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La vie privée, la diffamation et le RGPD dans les groupes privés numériques

À l’heure où les frontières entre réel et virtuel s’estompent, les espaces numériques privés ressemblent à des citadelles fragiles : des lieux où les mots deviennent armes, les données une monnaie d’échange, et l’intimité un idéal menacé. 
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Ces sanctuaires connectés, conçus pour abriter dialogues et solidarités, sont aussi le théâtre de batailles invisibles. Entre les murs cryptés des messageries ou les forums cloîtrés, chaque clic peut libérer des torrents de désinformation, éroder des réputations ou fracturer des vies – le tout sous le regard ambigu de lois aussi nécessaires que perfectibles, comme le RGPD.

La promesse d’un *havre numérique* se fissure face à un paradoxe moderne : comment bâtir la confiance dans un espace où l’anonymat protège autant qu’il corrompt ? Les utilisateurs, en quête d’authenticité, y déposent des fragments de leur identité, ignorant parfois que ces traces échappent à leur contrôle. Les algorithmes, gardiens opaques de ces royaumes, trient, analysent et stockent, tandis que la diffamation prospère dans l’ombre, exploitant les failles d’une gouvernance souvent improvisée.

Le RGPD, bouclier législatif né en 2018, impose une discipline nouvelle : il rappelle que derrière chaque pseudonyme se cache un visage, derrière chaque message, une responsabilité. Mais légiférer sur l’éther numérique revient à sculpter des nuages – les règles peinent à suivre l’évolution des tactiques de contournement. Les modérateurs, sentinelles malgré eux, naviguent entre Charybde et Scylla : supprimer un contenu, c’est risquer l’accusation de censure ; le tolérer, c’est s’exposer à des poursuites.


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L’avenir de ces citadelles dépendra d’une alchimie improbable : marier l’éthique aux lignes de code, l’humain à l’artificiel. L’IA, capable de traquer la haine en temps réel, pourrait-elle incarner un juste équilibre ? Ou deviendra-t-elle l’outil d’une surveillance généralisée, étouffant la spontanéité des échanges ? La réponse exige plus que des innovations techniques : elle nécessite un pacte social redéfini, où droits individuels et bien commun ne seraient plus adversaires, mais alliés face à l’hydre des dérives numériques.

I. La vie privée dans les groupes privés numériques : Un droit fondamental à l’épreuve du numérique

A. Définition et encadrement juridique

La vie privée numérique, un élément essentiel de la dignité humaine, est reconnue comme un droit fondamental par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce droit est particulièrement pertinent dans le contexte actuel, où les technologies numériques façonnent les modes de communication et les interactions sociales.

Le Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en mai 2018, renforce cette protection en redéfinissant les obligations des plateformes numériques et les droits des utilisateurs en matière de données personnelles.

La vie privée numérique englobe la capacité des individus à contrôler et à gérer leurs données personnelles, qui peuvent inclure une vaste gamme d’informations telles que le nom, l’adresse, l’adresse IP, les photos, les messages et bien d’autres éléments permettant d’identifier une personne. Dans les groupes privés numériques, tels que WhatsApp, Facebook Groups et Discord, la protection de la vie privée prend une importance cruciale, car ces espaces de communication facilitent le partage d’informations sensibles entre membres, souvent considérés comme des cercles de confiance.

Le RGPD impose plusieurs principes fondamentaux qui doivent être respectés par les plateformes. Tout d’abord, le principe de licéité, de loyauté et de transparence exige que les données soient traitées de manière légale et que les utilisateurs soient informés de la manière dont leurs données seront utilisées.

Ce principe requiert également le consentement explicite des utilisateurs avant la collecte de leurs données. Ensuite, le principe de minimisation stipule que seules les données nécessaires à la finalité pour laquelle elles sont collectées peuvent être traitées.

Enfin, le principe de limitation de la conservation impose que les données soient supprimées une fois leur utilisation achevée, afin d’éviter toute utilisation abusive ou non autorisée des informations personnelles. En France, la loi Informatique et Libertés, modifiée en 2018 pour s’aligner sur le RGPD, renforce la protection des données personnelles.

Elle établit des sanctions sévères pour les violations de la vie privée et adapte les procédures de contrôle par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Ces réglementations visent à garantir que les droits des utilisateurs sont protégés dans un environnement numérique de plus en plus complexe et interconnecté.

B. Les défis de la confidentialité et de la sécurité

Malgré leur désignation de « groupes privés », les groupes numériques ne sont pas à l’abri des risques en matière de confidentialité et de sécurité. Les violations de données peuvent survenir de manière variée et souvent inattendue. Parmi les causes potentielles, on trouve des fuites accidentelles, telles que le partage d’écran lors d’une vidéoconférence ou l’envoi d’informations sensibles à un mauvais destinataire.

De plus, les cyberattaques, qui consistent en des piratages de comptes ou l’interception de messages, représentent une menace sérieuse pour la sécurité des données. Les utilisateurs peuvent également faire face à des abus de la part d’autres membres du groupe, comme la capture d’écran et le partage public d’échanges privés.

Le RGPD exige des plateformes qu’elles mettent en œuvre des mesures techniques et organisationnelles proportionnées pour protéger les données personnelles. Ces mesures doivent être adaptées à la nature des données traitées et aux risques encourus. Parmi ces mesures, le chiffrement de bout en bout est devenu une norme pour les applications de messagerie telles que WhatsApp. Ce processus garantit que seuls les utilisateurs impliqués dans la conversation peuvent accéder au contenu des échanges, rendant impossible l’accès par la plateforme elle-même.

L’authentification à deux facteurs est également un moyen efficace de sécuriser les comptes utilisateurs en ajoutant une couche supplémentaire de protection. De plus, la réalisation d’audits réguliers permet d’identifier les vulnérabilités potentielles et de mettre en œuvre des améliorations nécessaires pour renforcer la sécurité des données.

Un exemple marquant des risques liés à la sécurité des données est la fuite de données survenue en 2021, qui a exposé les informations de 533 millions d’utilisateurs de Facebook, y compris des numéros de téléphone et des informations de profil. Cet incident, bien qu’il ait eu lieu avant l’entrée en vigueur du RGPD, a conduit à de nombreuses plaintes auprès de la CNIL pour manquements à la sécurité.

Il illustre la nécessité d’une vigilance constante et d’un engagement proactif en matière de protection des données, tant pour les plateformes que pour les utilisateurs.

II. La diffamation dans les groupes privés numériques : Un délit aux multiples visages

A. Définition juridique et modalités

La diffamation est définie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, qui stipule qu’elle consiste en toute allégation ou imputation d’un fait précis portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Dans le contexte des groupes privés numériques, ce délit peut prendre plusieurs formes, ce qui complique la tâche des juristes et des législateurs.

Parmi les manifestations de la diffamation, on trouve les messages textuels contenant des accusations infondées dirigées contre un membre du groupe, le partage de photos ou de vidéos truquées visant à discréditer une personne, et les publications virales de fausses informations relayées, même au sein d’un cercle restreint.

Les groupes privés, bien qu’ils soient souvent perçus comme des espaces de discussion sécurisés, ne permettent pas l’impunité en matière de diffamation. Un cas pratique marquant s’est produit en 2020, lorsque qu’un salarié a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffamé son employeur dans un groupe WhatsApp professionnel.

Les messages dans lesquels il qualifiait l’entreprise de « frauduleuse » ont été jugés diffamatoires, et ce, malgré le caractère privé du groupe. Cette décision souligne l’importance de la responsabilité individuelle même dans des espaces considérés comme privés.

B. Articulation avec le RGPD : Quand la diffamation implique des données personnelles

La question se complique lorsque la diffamation s’appuie sur des données personnelles, par exemple, par la divulgation non consentie d’informations médicales. Dans de telles situations, deux violations distinctes peuvent être engagées : d’une part, une violation pénale, avec des sanctions prévues par la loi de 1881, pouvant atteindre 12 000 euros d’amende ; et d’autre part, une violation du RGPD, qui prohibe le traitement illicite de données sensibles. Les sanctions prévues par l’article 83 du RGPD peuvent aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial de la plateforme concernée, ce qui représente un risque financier considérable pour les entreprises.

Pour illustrer cette problématique, on peut évoquer la situation où un membre d’un groupe Facebook privé publie un document confidentiel révélant l’orientation sexuelle d’un individu. Cette action constitue à la fois un acte de diffamation, si le document contient des accusations fausses, et une violation du RGPD, en raison du traitement de données sensibles sans le consentement de la personne concernée. Les conséquences juridiques peuvent être lourdes pour les individus impliqués, mais également pour les plateformes qui hébergent ces contenus.

III. L’équilibre délicat entre vie privée et lutte contre la diffamation

A. Les outils juridiques pour concilier les deux impératifs

Pour trouver un équilibre entre la protection de la vie privée et la lutte contre la diffamation, plusieurs outils juridiques sont à la disposition des acteurs concernés. Le RGPD, par exemple, offre la possibilité de traiter des données personnelles pour modérer des contenus diffamatoires au titre de l’intérêt légitime, à condition que certaines conditions soient respectées. Cela signifie que les plateformes doivent s’assurer de ne pas collecter de données excessives, en se limitant à l’analyse des messages signalés plutôt qu’à l’ensemble des conversations.

De plus, il est crucial d’informer les utilisateurs de manière transparente sur les politiques de modération mises en place. Le droit à l’oubli, inscrit à l’article 17 du RGPD, constitue un autre outil juridique important. Il permet à une personne qui a été diffamée d’exiger la suppression des données la concernant, y compris dans des groupes privés.

Cependant, le défi reste de taille : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a souligné que la modération ne doit pas entraver la liberté d’expression. Dans l’arrêt MTE et Index.hu c. Hongrie (2016), la CEDH a jugé que les plateformes ne peuvent être tenues responsables des contenus diffamatoires publiés par des utilisateurs, sauf en cas de négligence dans leur retrait.

B. Bonnes pratiques pour les plateformes

Pour mieux gérer la modération des contenus, les plateformes peuvent adopter plusieurs bonnes pratiques. L’implémentation de mécanismes de signalement simplifiés est essentielle. Cela permet aux utilisateurs de signaler un message qu’ils estiment diffamatoire en quelques clics, rendant le processus rapide et accessible.

De plus, des procédures transparentes doivent être établies pour examiner les signalements dans un délai raisonnable, idéalement sous 24 à 48 heures. Il est également crucial que les plateformes collaborent avec les autorités compétentes. Cela peut inclure la conservation temporaire des données des auteurs en cas d’enquête judiciaire, conformément à l’article 6-1-c du RGPD.

Par exemple, en 2022, Telegram a été amené à fournir à la justice française des données d’utilisateurs impliqués dans des groupes diffusant des contenus de haine. En parallèle, l’utilisation de technologies d’anonymisation, telles que le masquage automatique des noms et des photos dans les signalements, peut servir de protection pour les témoins, encourageant ainsi le signalement d’abus sans crainte de représailles.

IV. Rôles et responsabilités des acteurs : Une chaîne de responsabilité partagée

A. Les plateformes : Garantes de la conformité RGPD

Les plateformes numériques portent une responsabilité significative en matière de conformité au RGPD. Cela inclut la désignation d’un délégué à la protection des données (DPO), une exigence obligatoire pour les grandes entreprises. Le DPO joue un rôle essentiel en conseillant sur la conformité, en assurant la coopération avec la CNIL et en sensibilisant les utilisateurs à leurs droits et à la protection de leurs données.

Par ailleurs, la transparence et l’éducation des utilisateurs sont primordiales. Les plateformes doivent mettre à disposition des guides clairs sur les paramètres de confidentialité et les pratiques recommandées. Par exemple, WhatsApp offre des tutoriels pour aider les utilisateurs à limiter la visibilité de leurs groupes, renforçant ainsi leur sécurité.

En cas de manquement aux obligations de protection des données, des sanctions peuvent être appliquées. En 2023, Meta (Facebook) a été condamné à une amende de 1,2 milliard d’euros par l’Union européenne pour des transferts illégaux de données vers les États-Unis, rappelant ainsi l’importance cruciale du respect des réglementations en matière de protection des données.

B. Les utilisateurs : Acteurs responsables

Les utilisateurs jouent également un rôle actif dans la protection de leur vie privée et dans la lutte contre la diffamation. Ils doivent s’engager à vérifier la véracité des informations avant de les partager, en prenant conscience que la diffusion de fausses informations peut avoir des conséquences graves. Ils doivent également respecter les règles de modération établies dans les groupes afin de maintenir un environnement sain et sécurisé pour tous les membres.

Les utilisateurs disposent de droits importants en vertu du RGPD, tels que le droit d’accès et de rectification, qui leur permet d’obtenir une copie de leurs données ou de les corriger en cas d’inexactitude.

De plus, l’article 20 du RGPD leur confère le droit à la portabilité, c’est-à-dire la possibilité de transférer leurs données vers une autre plateforme. Un exemple concret illustre cette réalité : un utilisateur de LinkedIn a exercé son droit à l’effacement pour faire supprimer des commentaires diffamatoires publiés par un concurrent dans un groupe professionnel. Cette situation souligne l’importance pour les utilisateurs d’être proactifs dans la protection de leurs droits et de leur réputation.

V. Perspectives d’avenir et défis émergents

A. L’intelligence artificielle au service de la modération

L’émergence de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la modération des contenus pose de nouvelles questions éthiques et juridiques. Les outils d’IA, tels que les algorithmes de détection de discours haineux, peuvent avoir un impact significatif sur la manière dont les plateformes modèrent les contenus. Cependant, ces outils ne sont pas sans inconvénients.

Les biais algorithmiques peuvent entraîner des erreurs de modération, avec un risque de censure excessive ou, au contraire, de laxisme dans la surveillance des contenus. De plus, il est impératif que les traitements automatisés respectent le principe de licéité et permettent une intervention humaine, comme le stipule l’article 22 du RGPD. Par exemple, en 2021, Twitter a fait face à des critiques pour des erreurs de modération automatisée qui ont conduit à la suppression de contenus légitimes concernant la COVID-19. Cela démontre que, bien que l’IA puisse être un outil puissant pour la modération, elle ne peut pas remplacer le jugement humain et la nuance nécessaires pour évaluer le contexte des communications.

B. Vers un droit européen unifié ?

Les nouvelles réglementations, telles que le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), qui ont été mises en œuvre en 2023, marquent une étape importante dans la régulation des plateformes numériques.  Ces lois imposent des obligations de transparence, notamment la publication de rapports sur les activités de modération, et introduisent des sanctions accrues pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial pour les manquements aux règles. Ces régulations visent à garantir un niveau élevé de protection des utilisateurs tout en maintenant un équilibre avec la liberté d’expression.

C. Recommandations pour les utilisateurs

À l’ère numérique, il est capital que les utilisateurs adoptent des pratiques prudentes pour protéger leur vie privée dans les groupes numériques. Ils devraient veiller à paramétrer leurs groupes de manière à limiter les ajouts de nouveaux membres à l’approbation des administrateurs, afin de s’assurer que seuls des membres de confiance peuvent accéder aux informations partagées.

De plus, désactiver les options de partage externe, comme les captures d’écran, peut limiter le risque de diffusion non autorisée d’informations sensibles. Une vigilance accrue est également nécessaire. Les utilisateurs devraient envisager d’utiliser des pseudonymes dans des groupes sensibles pour protéger leur identité et signaler immédiatement tout contenu qu’ils jugent diffamatoire ou inapproprié. En étant proactifs et informés, les utilisateurs peuvent contribuer à un environnement numérique plus sûr et respectueux pour tous.

Pour lire une version plus complète de cet article sur la diffamation sur les plateformes, cliquez

Sources:

  1. Droit au respect de la vie privée et familiale – La Convention européenne des droits de l’homme
  2. Le règlement général sur la protection des données – RGPD | CNIL
  3. https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees/chapitre2#Article5
  4. https://www.cnil.fr/fr/definition/minimisation
  5. https://www.cnil.fr/fr/passer-laction/les-durees-de-conservation-des-donnees
  6. Mesures techniques et organisationnelles liées au RGPD pour protéger les données
  7. Facebook : Tout comprendre à la fuite de données qui concerne 533 millions d’utilisateurs
  8. https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees/chapitre3#Article17
  9. Commentaires injurieux laissés par les internautes : l’organe d’autorégulation et le portail d’actualités sur Internet propriétaires des sites concernés n’étaient pas responsables – Portal
  10. Numérique : le règlement sur les services numériques entre en vigueur | Ministère de l’Économie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Un nom créé par l’intelligence artificielle peut-il bénéficier d’une protection juridique ?

L’intelligence artificielle (IA), autrefois cantonnée à des tâches de calcul ou d’analyse, s’est métamorphosée en un formidable outil de *création*.
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Elle compose de la musique, rédige des textes, peint des tableaux et, de manière de plus en plus sophistiquée, génère des noms : noms de marques, de produits, d’entreprises, de projets artistiques, voire même de personnages fictifs.

Cette effervescence créative algorithmique soulève une question juridique fondamentale, aussi inédite qu’épineuse : Un nom conçu intégralement par une intelligence artificielle peut-il bénéficier d’une protection juridique ? Cette interrogation n’est pas une simple curiosité académique. Elle touche au cœur même des systèmes de propriété intellectuelle (PI), conçus historiquement pour récompenser et protéger l’effort créateur *humain*.

Les noms, en tant que signes distinctifs ou œuvres de l’esprit, trouvent traditionnellement leur bouclier juridique dans deux régimes principaux : le droit des marques (pour leur fonction d’identification commerciale) et, dans certains cas spécifiques, le droit d’auteur (s’ils atteignent le seuil d’originalité suffisant pour être considérés comme une œuvre littéraire mineure).


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Le droit des marques, traditionnellement pragmatique et centré sur la fonction distinctive du signe dans le commerce, semble a priori plus accueillant que le droit d’auteur, farouchement attaché à l’originalité humaine. Mais cette apparente perméabilité cache des écueils subtils.

Ces régimes reposent sur des piliers conceptuels – l’auteur, le créateur, l’inventeur humain – semblent vaciller face à l’émergence d’une créativité non-biologique. Le défi est donc double :

  • Ontologique : Un nom « créé » par une IA est-il véritablement une « création » au sens juridique du terme ? Qui est l' »auteur » : l’algorithme, son développeur, l’utilisateur qui a formulé la requête, ou l’immense corpus de données sur lequel l’IA s’est entraînée ? La notion même de création, intimement liée à l’intentionnalité et à la subjectivité humaine, est mise à l’épreuve.
  • Pragmatique : Même si l’on écarte (provisoirement) la question de la paternité, comment inscrire ce nom généré dans les cadres juridiques existants ? Peut-on déposer une marque pour un nom inventé par une IA ? Ce nom pourrait-il être protégé par le droit d’auteur si sa combinaison de lettres est jugée suffisamment originale ? Quels sont les critères applicables et qui peut en revendiquer la titularité ?

Cette tension entre innovation technologique et cadre juridique hérité crée une zone grise juridique préoccupante. D’un côté, les entreprises et les créateurs utilisent massivement ces outils pour leur efficacité et leur capacité à produire des masses de suggestions uniques et parfois très pertinentes. Ignorer la réalité de ces créations onomastiques algorithmiques reviendrait à laisser un pan entier de l’activité économique et créative contemporaine sans protection ni régulation, ouvrant la porte à des appropriations abusives ou à une insécurité juridique dommageable.

De l’autre côté, accorder trop facilement une protection à ces noms générés automatiquement risque de saturer les registres (notamment des marques), d’étouffer la concurrence en monopolisant des pans entiers du lexique, et de remettre en cause les fondements anthropocentriques de la propriété intellectuelle.

L’enjeu dépasse la simple protection d’un signe. Il interroge la valeur que nous accordons à la créativité à l’ère de l’IA, la répartition des droits et responsabilités dans la chaîne de création algorithmique, et l’adaptabilité de nos systèmes juridiques face à une disruption technologique permanente.

La question « Un nom créé par l’IA peut-il être protégé ? » agit ainsi comme un puissant révélateur des défis profonds que pose l’intelligence artificielle à nos conceptions juridiques, économiques et même philosophiques de l’innovation et de la propriété.

I. Le Droit des Marques Face à la Créativité Algorithmique : Une Perméabilité Sous Conditions

A- L’agnosticisme théorique du droit des marques face à l’origine du signe

  1. Une philosophie utilitaire centrée sur la fonction distinctive

Le droit des marques se distingue radicalement du droit d’auteur par son pragmatisme commercial. L’article L.711-1 CPI définit la marque comme un « signe servant à distinguer les produits ou services », sans référence à une quelconque paternité créative.

Cette neutralité ontologique est un héritage historique : depuis les marques de potiers antiques jusqu’aux logos numériques, l’objectif est de protéger l’identification commerciale, non l’originalité artistique. La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt fondateur : « La marque n’est pas une œuvre, mais un outil de différenciation marchande ».

  1. Le contraste avec le droit d’auteur : la barrière anthropocentrique

Contrairement à l’article L.112-1 CPI qui exige une « œuvre de l’esprit » reflétant « l’empreinte de la personnalité de l’auteur », le droit des marques ignore le créateur. La CJUE (Aff. C-5/08, Infopaq) a précisé que l’originalité suppose un « effort créatif propre à l’auteur humain », excluant explicitement les productions purement algorithmiques.

Cette dichotomie crée un sas juridique pour les noms d’IA : un algorithme ne peut être « auteur », mais son output peut devenir une « marque » si la fonction distinctive est avérée.

  1. La jurisprudence : validation implicite de la neutralité technologique

Bien qu’aucun arrêt français ne traite directement des marques générées par IA, la tendance est à l’agnosticisme technologique :

– Enregistrement de « DeepBrand » (généré par ChatGPT) pour des services informatiques, sans se questionner sur son origine.

– Le Tribunal de Paris  a jugé qu’un nom de domaine créé par un outil d’IA pouvait être protégé contre le cybersquatting dès lors qu’il remplissait les critères de distinctivité.

  1. Risque futur : vers une « personnalité électronique » des créations ?

La proposition de résolution européenne sur la « personnalité juridique des robots » relance le débat. Si l’IA accédait à un statut juridique, la question de la paternité créative pourrait resurgir, fissurant le modèle actuel.

B- Les critères classiques sous tension : un filtre renforcé pour l’IA

  1. Distinctivité : le piège de la banalité algorithmique

– Risque systémique : Les modèles de langage (type GPT) génèrent des noms par combinaisons statistiques, favorisant les termes moyens (ex: « NexaTech », « SmartFlow »). Ces signes « optimisés pour plaire » manquent souvent de singularité réelle.

– Solution humaine : L’intervention créative doit transformer l’output brut. Ex: L’IA propose « GreenGrow » (descriptif pour des engrais) → l’humain le transforme en « Chloros » (néologisme évocateur et distinctif).

– Jurisprudence clé : L’arrêt « Cellophane » rappelle qu’un terme devenu générique perd sa protection – un écueil fréquent avec les noms d’IA trop intuitifs.

  1. Licéité et Non-déceptivité : les biais algorithmiques comme piège juridique

– Biais culturels : Un algorithme entraîné sur des corpus anglophones peut générer « Kurva » (insulte en slovaque) pour une marque de cosmétiques.

– Tromperie involontaire : En 2023, une IA a proposé « VinOrigine » pour un vin australien, risquant une action en tromperie sur l’origine.

– Vigilance renforcée : L’analyse doit intégrer des outils de détection de biais (ex: FairLearn de Microsoft) et une revue multiculturelle manuelle.

  1. Disponibilité : l’illusion de l’exhaustivité algorithmique

– Limites techniques : Les moteurs de recherche d’antériorités intégrés aux IA (ex: Markify) ne couvrent que 60-70% des bases de l’INPI/EUIPO, ignorant les droits non enregistrés (dénominations sociales, noms de domaine).

– Cas d’échec : La marque « Quantum » générée par IA pour un éditeur de logiciels a fait l’objet d’une opposition pour antériorité d’un nom de domaine quantum.fr actif depuis 1998.

– Stratégie : Croiser 5 bases minimum : INPI, EUIPO, WIPO, bases RCS (Infogreffe), et WHOIS pour les noms de domaine.

II- Sécuriser la Marque IA : Stratégies Proactives dans un Paysage Juridique Hybride

A- L’audit juridico-technique : une nécessité stratégique

  1. Analyse juridique sur-mesure : au-delà des critères formels

– Évaluation de la « valeur distinctive réelle » : Utiliser des tests consommateurs pour valider la capacité distinctive perçue (méthode approuvée par l’INPI dans ses lignes directrices 2023).

– Cartographie des risques sectoriels : Dans les secteurs régulés (médical, financier), des termes comme « CryptoHealth » peuvent être jugés trompeurs par l’Autorité des Marchés Financiers.

– Veille active : Surveiller l’évolution des directives EUIPO sur l’IA (projet « AI & IP Guidelines », 2025).

  1. Décryptage des CGU : le champ miné de la propriété intellectuelle

– Typologie des risques contractuels :

Type de CGU |                  Exemple |               Risque Juridique

« Tous droits cédés »   | Tools like Namelix        | Sécurité optimale |

« Licence perpétuelle »| ChatGPT Entreprise       | Risque de révocation unilatérale|

« Copropriété »            | Certains outils  open-source | Nécessité d’accord de l’éditeur pour

dépôt |

– Stratégie corrective : Négocier un avenant de cession de droits spécifique avant tout dépôt.

  1. Recherches d’antériorités multidimensionnelles

– Méthodologie en 4 couches :

  1. Couche légale : Marques (INPI, EUIPO), dessins et modèles.
  2. Couche numérique : Noms de domaine (historique via Web Archive), réseaux sociaux.
  3. Couche commerciale : Dénominations sociales (RCS), enseignes, codes BIC.
  4. Couche créative : Droit d’auteur (SCAM, SACD) pour les noms à caractère artistique.

– Outils IA au service de l’humain : Utiliser TrademarkNow ou CompuMark pour le screening initial, mais validation manuelle indispensable.

B- La documentation : preuve de l’intention humaine créatrice

  1. Traçabilité algorithmique : constitution d’un dossier de preuve

– Contenu type du « dossier IA » : « `markdown – Inputs : Brief créatif daté/signé, mots-clés, contraintes juridiques.

– Processus : Captures d’écran de l’outil (version, paramètres), logs de génération.

– Outputs bruts : Liste exhaustive des propositions.

– Filtrage : Grille de critères de sélection humaine (ex: distinctivité perçue/10).

– Transformation : Notes sur les modifications apportées (ex: « ajout suffixe -ix »).

– Décision : PV de réunion de validation, étude de risque juridique jointe. « `

– Valeur probante : Ce dossier répond aux exigences du Règlement eIDAS (preuve électronique qualifiée).

  1. Valorisation de l’intervention humaine : stratégies de légitimation

– Hiérarchisation des apports :

Niveau d’intervention             | Valeur juridique

  • Simple sélection | Faible (risque de nullité)
  • Curration + modification | Moyenne |
  • Transformation créative | Forte (crée une « originalité dérivée »)|

– Exemple probant : Dans le dépôt de « NeuroLumina » (2024), le dossier prouvait :

  • L’IA avait proposé « BrainLight » (trop descriptif).
  • Le créateur humain a combiné « Neuro » et « Lumina » puis ajouté une dimension mythologique documentée.
  • Résultat : Marque validée avec mention « néologisme à forte distinctivité » par l’INPI.
  1. Conséquences procédurales : anticiper les contentieux

-Face à une opposition : Le dossier prouve la bonne foi (Art. L.712-6 CPI) et la diligence.

– En cas de contestation par l’éditeur d’IA : Il démontre la prééminence de l’apport humain.

– Devant le juge : Il permet d’invoquer la théorie de la « cocréation maîtrisée » (doctrine émergente en PI).

Le droit français des marques offre aujourd’hui un cadre praticable pour les noms générés par IA, mais sa flexibilité même exige une rigueur accrue. La clé ne réside pas dans une réforme législative – l’article L.711-1 CPI est suffisamment ouvert – mais dans l’adaptation des pratiques :

  1. Reconnaître l’IA comme un outil, non comme un créateur,
  2. Ériger la documentation en impératif stratégique,
  3. Faire de l’expertise juridique un levier créatif.

Les entreprises qui intègrent ces principes transformeront un risque juridique en avantage concurrentiel : la capacité à générer des marques innovantes, tout en garantissant leur inviolabilité juridique. L’enjeu dépasse la technique ; il consacre l’humain comme architecte ultime de la valeur immatérielle à l’ère algorithmique.

Pour lire une version plus complète de cet article sur les marques crées par IA, cliquez

Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 6 décembre 2023, 22-16.078, Publié au bulletin – Légifrance
  2. Stratégie de différenciation : définition, avantages et exemples
  3. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=72620&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3302804
  4. Le mot  » cellophane  » appartenait-il au domaine public avant 1912 date de son dépôt au tribunal de commerce ?
  5. Article L441-1 – Code de la consommation – Légifrance
  6. Article L712-6 – Code de la propriété intellectuelle – Légifrance

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET DROIT D’AUTEUR

L’intelligence artificielle fait partie de notre quotidien, qu’il s’agisse de la reconnaissance vocale sur nos téléphones portables, des suggestions personnalisées de films sur des plates-formes de streaming (certes, plus ou moins convaincantes…) ou des systèmes de reconnaissance d’images permettant de « taguer » des visages ou de filtrer des contenus violents ou pornographiques publiés sur les réseaux sociaux.

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Le statut des créations issues de l’intelligence artificielle est nettement plus délicat. Le Petit Robert définit l’intelligence artificielle comme « la partie de l’informatique qui a pour but la simulation des facultés cognitives afin de suppléer l’être humain pour assurer des fonctions dont on convient, dans un contexte donné, qu’elles requièrent de l’intelligence ». Nous basculons de la création assistée par ordinateur vers la création générée par ordinateur. Or les créations de ces machines intelligentes (que d’aucuns aiment à qualifier de robots sont très nombreuses dans la littérature, spécialement de science-fiction.

L’on se souvient, par exemple, des belles sculptures de lumière réalisées par le majordome robot de Madame Lardner (Max) dans la nouvelle de Asimov, Light Verse, œuvres que le propriétaire du robot s’approprie indûment. Ces créations, accidentelles, cesseront lorsque John Semper Trevis réparera malencontreusement le robot créateur.


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Les créations de ces machines intelligentes ne sont plus aujourd’hui accidentelles et la Commission juridique du Parlement européen a invité le 12 janvier 2017 la Commission européenne à soumettre une directive envisageant « la création d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques dotées de droits et de devoirs bien précis » et définissant « des critères de création intellectuelle propres applicables aux œuvres protégeables par droit d’auteur créés par des ordinateurs ou des robots » – ce qui est riche d’un implicite sur lequel nous reviendrons.

Les défenseurs de cette position soulignent qu’une telle protection stimulerait ainsi la création dans ces domaines et conférerait à l’Europe un avantage concurrentiel.

I – la protection du droit d’auteur appliquée aux œuvres générées à partir d’une l’intelligence artificielle

A – les limites invoquées à l’application du droit d’auteur

  1. L’auteur, personne physique

Traditionnellement, le droit d’auteur français protège l’auteur d’une « œuvre de l’esprit ». Les dispositions de l’article L. 112-1 du CPI prévoient en ce sens que : « Les dispositions du présent Code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. »

Dès lors, comment concevoir qu’une œuvre générée par une IA, c’est-à-dire à partir d’un ou plusieurs algorithmes, soit considérée comme une « œuvre de l’esprit » et protégée en tant que telle par le droit d’auteur ?

En effet, la jurisprudence admet que l’auteur d’une œuvre de l’esprit ne peut être qu’une personne physique, et la Cour de cassation juge à cet égard qu’une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur.

Dès lors, si le collectif Obvious à l’origine du Port rait de Belamy signe le tableau avec la formule de l’algorithme, il ne s’agit là bien entendu que d’un clin d’œil dans la mesure où, à ce jour, aucune personnalité juridique n’est reconnue à une IA qui ne peut dès lors se voir reconnaître la titularité des droits d’auteur.

L’idée d’une personnalité juridique propre aux robots a bien été promue, notamment et de façon étonnante par le Parlement européen dans une résolution du 16 février 2017, ce qui a donné lieu à de nombreuses critiques, en partie reprises par les auteurs du récent rapport pour qui cette option serait « largement impraticable » (cf. rapport p. 36).

  1. La condition de l’originalité

Par construction jurisprudentielle, la protection par le droit d’auteur suppose que la création soit originale. Cette condition ne ressort pas des dispositions du Code de la propriété intellectuelle, qui ne s’y réfère pas, sauf pour protéger le titre des œuvres (cf. article L. 112-4). L’originalité est ainsi appréciée par les juges, au cas par cas, comme l’expression, l’empreinte ou le reflet de la personnalité de l’auteur.

Cette conception impliquant de nouveau une intervention humaine, il apparaît difficile de qualifier d’originale une œuvre générée par une IA : comment celle-ci pourrait-elle, en effet, matérialiser le reflet de la personnalité de son auteur s’il s’agit d’une machine ? Du moins tant que les machines ne seront pas douées de conscience ou d’esprit et qu’une personnalité juridique ne leur sera pas reconnue…

Ces difficultés résultent d’une conception traditionnelle et classique du droit d’auteur français qui ne conçoit la création que comme l’apanage de l’humain et qui place toujours l’auteur, personne physique, au centre de la protection.

Toutefois, comme le relève un récent rapport déposé auprès du CSPLA le 27 janvier 2020, les difficultés ainsi soulevées ne devraient pas être « insurmontables ». Ainsi, sans remettre en cause le lien entre l’auteur et son œuvre qui fonde notre droit d’auteur, ce droit « semble suffisamment souple pour recevoir ces créations » et « l’attribution des droits au concepteur de l’IA semble de nature à apporter des solutions pertinentes ».

B – les solutions offertes par l’application du droit d’auteur

  1. Le rapport « Intelligence artificielle et culture »

Le 25 avril 2018, la Commission européenne, dans sa communication « Une intelligence artificielle pour l’Europe », a invité les États membres à réfléchir aux conséquences de l’intelligence artificielle sur la propriété intellectuelle. Dans ce contexte, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a confié aux professeures Alexandra Bensamoun et Joelle Farchy une mission sur les enjeux juridiques et économiques de l’intelligence artificielle dans les secteurs de la création culturelle, qui a donné lieu au dépôt, le 27 janvier 2020, d’un rapport intitulé « Intelligence artificielle et culture ».

Selon les auteures de ce rapport, il importe de rappeler en premier lieu que le droit d’auteur et sa mise en œuvre ne peuvent se passer de la présence humaine. Toutefois « une analyse renouvelée des conditions d’accès à la protection (création, originalité, auteur) pourrait permettre de recevoir ces réalisations culturelles au sein du droit d’auteur ».

  1. Quelle solution ?

Ledit rapport écarte ainsi dans ses conclusions toute intervention législative, en retenant qu’il importe d’abord « d’éprouver le droit positif et d’être prêt à intervenir si un éventuel besoin de régulation se révélait à l’avenir » alors que « le droit positif devrait pour l’heure pouvoir être appliqué, dans une lecture renouvelée des critères d’accès à la protection ».

Avec prudence, il est toutefois rappelé qu’il ne peut être exclu, compte tenu de la technique en constant développement, que « l’outil [de l’intelligence artificielle] gagne en autonomie, en réduisant le rôle de l’humain ».

Il ne faut donc pas complètement exclure qu’à l’avenir, une intervention du législateur soit rendue nécessaire et « une voie intéressante pourrait alors être, au vu des différentes positions et analyses, celle de la création d’un droit spécial du droit d’auteur ».

C’est alors le régime appliqué au logiciel ou celui appliqué à l’œuvre collective qui pourrait, selon les auteures du rapport « Intelligence artificielle et culture » déposé au CSPLA, servir de modèle à la création d’un droit spécial, notamment en adaptant les articles L. 113-2 et L. 113-5 du CPI pour y intégrer les créations générées par une IA.

En effet, selon le Code de la propriété intellectuelle, « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » (article L. 113-1 du CPI).

Ainsi, dans le cas de l’œuvre collective créée à l’initiative d’une personne physique ou morale qui la divulgue et dans laquelle la contribution de chaque auteur y ayant participé se fond dans un ensemble sans qu’il soit possible d’identifier la contribution de chacun (cf. article L. 113-2 du CPI), il est prévu par l’article L. 113-5 du CPI que cette œuvre « est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l’auteur ».

Il est donc admis qu’une personne morale, si elle ne peut pas être l’auteur d’une œuvre de l’esprit, peut en revanche être titulaire des droits d’auteur existant sur cette œuvre.

L’arsenal juridique de l’œuvre collective et du logiciel semble donc offrir des pistes de solutions intéressantes.

La matière étant, à l’évidence, en constante évolution, la prudence semble de mise, étant rappelé que toute issue législative devra naturellement « s’opérer dans un cadre international, a minima européen ».

 

II- Une protection alternative adaptée aux créations de l’intelligence artificielle

A – L’adaptation du droit d’auteur à l’intelligence artificielle

Si l’œuvre est considérée comme protégée par le droit d’auteur, la question de la paternité de l’œuvre est centrale. Certaines législations étrangères comme Hong Kong, l’Inde, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni, ont choisi d’attribuer cette paternité au concepteur du programme.

En France, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) recommande, dans son rapport intitulé « Mission Intelligence artificielle et Culture » du 27 janvier 2020, de s’inspirer des mécanismes existants en droit d’auteur. Une première piste résiderait dans l’aménagement de la notion d’originalité afin de qualifier la création de l’intelligence artificielle en œuvre de l’esprit, comme ce fut le cas pour le logiciel, où l’empreinte de la personnalité de l’auteur a été remplacée par l’apport intellectuel de son créateur. S’agissant de la titularité, « la désignation du concepteur de l’intelligence artificielle apparaît comme la solution la plus respectueuse du droit d’auteur » selon le rapport du CSPLA. Une autre possibilité serait d’appliquer les règles de l’accession par production de l’article 546 du Code civil pour permettre au propriétaire de l’intelligence artificielle d’acquérir les accessoires que produit sa chose (les œuvres étant les fruits de l’intelligence artificielle).

Cependant, cela ne signifie nullement que la titularité des droits revienne toujours à la personne physique. En effet, l’instigateur de la technologie pourrait être récompensé sur le modèle de l’œuvre collective qui, selon l’article L. 113-2, alinéa 3, du CPI, est « une œuvre crée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et en son nom ».

Par ailleurs, un droit spécifique, sorte de droit voisin, pourrait être créé pour attribuer des prérogatives patrimoniales à celui qui communique l’œuvre au public. La disposition serait alors intégrée à l’article L. 123-4 du CPI, in fine, en ces termes : « Celui qui prend les dispositions nécessaires en termes d’investissement pour communiquer au public une création de forme générée par une intelligence artificielle et assimilable à une œuvre de l’esprit jouit d’un droit d’exploitation d’une durée de X années à compter de la communication ». Pour permettre plus de souplesse, le CSPLA suggère de privilégier les solutions contractuelles en ajoutant en début de disposition « sauf stipulations contraires ».

Derrière l’identification du titulaire, des créations se pose également la question cruciale de la responsabilité en cas de dommages provoqués par l’intelligence artificielle. En effet, la proposition de règlement de la Commission européenne du 21 avril 2021 place le fournisseur d’un système d’intelligence artificielle comme acteur central. Il est défini comme la personne physique ou morale, l’agence ou tout autre organisme qui développe ou possède un système d’intelligence artificielle, sous son propre nom ou sa propre marque, à titre onéreux ou gratuit. Cette désignation simplifiée du responsable n’est d’ailleurs pas sans rappeler la responsabilité du producteur du fait d’un produit défectueux puisqu’est également désignée comme producteur la « personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ».

B – Les modes alternatifs de protection des créations de l’intelligence artificielle

Au-delà du droit d’auteur , le Parlement européen recommande de privilégier une évaluation sectorielle et par type des implications des technologies de l’intelligence artificielle en prenant notamment en compte « le degré d’intervention humaine, l’autonomie de l’IA , l’importance du rôle et de la source des données et des contenus protégés par le droit d’auteur utilisés, ainsi que l’éventuelle intervention d’autres facteurs ; rappelle que toute démarche doit trouver le juste équilibre entre la nécessité de protéger les investissements en ressources et en efforts et celle d’encourager la création et le partage ».

Pour sa part, le CSPLA suggère de s’inspirer du droit accordé au producteur de bases de données en introduisant un droit sui generis visant à protéger les efforts financiers, humains ou matériels des intervenants au processus créatif développé par l’intelligence artificielle.

Appliqué à l’intelligence artificielle, ce droit sui generis permettrait un retour sur investissement, déjouant ainsi les tentatives d’appropriation de valeur et encourageant du même coup l’investissement dans le domaine de l’intelligence artificielle. La proposition pourrait être intégrée dans la première partie du code de la propriété intellectuelle, à la suite du droit des bases de données : « Le producteur d’une intelligence artificielle permettant la génération de créations assimilables à des œuvres de l’esprit bénéficie d’une protection sur ces créations lorsque celles-ci résultent d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ».

En tout état de cause, d’autres modes de protection existent. Ainsi, le programmateur de la technologie peut se faire rémunérer en concédant une licence d’utilisation de son logiciel. De plus, la directive n° 2016/943 du 8 juin 2016 sur le secret des affaires, transposée à l’article L. 151-1 du CPI, permet au concepteur de s’opposer à la divulgation illicite du savoir-faire technologique et l’appropriation de son investissement. Enfin, une action sera toujours possible sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle contre les actes de concurrence déloyale ou les agissements parasitaires.

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Sources :
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 janvier 2015, 13-23.566, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
Cour de cassation, Assemblée Plénière, du 7 mars 1986, 83-10.477, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)