission, possibles :

A. L’abrogation de la directive

Cette abrogation opèrerait un retour au droit des contrats pour concéder l’utilisation d’une base de données et développerait les mesures techniques et les systèmes de contrôle d’accès pour la protection des bases de données non originales qui sont en ligne. Mais, l’abrogation aurait pour principal inconvénient d’empêcher une harmonisation de la protection par le droit d’auteur des bases de données « originales ».

B. Le retrait des dispositions relatives à la protection par le droit sui generis du texte de la directive

Ce retrait présente l’avantage de conserver l’harmonisation de la protection par le droit d’auteur des bases de données « originales ». Cependant, il est impossible d’interdire aux États de common law de revenir à l’application du critère « du travail investi » ou sweat of the brow pour protéger les compilations « non originales ». De surcroît, les producteurs de bases de données « non originales » continueraient à protéger celles-ci en recourant au droit des contrats ou aux mesures techniques de protection.

C. L’amendement des dispositions relatives à la protection par le droit sui generis

Un amendement du texte de la directive permettrait de redéfinir la portée de cette protection et d’y inclure les cas où la création des données est concomitante à leur obtention et à leur présentation. L’amendement pourrait également préciser si le droit sui generis peut s’appliquer aux données publiques, aux compilations ayant une source unique et aux bases de données correspondant à une activité secondaire (c’est-à-dire une spin-off de leur activité principale).

Selon la Commission, ce serait également l’occasion de préciser ce que constitue exactement un investissement substantiel dans l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu d’une base de données.

D. Le maintien du statu quo

La Commission précise que l’adoption de nouvelles mesures relatives à la protection juridique des bases de données pourra être plus coûteuse que le fait de maintenir la directive en l’état. Par ailleurs, les décisions de la Cour de justice ont clairement limité ce droit sui generis aux seuls producteurs « primaires » de bases de données.

Des professeurs d’université ont présenté un rapport le 12 juillet 2022 devant le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, relatif à la réforme européenne du droit sui généris des bases de données. Constatant l’absence de révision de la directive relative aux bases de données (directive 96/9 du CE du Parlement européen du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données)  (8) ces derniers ont adressé des propositions de rédactions alternatives et des nouveaux mécanismes contractuels légaux  favorisant une ouverture des bases de données. (9)

En conclusion, l’industrie et les autres parties intéressées devaient répondre à ce rapport et préciser dans quelle mesure le droit des bases de données affecte leurs activités avant le 12 mars 2006. Le résultat de cette enquête n’est pas encore connu.

Pour lire l’article sur la protection des bases de données plus détaillé, cliquez

SOURCES :

  1. Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000889132
  2. Art L112-3 du Code de la propriété intellectuelle https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006278879&cidTexte=LEGITEXT000006069414
  3. Loi n°98-536 du 1er juillet 1998 portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/ CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données
  4. TJ Paris, 3e, 22 déc. 2023, no22/03126 https://www.doctrine.fr/d/TJ/Paris/2023/TJP0A6AAE143F514B659B72
  5. 1re civ., 5 oct. 2022, no21-16307)https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046389113
  6. CA Paris, P. 5, ch. 2, 8 sept. 2023, no21/15589 https://www.labase-lextenso.fr/sites/lextenso/files/lextenso_upload/d_ca_paris_8_septembre_2023_2115589.pdf
  7. CA Lyon, 1re, 16 déc. 2021, no16/05564 https://www.doctrine.fr/d/CA/Lyon/2021/C028511157C68D861E624
  8. Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A31996L0009
  9. Mission du CSPLA sur la réforme européenne du droit sui generis des bases de données https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Organisation-du-ministere/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique-CSPLA/Travaux-et-publications-du-CSPLA/Missions-du-CSPLA/Mission-du-CSPLA-sur-la-reforme-europeenne-du-droit-sui-generis-des-bases-de-donnees

 

Intelligence artificielle

Woody Allen l’a dit : « L’intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise humaine ». Cette phrase, à moitié pleine d’ironie, cache en réalité un constat indéniable : celui d’une avancée exponentielle en la matière.

La peur que les machines surpassent les hommes, est avec l’intelligence artificielle, une crainte bien réelle. Quand est-il lorsque cette machine crée un dommage ? Qui peut être tenu responsable ?

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Ces dernières années, l’intelligence artificielle s’est particulièrement développée et a été au cœur de nombreuses avancées. On peut notamment citer un exploit récent réalisé par l’intelligence artificielle AlphaGo créée par la société Deepmind, qui a, en 2016 été capable de batte le champion du monde de Go Lee Sedol. Ce jeu de plateau était pourtant réputé “impraticable” par une machine du fait des innombrables combinaisons possibles.

Le 26 août 2022, une œuvre entièrement générée par une intelligence artificielle a remporté le premier prix de la Colorado State Fair Fine Art Compétition, un concours d’art états-unien. (6)

Même si ces nouvelles technologies fascinent, elles ne sont pas sans risque.


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C’est donc naturellement qu’un débat autour de l’intelligence artificielle et plus précisément de la détermination du responsable (sur le plan civil comme pénal) dans le cadre d’un dommage causé par l’intelligence artificielle, ne fait pas encore consensus (I), il est pourtant essentiel de trouver une solution à des litiges de plus en plus fréquents (II).

I) Les enjeux du débat sur la responsabilité

Premièrement, nous devons définir précisément l’intelligence artificielle, et de ses différentes déclinaisons (A), pour ensuite se pencher sur la façon la plus pragmatique de définir le responsable en cas de litige (B).

A) L’intelligence artificielle : qu’est ce que c’est ?

Naturellement il convient avant toute chose de définir l’intelligence artificielle. Le terme générique caractérise en effet « l’ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence » .

La paternité du terme d’intelligence artificielle est attribuée à John McCarthy. Ce terme a par la suite été défini par son compère Marvin Lee Minsky comme “la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains, car elles demandent des processus mentaux de haut niveau […]”.

Cette définition résonne tout particulièrement, en ce que la notion de temporalité y est parfaitement encadrée. « Pour l’instant » : le mot est lâché, et il sonne toujours plus vrai aujourd’hui puisque le progrès scientifique en la matière n’a jamais été aussi rapide et d’actualité.

La proposition de Règlement « législation de l’IA » de 2021 défini le système d’intelligence artificielle comme un « logiciel qui est développé au moyen dune ou plusieurs des techniques et approches énumérées à lannexe I et qui peut, pour un ensemble donné dobjectifs définis par lhomme, générer des résultats tels que des contenus, des prédictions, des recommandations ou des décisions influençant les environnements avec lesquels il interagit ». (7)

Le propre de l’intelligence artificielle est d’emmagasiner de nombreuses connaissances et de constituer une base sur laquelle se fonder pour réaliser les tâches demandées, grâce à ses interactions avec l’environnement et son « expérience ».

« Tay », l’intelligence artificielle de Microsoft, est un « chatbot » qui fut lancée par l’entreprise sur le réseau Twitter et répondant parfaitement à cette définition en ce que sa mission consistait à discuter avec les internautes en s’inspirant du langage, du savoir et du comportement de ces derniers à son égard.

Pour autant, les concepteurs retirèrent du réseau le programme, après que celui-ci ait tenu des propos racistes et diffamatoires à l’encontre de la communauté, qui s’amusait à tester ses limites en faussant son apprentissage.


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L’intelligence artificielle se caractérise par le stockage de vastes quantités de connaissances et, par son interaction avec l’environnement et son «expérience», constitue la base pour l’exécution des tâches requises.

Le Parlement européen, dans une résolution en date du 12 février 2019 sur « la politique industrielle européenne globale sur l’intelligence artificielle et sur la robotique », tente de définir la notion d’IA et le régime juridique qui doit lui être applicable. Le Parlement abandonne l’idée de donner à l’intelligence artificielle une personnalité juridique et vient plus observer les conséquences de l’intelligence artificielle sur le régime de responsabilité civile, par exemple. En effet, le droit de la responsabilité civile doit être adapté pour « tenir compte de l’intelligence artificielle et de la robotique ».

Dans un projet de règlement sur l’IA présenté en avril 2021, l’Union européenne vient confirmer cette position et refuse d’accorder la personnalité juridique à l’IA.

Ce projet apporte tout de même un certain cadre juridique. Il est prévu plusieurs niveaux d’intelligence artificielle selon les risques de cette dernière sur l’humain. Le premier niveau correspond aux IA avec un risque inacceptable. Ces IA sont interdites en raison de leur système qui pourrait par exemple « manipuler les personnes au moyen de techniques subliminales afin de modifier leur comportement ce qui causerait un préjudice à la personne ou un tiers ». Ce type d’IA concerne également le scoring social portant une atteinte disproportionnée à la liberté des personnes.

Le second niveau concerne les IA avec un risque élevé. Elles sont autorisées, mais elles doivent s’accompagner de mesures importantes pour démontrer que cette IA est bien conforme aux mesures de sécurité imposées en raison du niveau élevé de risque. Le troisième niveau est l’IA à faible risque, elle devra respecter un guide de conduite. Le dernier niveau concerne les IA à risques minimes qui ne font l’objet d’aucune exigence.

Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont trouvé un accord sur le texte du projet de loi le 8 décembre 2023. Le 13 mars dernier, les députés européens ont approuvé ce texte par 523 votes pour 46 contre et 49 abstentions, faisant de cette proposition la première loi sur l’intelligence artificielle dans le monde. Le règlement est actuellement en phase de vérification finale par un expert en droit et linguistique, avant son adoption officielle par le Conseil. (8)

B) Comment déterminer un responsable ?

Par définition, et comme l’affirment certains, « la responsabilité civile du fait d’un individu ou d’une chose est inhérente à l’action humaine […] Seul l’individu est responsable de ses décisions conduisant aux actes et aux conséquences malencontreuses induites par la faillibilité humaine » .

Dès lors, la responsabilité du fait des choses place aujourd’hui l’objet sous la garde de celui qui en dispose par un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle, et responsabilise donc ce dernier lorsque l’objet en question se trouve impliqué dans le fait dommageable.

Une telle réflexion pose problème, en effet, bien qu’elle s’applique parfaitement à toutes sortes d’objets, elle n’est pas adaptée à l’intelligence artificielle, car par définition, l’homme n’a pas (pleinement, du moins) les pouvoirs précités.

Le problème d’une telle réflexion, c’est qu’elle s’applique parfaitement à toute sorte d’objets, mais pas vraiment à l’intelligence artificielle sur lequel, par définition, l’homme n’a pas (pleinement, du moins) les pouvoirs précités.

L’intelligence artificielle, amenée à fonctionner de manière autodidacte, conserve naturellement cette part d’indétermination et d’imprévisibilité qui met en péril une telle responsabilisation de l’homme.

Stéphane Larrière affirme très justement que : « Dès lors, l’homme laisse la main à l’intelligence artificielle dans l’exercice de ses facultés augmentées par ce complément cognitif : il se réalise alors une sorte de délégation conférée à la machine pour décider et faire à sa place ».

Par conséquent, le régime qui semble être le plus favorable est celui de la responsabilité sans faute, celle du fait d’autrui, celle “permettant d’imputer les frais du dommage à celui qui était le mieux placé, avant le dommage, pour contracter l’assurance destinée à garantir le risque” (G. Viney, Introduction à la responsabilité, Traité de droit civil, LGDJ 2008, p.40).

Néanmoins, au vu de la multitude de cas possibles, cette détermination n’est pas des plus aisée.

Le rapport de la Commission européenne portant sur les conséquences de l’intelligence artificielle, de l’internet des objets et de la robotique sur la sécurité s’est attelé à la question de la responsabilité. La Commission retient que « bien que la directive sur la responsabilité du fait des produits donne une définition large de la notion de produit, celle‑ci pourrait être précisée pour mieux traduire la complexité des technologies ». Par conséquent, la Commission européenne considère qu’en matière d’intelligence artificielle,  le régime de la responsabilité du fait des choses n’a pas à s’appliquer.

Une proposition de nouvelle directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux a été adoptée le 28 septembre 2022. La commission européenne, qui en est à l’origine, a fait le constat que le régime de responsabilité du fait des produits née de la directive 85/374 de 1985, n’est plus adapté pour les produits complexes tels que l’IA. Elle tente alors de modifier ce régime, notamment en restreignant le champ d’application des victimes, et en étendant celui des responsables. (9)

II) Un débat de plus en plus fréquent

Si les accidents liés aux voitures autonomes sont fréquents ces derniers temps (A), ne sont pas à exclure les risques liés aux autres formes d’intelligences artificielles (B).

A) Le cas des voitures autonomes

La détermination d’une telle responsabilité est un débat que l’actualité place régulièrement sur le devant de la scène médiatique, et souvent pour le pire. C’est le secteur de l’automobile qui en fait les frais aujourd’hui ; deux accidents auront marqué les esprits ces dernières semaines.

Le premier, survenu le 19 mars dernier en Arizona, concerne l’entreprise Uber. Suite à des tests sur la voie publique, l’un de ses modèles autonomes a percuté un piéton, décédé par la suite de ses blessures.

Le système de l’automobile mis en cause, n’ayant pas activé le système de freinage avant l’impact, a contraint la société de suspendre ses activités dans le domaine . Pour autant, celle-ci soutient que l’automobiliste est à mettre en cause dans l’affaire.

Le deuxième accident récent concerne cette fois-ci Tesla et son modèle X, au volant de laquelle est décédé un conducteur 4 jours après le drame précédent.

Encore une fois, l’autopilote se trouve au cœur des débats, et si la famille de la victime accuse l’entreprise, celle-ci se dédouane de toute responsabilité en soulignant que la victime « n’avait pas les mains sur le guidon au moment de l’accident », et contre toute indication de la voiture l’invitant à prendre de telles mesures.

Le 12 février 2019, le Parlement européen a rendu une résolution dans laquelle elle vient aborder la question des voitures automatiques en disposant que « la prévalence de véhicules autonomes présentera des risques […] de défaillances techniques et va transférer à l’avenir la responsabilité du conducteur vers le fabricant, imposant aux compagnies d’assurances de modifier la manière dont elles intègrent le risque dans leur souscription ».
Ces affaires mettent en lumière tout l’enjeu de l’autonomie de l’intelligence artificielle face au pouvoir de contrôle du conducteur sur la chose, dans la détermination du responsable du fait dommageable.

Le 14 avril 2021, une ordonnance est venue prévoir un nouveau régime de responsabilité pénale applicable pour les véhicules à délégation de conduite. Par la suite, le gouvernement a précisé par décret le 29 juin 2021  les modalités d’application de l’ordonnance.

L’article 123-1 du Code de la route prévoit désormais que la responsabilité pénale du conducteur ne sera pas retenue dans le cas où l’infraction commise serait le résultat d’une manœuvre d’un véhicule dont les fonctions sont totalement déléguées à un système automatisé, si, au moment des faits ce système exerçait le contrôle dynamique du véhicule.

L’article 123-2 de ce même Code prévoit en revanche que la responsabilité pénale du constructeur sera quant à elle retenue. Le constructeur est tenu responsable des atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité des personnes. Sa responsabilité sera retenue, si l’existence d’une faute est établie au moment où l’IA exerçait le contrôle dynamique du véhicule. Également,  dès lors qu’il y a un défaut de conception, le constructeur sera tenu responsable.

Pendant la session plénière à Strasbourg le 15 janvier 2018, le député néerlandais Win Van de Camp, membre du parti démocrate-chrétien, a présenté un rapport d’initiative sur la conduite autonome qui a été soumis au vote durant une session plénière à Strasbourg. (10)

B) D’autres risques potentiels à envisager

Il existe également d’autres circonstances ou les questions de responsabilité civile ou pénale se posent.

L’exemple de l’intelligence artificielle “Tay” qui a déjà été cité laisse penser que l’on pourrait voir un jour survenir un litige portant sur des propos dénigrants, voir du harcèlement avec pour origine de ces délits, l’intelligence artificielle.

Il faut également se questionner sur les assistants personnels intelligents comme Siri, Alexa, ou encore Google Home, définis comme des  “agents logiciel qui peuvent effectuer des tâches ou des services pour un individu” .

L’utilisation quotidienne qui est faite de ces technologies par leur propriétaire repose sur le fait d’effectuer des actions simples (lancer une playlist, envoyer un message ou encore passer un appel). Cependant, ces assistants personnels intelligents peuvent aussi  être utilisés pour effectuer des recherches plus complexes, avec degré d’importance de la réponse qui peut varier, et par conséquent avoir un impact plus ou moins grave en cas d’erreur.

Une actualité récente démontre bien ces risques. En effet, en décembre 2021, c’est l’assistant vocal d’Alexa qui s’est retrouvé au cœur d’une polémique. Ce dernier a dû faire l’objet d’une mise à jour d’urgence par Amazon. Un enfant avait demandé à Alexa de lui proposer des défis à réaliser. L’assistant intelligent d’Amazon a proposé à l’enfant de jouer avec une prise électrique.

Bien que l’enfant se porte bien aujourd’hui, cette affaire force à se poser des questions quant à la responsabilité des assistants personnels intelligents.

Ces technologies vont être utilisées dans des domaines tels que le médical par exemple qui ne laisse pas de place à l’erreur. La question sur la détermination d’un responsable pourrait se poser, dans le cas où la machine apporterait un résultat erroné à un calcul. Mais la question est complexe, car bien souvent, de toute façon, ce calcul n’était pas réalisable par l’Homme.

L’ONU a adoptée une première résolution sur l’intelligence artificielle le 21 mars 2024. Celle-ci a encouragé l’adoption de normes internationales visant à garantir des outils « sûrs » et respectant les droits humains. (11)

On en revient à cette idée de délégation soulevée plus haut. Reste à savoir quels critères prédomineront en la matière, à mesure des avancées technologies, mais aussi, malheureusement, à mesure de la variété des accidents…

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SOURCES :
(1) http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/intelligence_artificielle/187257
(2) http://laloidesparties.fr/responsabilite-ia
(3) G. Viney, Introduction à la responsabilité, Traité de droit civil, LGDJ 2008, p.40
(4) https://www.numerama.com/business/336940-uber-suspend-ses-activites-dans-la-voiture-autonome-apres-un-mort.html
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Assistant_personnel_intelligent
Résolution du Parlement européen du 12 février 2019 sur une politique industrielle européenne globale sur l’intelligence artificielle et la robotique
https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019-0081_FR.html
Livre Blanc sur l’intelligence artificielle du 19 février 2020
https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/commission-white-paper-artificial-intelligence-feb2020_fr.pdf
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043370894
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074228/LEGISCTA000043371833/#LEGISCTA000043371833
(6)  https://www.village-justice.com/articles/prompt-art-intelligence-artificielle-droit-auteur-guide-pratique,43649.html
(7) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021PC0206#:~:text=La%20proposition%20%C3%A9tablit%20des%20r%C3%A8gles,%C3%A0%20l’%C3%A9preuve%20du%20temps
(8) https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/292157-intelligence-artificielle-le-cadre-juridique-europeen-de-lia
(9) https://www-dalloz-fr.ezpum.scdi-montpellier.fr/documentation/Document?id=NOTE_DZ%2FPRECIS%2FDROITDES-ACTIVITESNUMERIQUES%2F2023%2FPARA%2F1407_1&ctxt=0_YSR0MD1MYSBwcm9wb3NpdGlvbiBkZSBSw6hnbGVtZW50IGzDqWdpc2xhdGlvbiBkZSBs4oCZSUHCoMKneCRzZj1zaW1wbGUtc2VhcmNo&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PSNkZWZhdWx0X0Rlc2PCp3Mkc2xOYlBhZz0yMMKncyRpc2Fibz1UcnVlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD3Cp3MkZnJlZXNjb3BlPUZhbHNlwqdzJHdvSVM9RmFsc2XCp3Mkd29TUENIPUZhbHNlwqdzJGZsb3dNb2RlPUZhbHNlwqdzJGJxPcKncyRzZWFyY2hMYWJlbD3Cp3Mkc2VhcmNoQ2xhc3M9&scrll=DZ%2FPRECIS%2FDROITDES-ACTIVITESNUMERIQUES%2F2023%2FPARA%2F1410
(10) https://www.europarl.europa.eu/topics/fr/article/20190110STO23102/vehicules-autonomes-dans-l-ue-de-la-science-fiction-a-la-realite
(11) https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/l-assemblee-generale-de-l-onu-appelle-a-reguler-l-intelligence-artificielle-7900366119