contrefaçon

Quand la presse va trop loin : la Cour de cassation clarifie les limites

Dans les relations économiques, la frontière entre l’information légitime et le dénigrement fautif demeure l’une des plus délicates à tracer. Entre la nécessité pour un opérateur économique de protéger ses droits — notamment de propriété intellectuelle — et le devoir de respect de la réputation commerciale d’autrui, le juge doit sans cesse arbitrer entre deux principes de valeur égale : la liberté d’expression et la responsabilité civile.
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L’alerte, la dénonciation ou la communication précontentieuse constituent aujourd’hui des pratiques fréquentes dans le monde des affaires. Dans un contexte de concurrence intense, les titulaires de droits n’hésitent pas à informer leurs partenaires ou les distributeurs d’un risque de contrefaçon ou de violation de leurs droits. À première vue, cette démarche relève d’une simple information préventive, fondée sur un souci de transparence et de protection. Mais cette liberté de communication trouve sa limite dans l’interdiction de dénigrer un produit, un service ou une entreprise concurrente sans base factuelle suffisante ou sans décision judiciaire établie.

C’est précisément sur cette ligne de crête que la Cour de cassation a été amenée à se prononcer dans un arrêt du 18 septembre 2025 (pourvoi n° 23-24.005). Dans cette affaire, une société avait adressé à plusieurs distributeurs des lettres affirmant qu’un concurrent commercialisait des produits susceptibles de constituer des contrefaçons, les invitant à en cesser la promotion.


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La cour d’appel de Montpellier, considérant que la communication demeurait mesurée et appuyée sur des éléments crédibles, avait refusé d’y voir un dénigrement. La Cour de cassation, au contraire, casse cette décision : selon elle, le seul fait d’informer des tiers d’une possible contrefaçon, avant toute reconnaissance judiciaire, constitue en lui-même un acte fautif de dénigrement engageant la responsabilité civile de son auteur.

Cette position, d’une grande fermeté, vient resserrer le champ de la communication précontentieuse licite. Elle marque un tournant dans l’équilibre entre liberté de parole économique et protection de la réputation commerciale. En posant une présomption quasi automatique de faute, la haute juridiction place désormais le risque d’erreur sur l’auteur de l’alerte, même bien intentionnée.

Au-delà du contentieux particulier de la propriété intellectuelle, l’arrêt du 18 septembre 2025 interroge une question fondamentale : où s’arrête le droit d’informer et où commence le dénigrement ? Cette décision invite à repenser la communication juridique à l’ère des marchés interconnectés et des échanges instantanés, où chaque parole peut impacter durablement l’image économique d’une entreprise.

L’étude de cette jurisprudence suppose donc d’examiner d’abord La consécration d’une conception restrictive de la liberté d’information économique (I), avant d’en mesurer Les incidences pratiques de la jurisprudence sur la communication précontentieuse (II).

I – La consécration d’une conception restrictive de la liberté d’information économique

  1. Le cadre juridique du dénigrement : entre liberté d’expression et responsabilité civile

L’action en dénigrement des produits ou services relève du droit commun de la responsabilité civile, c’est-à-dire de l’article 1240 (ancien article 1382) du Code civil. Cette voie est une exception au principe selon lequel les abus de la liberté d’expression relèvent du régime spécial de la loi du 29 juillet 1881 (diffamation, injure). En effet, la jurisprudence considère que les critiques dirigées non pas contre la personne morale ou physique, mais contre ses produits ou services, ouvrent une voie civile autonome de responsabilité.

Cependant, cette liberté d’expression commerciale est limitée : elle ne peut être exercée sans contrôle. Le juge vérifie notamment (i) que l’information contestée repose sur des bases factuelles suffisantes, (ii) qu’elle est exprimée avec mesure, (iii) qu’elle peut éventuellement relever d’un intérêt général (lorsqu’elle porte sur des questions sanitaires, de sécurité, d’environnement) pour justifier une diffusion plus large sans caractère fautif.

Dans les arrêts antérieurs, la Cour de cassation avait déjà jugé que divulguer à la clientèle une action en contrefaçon non encore juridiquement jugée pouvait constituer un dénigrement faute de base factuelle suffisante – en d’autres termes, le droit de critiquer ou d’alerter n’est pas un blanc-seing.  L’arrêt du 9 janvier 2019 est emblématique : la Cour a posé que l’information de nature à jeter le discrédit sur un produit constitue un acte de dénigrement, sauf si l’information est justifiée et mesurée.

L’arrêt du 18 septembre 2025 confirme cette orientation, mais avec une exigence de rigueur accrue : la Cour de cassation retient que « en l’absence de décision de justice retenant l’existence d’actes de contrefaçon de droits d’auteur, le seul fait d’informer des tiers d’une possible contrefaçon… est constitutif d’un dénigrement ». Autrement dit, l’alerte précontentieuse elle-même est désormais qualifiée immédiatement de dénigrement, même si formellement mesurée.

Cette solution repose sur une conception stricte de la sécurité juridique et de la protection de la réputation commerciale : le titulaire de droits ne peut pas assumer librement le risque d’erreur dans sa communication publique avant qu’un juge n’ait confirmé le bien-fondé de ses prétentions.

  1. L’arrêt du 18 septembre 2025 : un durcissement jurisprudentiel notable

L’arrêt de 2025 bouleverse les marges de manœuvre classiques en matière précontentieuse. Il opère plusieurs choix majeurs :

Inversion du risque — celui qui alerte prend le risque d’être condamné s’il se trompe, sans que la charge de la preuve repose uniquement sur le tiers informé de démontrer l’inexactitude. Le simple discours préventif devient lui-même fautif, à défaut de validation judiciaire.

Réduction des gradations entre propos modérés et propos excessifs — la Cour ne distingue plus dans cette hypothèse entre une lettre mesurée et une lettre véhémente : toute alerte, même pondérée, devenue publique auprès de distributeurs, est susceptible d’être qualifiée de dénigrement. Cela remet en question l’idée qu’une communication « prudente » puisse être admise.

Effet dissuasif sur les stratégies précontentieuses — les titulaires de droits seront fortement incités à limiter leur communication aux parties directement concernées ou à attendre la saisine judiciaire avant toute diffusion externe. Cette solution ralentit les démarches de prévention ou de renseignement du marché.

Uniformisation du régime du dénigrement dans le domaine de la propriété intellectuelle — l’arrêt n’est pas isolé, il s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle la dénonciation ou l’alerte sans base juridique consolidée peut être qualifiée de dénigrement.  En cela, la Cour de cassation réaffirme et durcit une ligne qu’elle avait déjà partiellement esquissée dans d’autres affaires.

Cependant, la portée de cet arrêt doit être relativisée : la décision concerne spécifiquement la contrefaçon de droits d’auteur et une communication à des distributeurs — elle ne signifie pas nécessairement que toute critique non jugée serait automatiquement dénigrante dans d’autres champs ou contextes. Le débat reste ouvert quant à l’application à des droits voisins (brevets, marques, dessins), aux avis publics ou aux médias, ou à des communications purement internes.

En somme, l’arrêt du 18 septembre 2025 confirme que le partage d’une suspicion juridique non validée devant un tribunal peut être reproché comme un acte fautif de dénigrement.

II. Les incidences pratiques de la jurisprudence sur la communication précontentieuse

  1. Les nouveaux critères de prudence pour les titulaires de droits

Si l’arrêt semble établir une ligne stricte, il ne faut pas pour autant croire que toute communication précontentieuse est interdite.

La jurisprudence continue d’admettre des exceptions, notamment lorsque :

  • l’information repose sur des éléments objectifs et vérifiables (expertises, constats, analyses indépendantes) ;
  • la communication est limitée à un cercle restreint, sans diffusion publique ;
  • la formulation demeure prudente et hypothétique, sans accusation formelle ;
  • l’objectif poursuivi est légitime, par exemple la protection d’un droit ou la prévention d’un risque de sécurité ou de santé.

Ainsi, la doctrine et les praticiens distinguent trois degrés :

  • L’information purement factuelle, fondée sur des éléments prouvés : licite.
  • L’information hypothétique mais prudente, sans diffusion large : licite sous réserve.
  • L’information hypothétique diffusée à des tiers, sans preuve : fautive.

L’arrêt du 18 septembre 2025 appartient clairement à la troisième catégorie : l’information litigieuse visait douze revendeurs et évoquait une contrefaçon non jugée, ce qui suffisait à caractériser le dénigrement.

Le seuil de tolérance est donc extrêmement bas : toute communication externe sur une infraction non encore reconnue est présumée fautive.

  1. Les perspectives et débats doctrinaux ouverts par la décision

Cette jurisprudence appelle plusieurs enseignements pratiques :

Limiter la communication précontentieuse : désormais, toute lettre d’alerte adressée à des tiers doit être évitée avant décision judiciaire.

Recourir au juge en amont : il est préférable de saisir en urgence le juge des référés pour obtenir des mesures conservatoires ou une constatation préliminaire avant toute diffusion d’avertissements.

Adopter une stratégie de communication prudente : si une information doit être transmise, elle doit être rédigée en termes conditionnels, appuyée sur des constats précis et adressée exclusivement à la partie directement concernée.

Documenter la preuve du droit invoqué : chaque communication devra être accompagnée d’un dossier probatoire solide, susceptible de démontrer la bonne foi et la rigueur du titulaire de droit.

Anticiper la contre-attaque : l’entreprise visée par une mise en garde peut désormais, de façon plus systématique, engager une action en dénigrement, voire obtenir des mesures de cessation et de réparation rapides.

Cette solution a un effet dissuasif certain : elle invite à judiciariser davantage les relations économiques, mais au prix d’une moindre efficacité préventive.

En pratique, la prudence imposée par la Cour peut ralentir les démarches de protection des droits, mais elle favorise un marché plus loyal, où la réputation des produits est préservée jusqu’à preuve du contraire.

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Sources :

  1. https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/101053-informer-sans-preuve-judiciaire-est-ce-denigrer.html
  2. https://www.avodes-avocats.fr/articles/avertir-distributeurs-dun-risque-contrefacon-sans-decision-justice-constitue-denigrement-commercial-24414.htm
  3. https://www.lemondedudroit.fr/affaires/274-concurrence-distribution/101127-informer-sans-preuve-judiciaire-est-ce-denigrer.html
  4. https://www.barbier-avocat.com/articles/denigrement-est-caracterise-par-seul-fait-dinformer-tiers-dune-possible-contrefacon-30127.htm

Peut-on nourrir une IA avec des œuvres protégées ? Le cas Thomson Reuters contre Ross

Depuis quelques années, les juridictions américaines se retrouvent confrontées à une problématique émergente : comment concilier la montée en puissance de l’intelligence artificielle, particulièrement gourmande en données, avec les exigences du droit d’auteur qui protège une partie importante de ces ressources ?

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La question est d’autant plus sensible que les acteurs de l’IA s’appuient fréquemment sur des corpus textuels de grande ampleur pour entraîner leurs systèmes, au risque de se heurter aux droits des éditeurs et producteurs de contenu.

C’est dans ce contexte qu’intervient le litige Thomson Reuters c. Ross Intelligence, jugé le 11 février 2025 par le tribunal fédéral du district du Delaware. L’affaire oppose l’éditeur juridique Thomson Reuters, propriétaire de la base de données Westlaw, à la jeune entreprise Ross Intelligence, qui développait un moteur de recherche juridique fondé sur l’apprentissage automatique. Refusant d’accorder une licence à Ross, Thomson Reuters a accusé la startup d’avoir contourné l’obstacle en recourant à des intermédiaires pour accéder indirectement à ses contenus protégés, notamment les headnotes et le système de classification juridique qui structurent Westlaw.

La décision rendue par le juge Stephanos Bibas retient particulièrement l’attention : elle reconnaît le caractère protégeable des headnotes au regard du copyright américain et, surtout, écarte la défense de fair use avancée par Ross. Le tribunal estime que l’utilisation litigieuse ne présentait pas de caractère transformateur suffisant, qu’elle poursuivait un but commercial et qu’elle risquait de porter gravement atteinte au marché de Thomson Reuters.


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Ce jugement, bien qu’intermédiaire et limité à certains aspects du dossier, constitue un signal fort. Il s’agit de l’une des premières décisions américaines qui applique directement l’analyse du fair use à l’entraînement d’une IA, et ce en dehors du champ de l’IA générative.

Les enseignements tirés dépassent ainsi le secteur juridique : ils concernent potentiellement toutes les entreprises développant des systèmes d’IA nourris de données protégées. La question de l’accès aux corpus, des conditions de licence et des risques de concurrence déloyale devient centrale, dans un paysage où le droit d’auteur sert de garde-fou mais peut aussi freiner l’innovation.

I. Fondements juridiques de la décision Thomson Reuters v. Ross Intelligence

A. Les critères retenus pour établir l’infraction au droit d’auteur

  • Originalité (Copyrightability)

Le tribunal se réfère à la jurisprudence classique, en particulier Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service Co., qui pose que le seuil d’originalité est très bas : un travail doit simplement être « indépendamment créé » et contenir « une certaine étincelle minimale de créativité ».

Dans le cas présent, les headnotes éditoriales de Westlaw et le Key Number System sont reconnus comme remplissant ce critère. Le juge estime que les choix d’édition, de sélection, d’arrangement etc., impliquent assez de créativité pour protéger ces éléments.

  • Copie effective / Substantial similarity

Il faut prouver que Ross a copié effectivement les headnotes, ou que ses Bulk Memos sont matériellement similaires aux headnotes (et non simplement proches des opinions judiciaires, qui ne sont pas protégeables). Le juge a examiné les textes comparativement : les Bulk Memos reprennent le langage des headnotes de manière très proche, plutôt que celui des opinions, ce qui montre une similitude substantielle.

Le tribunal avait identifié un lot spécifique de headnotes — environ 2 243 — pour lesquels la similitude et la validité du droit étaient manifestes, de sorte qu’aucune question factuelle raisonnable n’existe à ce sujet.

  • Refus de licence / contexte concurrentiel

Le fait que Ross avait sollicité une licence à Thomson Reuters, et s’est vu refuser parce qu’il était concurrent, joue un rôle important dans la motivation du tribunal. Cela montre que Ross ne se contente pas d’une utilisation secondaire isolée mais cherche à concurrencer directement le titulaire du droit.

  • Défenses rejetées

Ross a invoqué plusieurs défenses : innocent infringement, merger doctrine, scènes à faire, copyright misuse. Le juge a rejeté chacune, notamment parce que :

  • Innocent infringement ne limite pas la responsabilité dès lors qu’il y a copie.
  • Merger (idée-expression) ne s’applique pas ici, car il existe plusieurs manières d’exprimer les idées de droit, donc l’expression (headnotes) ne fusionne pas avec l’idée.
  • scènes à faire (éléments dictés par la nature de l’œuvre) non applicable ici.

B. L’analyse du fair use : application des quatre facteurs et prise de position

La partie centrale du jugement porte sur la défense de fair use, qui constitue une exception essentielle au droit d’auteur aux États-Unis. Le tribunal procède à l’examen des quatre facteurs posés par l’article 107 du Copyright Act.

Le premier facteur, relatif au but et au caractère de l’usage, est déterminant. Le juge relève que l’utilisation opérée par Ross était pleinement commerciale, destinée à alimenter un produit concurrent de Westlaw. En outre, l’usage n’est pas transformateur : il ne se limite pas à un enrichissement ou à une analyse critique des données de Thomson Reuters, mais consiste à exploiter directement les headnotes pour bâtir un service similaire. Ainsi, la fonction finale du produit demeure très proche de celle du contenu protégé, ce qui pèse lourdement contre Ross.

Le deuxième facteur, qui porte sur la nature de l’œuvre protégée, est plus nuancé. Certes, les headnotes s’appuient sur des décisions de justice qui, elles, sont dans le domaine public. Toutefois, la mise en forme, la sélection des passages, et l’angle éditorial introduisent une dimension créative. Le juge reconnaît que ces contenus ne sont pas des œuvres d’imagination pure, mais qu’ils dépassent néanmoins le simple recueil d’informations factuelles. Ce facteur n’est donc pas entièrement favorable à Ross, même s’il n’a pas l’importance décisive des autres.

Concernant le troisième facteur, relatif à la quantité et à la substantialité de l’extrait utilisé, Ross soutenait que les utilisateurs finaux de son outil n’avaient pas directement accès aux headnotes copiés. Néanmoins, l’examen montre que les Bulk Memos reprennent une partie significative de ces résumés, en substance et parfois en formulation. Le tribunal estime donc que la quantité prélevée est loin d’être négligeable, et que cette reproduction porte sur l’essence même de l’expression protégée.

Enfin, le quatrième facteur — l’effet de l’usage sur le marché de l’œuvre protégée — s’avère crucial. L’exploitation des contenus de Westlaw par Ross menace directement le marché principal de Thomson Reuters, à savoir la fourniture de services de recherche juridique aux professionnels. En outre, le tribunal souligne que ce type d’usage non autorisé pourrait priver l’éditeur d’un marché secondaire potentiel : celui des licences pour l’entraînement de modèles d’IA. Même si ce marché n’était pas encore entièrement développé, il est légitime de prendre en compte sa possible émergence. L’effet de substitution et la concurrence frontale apparaissent donc manifestes.

Dans la mise en balance finale, le juge considère que les deux premiers facteurs (caractère de l’usage et effet sur le marché) l’emportent nettement sur les autres. Le fair use est donc rejeté, et la violation du copyright est confirmée.

II. Conséquences et limites pratiques de la décision

A. Conséquences pour les acteurs de l’IA / implications

  • Renforcement du besoin de licences

Les entreprises qui veulent entraîner des modèles d’IA ou utiliser des données éditoriales protégées devront sérieusement envisager d’obtenir des licences, même si les œuvres semblent « informatives ». Ce jugement montre que même des résumés ou des annotations, si suffisamment originaux, sont protégés, et que l’argument du fair use est risqué si l’usage commercial ou concurrent est apparent.

  • Effet dissuasif pour usages commerciaux concurrents

Ce cas met en garde les startups ou entreprises qui cherchent à concurrencer directement des titulaires de droits en utilisant leurs contenus protégés comme source d’entraînement, sous prétexte de fair use. Les tribunaux pourraient comparer le service final, la clientèle, le type d’usage, pour voir s’il y a substitution de marché.

  • Impact sur l’écosystème des données d’entraînement

Le marché potentiel de données d’entrainement pour l’IA (datasets, licences, marchés secondaires) est mis en lumière. Les titulaires de droit pourraient exiger paiement ou contrôle plus strict, et les acheteurs / utilisateurs de données devront diligenter leurs acquisitions : vérifier la provenance, s’assurer que ce qui est utilisé est non protégé ou bien sous licence, etc.

  • Répercussions pour la recherche, les universités, l’IA open source

Bien que ce cas concerne une entreprise commerciale, il va aussi influencer les pratiques dans la recherche, dans les universités, dans les projets open source / académiques. Ceux-ci devront veiller à distinguer les usages non commerciaux, éducatifs, transformateurs ou critiques, pour ne pas être pris au piège du précédent.

  • Influence sur décisions futures, y compris dans les cas de IA générative

Ce jugement sera cité dans les litiges actuels et à venir concernant l’IA générative (modèles de langage, etc.), car beaucoup de ces affaires invoquent fair use pour la formation des modèles sur des textes protégés. Même si les faits diffèrent (génératif vs non génératif, quantité de copie, nature des œuvres, etc.), la logique de l’importance des facteurs 1 et 4, et l’examen minutieux de la similitude substantielle, sont des guides.

B. Limites et points d’incertitude

  • Spécificité des faits

Le cas porte sur une IA de recherche juridique, non générative, avec bulk memos, headnotes, etc. D’autres technologies d’IA peuvent varier fortement : modèles de langage génératifs, apprentissage non supervisé, plus grande part de génération et moins de restitution verbatim, etc. Les décisions dans d’autres contextes pourraient pencher différemment.

  • Non décision sur tous les éléments

La décision ne règle pas tous les headnotes, ni tous les aspects revendiqués par Thomson Reuters, ni le Key Number System de façon complète, ni certaines œuvres dont le droit d’auteur pourrait avoir expiré ou ne pas avoir été valablement enregistré. Certaines questions factuelles restent à trancher en procès.

  • Caractère non génératif de l’IA comme facteur

Ici, Ross n’est pas une IA générative dans le sens de génération de texte neuf à partir de prompts, mais un moteur de recherche qui restitue des opinions connues. Ce type d’usage est plus proche du cas traditionnel de recherche / compilation que certains usages innovants de l’IA générative. Les tribunaux pourraient, dans des cas de IA générative, trouver l’usage plus transformateur (selon la façon dont le modèle utilise les données) ou peser différemment le facteur de caractère transformateur.

  • Évolution du droit, appels potentiels, jurisprudence variable selon les circuits

Ce jugement est d’un tribunal de district (District of Delaware). Il peut être sujet à appel devant le Third Circuit, et potentiellement devant la Cour suprême. D’autres tribunaux dans d’autres circuits pourraient interpréter les facteurs de fair use différemment. Il n’y a pas encore de règle uniforme fédérale sur tous les aspects de l’utilisation d’IA.

  • Équilibre entre innovation et protection des droits

La tension demeure : protéger les titulaires de droits est légitime, mais ne pas étouffer l’innovation. Ce cas montre qu’il y a des limites claires à ce que l’on peut faire sans autorisation, mais il ne dit pas qu’aucun usage de données protégées dans l’IA n’est possible sous fair use — juste que dans ce cas précis, les défenses échouent. Les innovations futures devront soigner la nature de l’usage, le degré de transformation, la quantité de données utilisées, etc., pour avoir une chance de succès sous fair use.

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Sources :

  1. 20-613_5.pdf
  2. La décision de ROSS AI donne une indication précoce des forces et des faiblesses de la défense contre l’utilisation équitable | Aperçus | Mayer Brown
  3. Un tribunal rejette la défense de l’utilisation équitable dans une affaire de droit d’auteur sur l’IA | Perspectives et ressources | Goodwin

Contrefaçon : à partir de quand peut-on porter plainte ?

La prescription en matière de contrefaçon de droit d’auteur constitue l’un des terrains les plus sensibles et débattus du contentieux de la propriété intellectuelle.

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Elle met en tension deux impératifs juridiques essentiels : d’une part, la nécessité d’assurer aux créateurs une protection effective et durable de leurs œuvres, et d’autre part, l’exigence de sécurité juridique des exploitants, qui doivent pouvoir compter sur une limitation dans le temps des risques de poursuites.

Ce conflit d’intérêts est d’autant plus aigu que la contrefaçon n’est pas une infraction figée : elle peut prendre des formes variées et se déployer dans la durée. Reproduire une œuvre sans autorisation, la diffuser auprès du public, la mettre en ligne sur une plateforme numérique ou encore la commercialiser sur différents supports constituent autant d’actes qui, bien que liés, ne sont pas nécessairement identiques.

Or, le droit commun de la prescription, fixé par l’article 2224 du Code civil, prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».


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Cette formulation, apparemment simple, soulève de redoutables difficultés lorsqu’elle est appliquée aux atteintes au droit d’auteur. En effet, doit-on considérer que la prescription commence à courir dès le moment où l’auteur a eu connaissance de la première atteinte, de sorte que toutes les exploitations ultérieures ne constituent qu’un prolongement d’un acte initial ?

Une telle approche, si elle présente l’avantage de la clarté et de la sécurité juridique, risque cependant de priver l’auteur de toute possibilité d’agir alors même que son œuvre continuerait d’être exploitée sans son accord, parfois pendant de longues années. À l’inverse, faut-il admettre que chaque acte d’exploitation illicite, pris isolément, ouvre un nouveau délai de prescription ?

Cette conception, plus favorable aux titulaires de droits, permet de sanctionner la persistance d’atteintes renouvelées, mais elle conduit mécaniquement à un risque contentieux qui se prolonge dans le temps, ce qui fragilise la prévisibilité des exploitants.

Cette tension théorique s’est cristallisée dans de nombreux débats doctrinaux et décisions jurisprudentielles, oscillant entre une vision restrictive et une vision extensive du point de départ de la prescription.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation, première chambre civile, le 3 septembre 2025, illustre parfaitement l’importance et l’actualité de cette question. Opposant les auteurs du générique de la série animée Code Lyoko au groupe international The Black Eyed Peas, accusé d’avoir copié leur œuvre dans la chanson Whenever, ce contentieux a fourni à la

Haute juridiction l’occasion de préciser sa position. Alors que la cour d’appel de Paris avait jugé l’action prescrite au motif que les demandeurs avaient eu connaissance de la contrefaçon dès 2011, la Cour de cassation a au contraire retenu que chaque acte distinct de contrefaçon devait être considéré comme un fait générateur autonome, ouvrant un nouveau délai de prescription.

Ainsi, la haute juridiction confirme que la contrefaçon ne saurait être enfermée dans un acte unique et que, lorsqu’elle s’inscrit dans la durée, elle doit être appréhendée comme une pluralité d’atteintes, chacune susceptible de fonder une action en justice.

I – La consécration d’un principe de pluralité des points de départ

A – La clarification par la Cour de cassation du texte de l’article 2224 du Code civil

La Cour de cassation fonde sa solution sur l’article 2224 du Code civil, qui pose la règle générale : « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Cette formulation autorise une double lecture : une lecture « globale » (le titulaire connaît une atteinte => le délai court et éteint toute action future liée à la même affaire) et une lecture « atomisée » (chaque fait générateur distinct ouvre son propre délai). L’arrêt du 3 septembre 2025 tranche en faveur de la seconde lecture lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts (reproduction, représentation, diffusion), et non d’un acte unique se prolongeant dans le temps.

  • Lecture littérale et téléologique de l’article 2224.

Littéralement, le texte vise les « faits » : il paraît naturel d’identifier comme faits distincts des actes différents (copie, mise en vente, mise en ligne, représentation).

Téléologiquement, l’objet de la prescription est d’équilibrer la sécurité juridique et la protection des droits : reconnaître un point de départ par acte distinct permet d’assurer la protection effective de l’auteur dans un environnement de diffusion continue (notamment numérique) sans pour autant supprimer, en principe, la prévisibilité pour l’exploitant.

  • La distinction acte unique / actes distincts.

Un acte unique s’analyse lorsqu’une opération juridique ou matérielle unique produit un effet qui se prolonge (par ex. une reproduction illicite dont l’effet de mise sur le marché persiste).

A contrario, un acte distinct correspond à une nouvelle opération de mise en circulation (réédition, remise en vente, mise en ligne sur une nouvelle plateforme, nouvelle représentation publique, nouvelle duplication). Chacun de ces actes est susceptible de générer un préjudice autonome et donc d’ouvrir un nouveau délai de prescription.

  • La règle de la « connaissance » : subjectivité / objectivité.

La prescription ne court pas ipso facto à la première publicité de l’acte ; elle court à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître le fait. Cette double formule introduit une comparaison entre l’élément subjectif (connaissance réelle) et l’élément objectif (connaissance présumée ou que le titulaire aurait dû avoir si des recherches diligentes avaient été faites).

La mise en demeure est un indice probant de la connaissance : lorsqu’une mise en demeure a été envoyée (comme ici la mise en demeure du 30 décembre 2011), elle constitue souvent la preuve que le titulaire avait connaissance d’un acte donné. Mais la Cour admet que, malgré une mise en demeure ancienne, des actes postérieurs distincts intervenant dans les cinq années précédant l’action restent contestables.

  • Concordance avec la réalité économique et technologique.

La solution rendue par la Cour prend en compte la réalité de la diffusion contemporaine des œuvres : la numérisation, le streaming, les rééditions et les multiplateformes rendent possible la survenance fréquente d’actes distincts. Adapter l’interprétation de la prescription à cette réalité protège l’effectivité du droit d’auteur.

En somme, la Cour retient une méthode d’interprétation strictement textuelle mais aussi pragmatique : elle applique mot à mot l’article 2224 en faisant de « faits » des actes matériels/juridiques distincts, et non un continuum indifférencié.

B – La mise en échec du raisonnement restrictif de la cour d’appel de Paris

La Cour casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait assimilé les actes ultérieurs à un simple « prolongement ». Elle considère que la cour d’appel a méconnu l’article 2224 en n’examinant pas si certains actes de diffusion, intervenus moins de cinq ans avant l’introduction de l’action, étaient constitutifs d’actes distincts ouvrant un nouveau point de départ. De cette cassation découlent des questions pratiques et des limites qu’il importe de circonscrire.

  • Critères jurisprudentiels et factuels pour distinguer un acte distinct :

Pour savoir si une action est prescrite ou non pour tel acte, le juge devra désormais se livrer à une appréciation factuelle précise. Parmi les critères raisonnablement déployés :

La nature juridique de l’acte : reproduction (enregistrement master), représentation (concert, diffusion radio), distribution (mise en vente d’un album), mise à disposition/streaming (plateforme numérique) — si la nature diffère, l’acte est souvent distinct.

La temporalité : l’acte est intervenu à une date postérieure et identifiable distinctement (réédition, sortie sur une nouvelle plateforme, réédition d’un single).

La portée matérielle / territoriale : une nouvelle exploitation dans un territoire jusque-là non concerné peut constituer un acte distinct.

L’existence d’un nouvel acte contractuel ou commercial : par exemple, la signature d’un nouvel accord d’édition, la conclusion d’un nouveau contrat de distribution ou la délivrance d’une licence postérieure à la première exploitation.

Les modifications techniques ou éditoriales : remastering, remix, inclusion dans une compilation, ou un nouveau pressage avec un ISRC/identifiant différent peuvent être appréciées comme actes distincts.

  • Limites et zones d’incertitude :

Risque d’insécurité juridique pour l’exploitant : reconnaître une pluralité de points de départ augmente l’exposition à des actions pour des actes anciens mais récents dans leur forme (ex. streaming ancien remis en avant).

La difficulté de preuve : l’auteur doit établir la date de l’acte contesté et la date à laquelle il en a eu connaissance ; l’exploitant peut, au contraire, produire des documents (contracts, licences, registres de distribution) pour soutenir que l’acte ne constitue pas une nouvelle exploitation.

Délimitations techniques : qu’est-ce qui suffit pour constituer un « nouvel acte » sur une plateforme numérique ? Une simple disponibilité continue peut être qualifiée de prolongation ; une mise en ligne nouvelle — par exemple sur Spotify en 2017 — pourra être considérée comme acte distinct si elle est datée et distincte de la mise en ligne initiale.

Question de la réparation et du cumul des préjudices : si chaque acte distinct ouvre une action, se pose la question des demandes cumulées pour un même préjudice persistant (dédoublement du quantum, compensation, etc.). Les juridictions devront veiller à éviter les réparations « cumulatives » injustifiées pour un même dommage continu.

  • Retombées procédurales immédiates :

La censure par la cour d’appel montre que le juge du fond doit rechercher et motiver sur l’existence ou non d’actes postérieurs non prescrits : l’appréciation doit être précise et étayée.

Le rôle des preuves techniques (logs des plateformes, certificats de mise en ligne, numéros de diffusion, ISBN/ISRC, dates de pressage) devient central.

Les sociétés de gestion collective (SACEM ici) ont un intérêt à agir et à intervenir, car elles sont souvent les seules à pouvoir obtenir certains éléments de preuve et à exercer des actions collectives.

Ainsi, la solution de la Cour institue une règle protectrice des titulaires, mais renvoie aux juges du fond la lourde tâche d’opérer des découpages factuels parfois complexes pour qualifier la nature des actes.

II – Les implications pratiques de la solution adoptée

A – Un renforcement de la protection des auteurs et titulaires de droits

L’arrêt a pour effet concret d’imposer aux titulaires de droits (auteurs, éditeurs, sociétés de gestion) d’adapter leurs pratiques pour préserver leurs prérogatives et leur capacité d’action.

  • Surveillance et preuve

Veille active : mettre en place une surveillance des usages (alertes plateformes, services de monitoring, identification ISRC/metadata). Le titulaire doit pouvoir dater précisément les actes de diffusion.

Conservation des preuves : recueillir et conserver copies des pages de plateformes (avec horodatage), certificats de mise à disposition, bordereaux de vente, bons de livraison, logs d’agrégateurs, factures de distribution. Les preuves numériques doivent être horodatées et, si possible, certifiées (envoi d’email de notification, recours à huissier pour constats techniques).

Expertises techniques et musicologiques : faire réaliser rapidement une expertise comparative pour établir la similarité / le caractère contrefaisant et la date probable de reproduction.

  • Tactique procédurale

Mises en demeure ciblées et régulières : adresser des mises en demeure chaque fois qu’un nouvel acte distinct est découvert. Les mises en demeure restent une preuve essentielle de la connaissance d’un acte mais, en pratique, il est stratégique d’en multiplier l’usage pour marquer la date de connaissance des différentes exploitations.

Actions sélectives : viser spécifiquement les actes non prescrits (ceux intervenus dans les cinq années précédant l’action). Le demandeur peut, parallèlement, faire valoir devant le juge la survenance d’actes nouveaux et demander une consolidation de preuves.

Saisine de référés : en cas d’acte récent (mise en ligne récente), solliciter des mesures d’urgence (injonctions de retrait, saisie-contrefaçon) pour interrompre l’exploitation et sécuriser les preuves.

Recours aux sociétés de gestion collective : au-delà de l’action individuelle, la SACEM et autres peuvent intervenir pour protéger des droits voisins (perception des droits, actions collectives). Leur intervention peut permettre d’obtenir des informations de plateforme auxquelles l’auteur n’a pas accès.

  • Positionnement stratégique

Choix du périmètre de la demande : l’auteur doit identifier clairement quels actes postérieurs il entend contester et pour quelles périodes il sollicite réparation.

Prendre en compte la charge émotionnelle et financière : multiplier les procédures contre chaque plateforme ou distributeur peut être coûteux ; il est parfois opportun de prioriser les cibles (plateformes majeures, distributeurs principaux, exploitants commerciaux).

En définitive, l’arrêt rend la prévention et la preuve déterminantes : la capacité à démontrer la date d’un acte distinct et la date de sa connaissance conditionne l’exercice effectif du droit d’action.

B – Une limite à la sécurité juridique des exploitants

La décision, si elle renforce la protection des titulaires, pose des défis sérieux aux exploitants (mais aussi aux juridictions). Il convient d’en tirer des enseignements pratiques et doctrinaux.

  • Obligations et stratégies pour les exploitants

Rigueur des titres et des licences : tenir des registres détaillés prouvant la date d’acquisition des droits, les étendues territoriales et temporelles des licences, et les clauses d’indemnité. En cas de litige, produire ces éléments sera la clef pour démontrer l’absence de faute ou la bonne foi.

Mise en place de process internes : procédures de clearance avant chaque nouvelle exploitation (vérification des métadonnées, contrôle de chaines d’acquisition).

Gestion des plateformes : imposer, par contrat, aux agrégateurs des obligations de traçabilité et des garanties d’absence d’atteinte aux tiers ; prévoir des mécanismes d’indemnisation.

Politique proactive de retrait et de coopération : agir promptement pour retirer des contenus litigieux lorsqu’un risque est identifié afin de limiter l’étendue du préjudice et l’exposition financière.

  • Réflexion doctrinale et propositions d’encadrement

Recherche d’un équilibre entre protection et sécurité juridique. La solution de la Cour est adaptée aux réalités numériques, mais elle accroît l’incertitude procédurale. La doctrine peut proposer des critères plus précis pour la qualification d’« acte distinct » (liste non exhaustive : nouvelle mise en ligne, nouvelle exploitation commerciale, modification technique ou territoriale), afin d’offrir aux juges des repères.

Rôle des règles de procédure : exiger que les demandes en contrefaçon identifient précisément les actes visés (dates, supports, zones géographiques) pour limiter les assauts fragmentaires et la multiplication des actions redondantes.

Propositions législatives ou réglementaires : législateurs ou régulateurs pourraient proposer des clarifications — par exemple prévoir, pour les infractions liées aux flux numériques, une règle particulière précisant quand une mise à disposition continue constitue un acte distinct. Cela irait dans le sens de la sécurité juridique, sans forcément affaiblir la protection des auteurs.

Mécanismes alternatifs de résolution : encourager les procédures de règlement amiable ou les mécanismes d’expertise rapide (expertise musicale mandatée par le juge, référés-probatoires) pour trancher vite les questions de date et d’ampleur des actes.

  • Effets sur la stratégie contentieuse générale

Multiplication des contentieux ciblés : l’arrêt peut conduire à des actions plus fréquentes, mais plus ciblées (demander réparation pour tel acte récent au lieu de prétendre globalement sur l’ensemble d’un album).

Accent sur la preuve technique : le litige se déplacera vers l’analyse des preuves numériques et la capacité des juridictions à apprécier des éléments techniques (horodatages, logs, métadonnées). Il est donc crucial que les juges disposent de moyens d’expertise adaptés.

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Sources :

  1. Article 2224 – Code civil – Légifrance
  2. Cour de cassation, 1re chambre civile, 3 septembre 2025, n° 23-18.669 | Doctrine
  3. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 novembre 2023, 22-23.266, Publié au bulletin – Légifrance

Condamnation de Doctrine.fr pour concurrence déloyale : un tournant dans le marché des bases de données juridiques

Le 7 mai 2025, la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt déterminant qui pourrait redéfinir les règles du jeu dans le secteur des bases de données juridiques en France.
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La société Forseti, éditrice de la plateforme Doctrine.fr, a été condamnée à verser des dommages et intérêts s’élevant à 40 000 € à Lexbase, Lextenso et Lamy Liaisons, ainsi que 50 000 € à Dalloz et LexisNexis, en raison de pratiques jugées déloyales.

Cette décision, qui fait suite à un litige amorcé en 2018, met en lumière les tensions entre les acteurs traditionnels et les nouveaux entrants dans un secteur en pleine mutation. L’émergence de Doctrine.fr a été fulgurante : en à peine deux ans, la plateforme a réussi à constituer un fonds jurisprudentiel impressionnant de 10 millions de décisions judiciaires. Cette avancée rapide a non seulement bouleversé le paysage des bases de données juridiques, mais a également suscité des inquiétudes parmi les acteurs établis, qui ont accusé Forseti d’avoir construit son succès commercial sur des fondations illégales.

Selon les plaignants, la société aurait contourné les procédures légales pour accéder à des centaines de milliers de jugements, exploitant ainsi une stratégie qu’ils considèrent comme contraire à l’éthique et à la loi. Les accusations portées contre Forseti ont été initialement rejetées par le tribunal de commerce de Paris en 2023, mais la décision de la cour d’appel en 2025 a renversé la tendance. Les juges ont souligné que l’avantage concurrentiel dont bénéficiait Forseti reposait sur des pratiques déloyales.


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Ils ont minutieusement examiné les méthodes de collecte d’information de Doctrine.fr, concluant que Forseti avait violé les règles régissant l’accès aux décisions des tribunaux de première instance. Par exemple, la société aurait eu recours à des directeurs de greffe sans consultation préalable, détourné une convention de recherche avec le Conseil d’État visant à l’anonymisation de jugements administratifs, et exploité illégalement des données issues des tribunaux de commerce après la rupture de son partenariat avec Infogreffe.

Ces manœuvres, qualifiées de « graves, précises et concordantes » par la cour, ont permis à Forseti de s’imposer rapidement sur le marché tout en privant ses concurrents d’un accès équitable aux ressources jurisprudentielles. Toutefois, la cour a également rejeté les accusations de pratiques commerciales trompeuses et de parasitisme, limitant ainsi la portée de la condamnation. Ce jugement ouvre la voie à des réflexions profondes sur l’équilibre à trouver entre l’innovation numérique, le respect des règles de concurrence et la protection des données juridiques. Il est crucial de noter que cette décision ne concerne pas uniquement Forseti, mais a des implications pour l’ensemble du secteur. Les acteurs historiques, qui étaient en difficulté face à la montée en puissance de Doctrine.fr, voient dans ce jugement une validation de leurs préoccupations concernant l’intégrité des pratiques commerciales dans le domaine des données juridiques.

Par ailleurs, cette affaire soulève des questions fondamentales sur la manière dont les nouvelles technologies et les start-ups doivent naviguer dans un environnement juridique complexe, où les règles ne sont pas toujours claires et où l’innovation peut parfois entrer en conflit avec des pratiques établies.

En somme, cette décision de la cour d’appel de Paris représente un tournant majeur dans le marché des bases de données juridiques. Elle illustre les tensions croissantes entre les anciens et les nouveaux acteurs, tout en soulignant l’importance d’un cadre réglementaire adapté à l’évolution rapide des technologies. Alors que le secteur continue de se transformer, il est essentiel que les acteurs concernés réfléchissent à des pratiques éthiques et légales pour garantir un environnement concurrentiel sain, respectant à la fois l’innovation et la protection des droits d’accès à l’information juridique.

I. Les fondements juridiques de la condamnation pour concurrence déloyale

A. Une collecte illicite de décisions de justice

  1. Violation des règles d’accès aux tribunaux judiciaires

La cour d’appel a établi que Forseti avait systématiquement contourné les procédures légales pour collecter des centaines de milliers de décisions de justice issues des tribunaux judiciaires de première instance.

Selon l’article R.123-5 du Code de l’organisation judiciaire, l’accès aux décisions rendues en audience publique nécessite une autorisation préalable des directeurs de greffe, qui doivent vérifier la finalité de la demande et encadrer la réutilisation des données. Or, Forseti n’a jamais sollicité ces autorisations, contrairement à ses concurrents (LexisNexis, Dalloz), dont les demandes avaient été rejetées ou strictement limitées.

Cette omission volontaire a permis à Forseti de constituer une base de données massivement plus riche que ses rivaux, qui devaient se contenter de décisions publiées sur des plateformes publiques comme Legifrance ou Judilibre, souvent incomplètes ou retardées.

La cour a souligné que cette collecte « sauvage » violait également l’article 6 de la loi informatique et libertés, qui exige un traitement loyal des données. En exploitant des jugements non anonymisés ou partiellement retraités, Forseti a exposé des justiciables à des risques de réidentification, aggravant le préjudice moral invoqué par les plaignants.

  1. Détournement de la convention avec le Conseil d’État

En 2016, Forseti avait conclu une convention de recherche avec le Conseil d’État pour développer un logiciel open source d’anonymisation des décisions de justice administratives. Cette collaboration, présentée comme un projet d’intérêt général, lui a permis d’obtenir des centaines de milliers de jugements administratifs bruts, à condition que leur réutilisation commerciale soit expressément autorisée par le Conseil d’État.

Cependant, Forseti a intégré ces décisions dans sa base payante sans avoir sollicité d’autorisation, violant ainsi la clause de finalité de la convention.

La cour a qualifié ce détournement de « manipulation déloyale », estimant que l’entreprise avait exploité une faille dans le cadre collaboratif pour s’approprier des ressources normalement réservées à la recherche publique. Ce faisant, elle a privé les éditeurs historiques (comme Lextenso, spécialisé en droit administratif) d’un accès équitable à ces données, alors même que ceux-ci devaient négocier des accords coûteux et complexes avec chaque tribunal administratif.

  1. Exploitation post-rupture du partenariat avec Infogreffe

Le partenariat entre Forseti et Infogreffe (Groupement d’Intérêt Économique gérant l’accès aux données des tribunaux de commerce) a été résilié en septembre 2018 en raison de litiges sur les redevances. Malgré cette rupture, Forseti a continué à diffuser 3 millions de décisions issues des tribunaux de commerce, sans pouvoir prouver leur origine licite.

La cour a retenu que l’entreprise avait soit conservé illégalement des données obtenues pendant le partenariat, soit recommencé à les collecter via des méthodes non autorisées (ex. : scraping de sites publics non prévus à cet effet). Ce comportement contraste avec les pratiques des concurrents comme Wolters Kluwer, qui acquérait légalement ces mêmes données via des abonnements payants à Infogreffe, avec des coûts annuels dépassant 100 000 €.

La cour a critiqué le refus de Forseti de produire la convention initiale, invoquant l’article 11 du Code de procédure civile sur l’obligation de communiquer les preuves. Ce « mutisme stratégique » a renforcé la présomption d’illicéité, conduisant à une condamnation pour avantage concurrentiel indu.

B. Un avantage concurrentiel indu et ses conséquences

  1. Trouble commercial causé aux éditeurs historiques l’arrêt met en lumière un préjudice double pour les plaignants :

– Un préjudice économique direct : La base de données de Doctrine.fr, présentée comme « la plus exhaustive du marché », a capté des milliers d’abonnés (avocats, notaires) habituellement fidèles aux éditeurs traditionnels. Par exemple, Lexbase a subi une chute de 15 % de ses ventes entre 2019 et 2022, directement corrélée à l’expansion de Doctrine.fr.

– Un préjudice d’image : Les concurrents ont été perçus comme « moins innovants » face à la plateforme de Forseti, qui mettait en avant des fonctionnalités algorithmiques (recherche sémantique, prédictibilité des jugements) rendues possibles par la masse de données illégalement acquises.

La cour a relevé que Forseti avait instrumentalisé son fonds jurisprudentiel dans ses campagnes marketing, avec des slogans comme « 10 millions de décisions à portée de clic », créant une distorsion de concurrence. Contrairement à ses rivaux, qui devaient financer des juristes pour analyser et indexer manuellement les décisions, Forseti a automatisé ces processus grâce à des données obtenues sans coût.

  1. Distorsion du marché par des méthodes déloyales

L’analyse économique de la cour révèle un déséquilibre structurel :

– Coûts évités par Forseti : L’entreprise a économisé des millions d’euros en frais d’accès aux greffes, de négociation de conventions et d’anonymisation manuelle. Par exemple, LexisNexis dépensait près de 500 000 € annuels pour obtenir légalement 200 000 décisions, tandis que Forseti en collectait 5 millions sans investissement comparable.

– Effet de seuil anticoncurrentiel : La taille critique atteinte par Doctrine.fr a créé une barrière à l’entrée pour de nouveaux acteurs, renforçant la position dominante de Forseti.

Les algorithmes d’IA de la plateforme, nourris par des données illicites, sont devenus plus performants, enfermant le marché dans un cercle vicieux. La cour a aussi noté que les pratiques de Forseti décourageaient l’innovation loyale. Par exemple, Lextenso avait abandonné un projet de moteur de recherche prédictif en 2021, faute de données suffisantes pour rivaliser.

II. Les implications et les limites de l’arrêt

A. Un renforcement des garde-fous contre l’exploitation abusive des données publiques

  1. Clarification des règles post-décret de 2020

Le décret du 29 juin 2020 encadre désormais strictement la réutilisation des décisions de justice, en imposant l’anonymisation et en interdisant leur exploitation commerciale sans autorisation. Toutefois, la cour a rappelé que ce texte ne s’appliquait pas rétroactivement aux collectes antérieures à 2018, invalidant l’argument de Forseti qui tentait de se prévaloir d’un cadre légal posteriori.

Cet arrêt envoie un signal clair aux startups technologiques : l’innovation ne peut justifier la violation des règles existantes. La cour a cité en exemple le RGPD, rappelant que le caractère public de certaines données n’autorise pas leur traitement sans base légale.

  1. Impact sur le marché des éditeurs juridiques

La condamnation financière (230 000 € au total) reste symbolique au regard des profits estimés de Forseti (plusieurs millions d’euros annuels). Cependant, l’arrêt crée une jurisprudence dissuasive :

– Obligation de transparence : Les éditeurs devront désormais documenter scrupuleusement l’origine de leurs données, sous peine de présomption d’illicéité.

– Négociations rééquilibrées avec les greffes : Les tribunaux pourraient durcir les conditions d’accès, comme l’exige déjà la CNIL pour les données sensibles.

B. Le rejet des autres griefs : pratiques trompeuses et parasitisme

  1. Absence de preuves sur les pratiques commerciales trompeuses

Les plaignants accusaient Forseti d’avoir induit les utilisateurs en erreur sur la légalité de sa base de données. La cour a estimé que les mentions légales de Doctrine.fr, bien que vagues, ne constituaient pas une tromperie active. Contrairement à l’affaire Google Shopping (où la manipulation algorithmique était avérée), Forseti n’a pas falsifié ses résultats de recherche.

  1. Parasitisme non retenu : la frontière avec l’inspiration légitime

LexisNexis arguait que Forseti copiait la structure de ses commentaires d’arrêts. La cour a jugé que le parasitisme nécessite une « appropriation spécifique », comme la reprise de textes protégés par le droit d’auteur. Or, les analyses de Doctrine.fr, bien que similaires dans leur forme, résultaient d’un travail éditorial distinct. Ce rejet illustre les limites du droit de la concurrence face à l’inspiration algorithmique, où la frontière entre plagiat et émulation reste floue.

Cet arrêt cristallise les tensions entre l’innovation disruptive et l’éthique concurrentielle dans l’ère numérique. S’il sanctionne fermement les excès de Forseti, il laisse en suspens des questions majeures sur la régulation des algorithmes et la propriété des données publiques.

Les éditeurs juridiques devront désormais naviguer entre collaboration et concurrence, dans un marché où la valeur réside autant dans l’accès aux données que dans leur traitement intelligent.

Pour lire une version plus complète de cet article sur la protection des bases de données et le site doctrine, cliquez

Sources :

  1. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 1, arrêt du 7 mai 2025
  2. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Doctrine.fr condamné pour concurrence déloyale
  3. Article R123-5 – Code de l’organisation judiciaire – Légifrance
  4. https://www.cnil.fr/fr/le-cadre-national/la-loi-informatique-et-libertes#article6