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Intermédiaires techniques et retrait des contenus illicites

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Pour agir efficacement contre les contenus dits « manifestement illicites » sur la toile, il convient non pas de mettre en œuvre une solution unique, mais un ensemble de mesures cohérentes et complémentaires. Dans cette lutte, l’implication et la responsabilité de tous les acteurs doivent être recherchées, avec l’objectif de faire cesser les atteintes sans forcément uniquement sanctionner les responsables. Les intermédiaires techniques ont ainsi un rôle important à jouer dans le retrait de ces contenus.

Pour agir efficacement contre les contenus dits « manifestement illicites » sur la toile, il convient non pas de mettre en œuvre une solution unique, mais un ensemble de mesures cohérentes et complémentaires. Dans cette lutte, l’implication et la responsabilité de tous les acteurs doivent être recherchées, avec l’objectif de faire cesser les atteintes sans forcément uniquement sanctionner les responsables. Les intermédiaires techniques ont ainsi un rôle important à jouer dans le retrait de ces contenus.

Le développement d’internet, en tant que réseau de communication accessible à tous, a suscité de nombreux débats notamment en ce qui concerne l’application du droit pour la poursuite des auteurs d’infraction qui s’apparente à un acte vain du fait de leur localisation dans le monde entier et de leur anonymat. L’Union européenne s’est alors tournée vers les personnes qui proposent des services dans la société de l’information afin qu’ils fassent directement cesser les atteintes.

Un régime de responsabilité spécial dérogeant au droit commun pour « toute personne physique ou morale qui fournit un service de la société de l’information » est prévu dans la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative « à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur » a prévu. Qui sont ces intermédiaires ? Ce terme recouvre divers acteurs de la société de l’information : les fournisseurs d’accès à Internet, les fournisseurs de cache et les hébergeurs de contenus.

Bien que ces activités soient susceptibles de se superposer, les acteurs ne doivent pas intervenir sur le contenu afin de bénéficier de ce régime de responsabilité. Ces derniers collaborent aux demandes de retrait de contenus illicites qui sont adressées par les ayants droit. Néanmoins, la réapparition potentielle du contenu retiré rend cette lutte loin d’être parfaite.


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Le filtrage ou le blocage demeurent, toutefois, des solutions permettant un contrôle sur les contenus postés sur la toile. Toutefois, la conciliation de ces mesures avec l’interdiction d’imposer une surveillance générale aux intermédiaires techniques s’impose. La directive du 8 juin 2000 a été transposée en droit français par la Loi pour la confiance dans l’économie numérique  du 21 juin 2004 qui permet aux tiers (notamment aux titulaires de droits de propriété intellectuelle) de faire valoir leurs droits tout en préservant les intérêts des intermédiaires techniques de l’Internet.

Une notification présumant la connaissance par les hébergeurs de faits litigieux sur les sites qu’ils hébergent est prévue par cette loi. Or, le modèle économique de ces acteurs repose essentiellement sur la monétisation de ces contenus. Une surveillance trop accrue porterait nécessairement atteinte à leur activité et instaurerait une certaine forme de censure.

En outre, deux projets de règlements à savoir le DMA (Proposition de Règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, COM (2020) 842 final) et le DSA (Proposition de Règlement relatif à un marché intérieur des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE, COM (2020) 825 final) publiés par la Commission européenne, le 15 décembre 2020, ambitionnent de rendre l’Union européenne mieux armée pour l’ère numérique.

Le DSA préserve l’interdiction d’imposer des obligations générales de contrôle aux plateformes et vise à ce que les services d’intermédiations régulent davantage leur activité. Cette régulation diffère selon qu’il s’agit de prestataires de services intermédiaires ou des grandes plateformes en ligne. Cette dernière est plus précise et contraignante lorsqu’il s’agit des grandes plateformes en ligne et elle est souple pour les prestataires de services intermédiaires. (2)

Ainsi, il faut concilier les différents intérêts en présence. Quelles sont les prérogatives des intermédiaires techniques dans le retrait des contenus illicites ?

I- La prévention des atteintes par les intermédiaires techniques

Si la mise en place de mesures de surveillance ciblée peut paraître commode en pratique, elles ne sont pas sans susciter un certain nombre de critiques et controverses (A), mais l’absence d’obligation générale de surveillance des intermédiaires à l’égard des contenus qu’ils traitent opère un tempérament à ces mesures de filtrage (B).

A) Le filtrage des contenus

Ces mesures visent à identifier des contenus et à déterminer s’il y a lieu ou non de les bloquer, c’est-à-dire d’empêcher leur circulation ou leur accessibilité. Les sites du Web 2.0 tels que YouTube ou Dailymotion sont fondés sur l’apport de contenu par leurs membres.

Ce développement de masse du contenu mis en ligne appelle les intermédiaires techniques à recourir à des solutions techniques afin de mener des politiques de filtrage. Ainsi, ces mesures peuvent être ordonnées par le juge ou être le fait volontaire des intermédiaires techniques.

S’agissant de la première hypothèse, la directive Commerce électronique prévoit la possibilité pour les autorités nationales de mettre en place des obligations de surveillance applicables à un cas spécifique. Les acteurs visés aux articles 12, 13 et 14 de la directive peuvent ainsi se voir imposer une telle obligation sans que cela ne puisse porter préjudice à leur activité.

Quant à la deuxième hypothèse, de plus en plus de dispositifs de filtrage ont été mis en place à l’initiative des intermédiaires techniques eux-mêmes. La directive Commerce électronique semble par ailleurs encourager ces initiatives (considérant 40) : « il est dans l’intérêt de toutes les parties qui participent à la fourniture de services de la société de l’information d’adopter et d’appliquer » des « mécanismes rapides et fiables permettant de retirer les informations illicites et de rendre l’accès à celles-ci impossible ».

Toutefois, la question posée est de savoir si la mise en place de ces mesures, qu’elle soit volontaire ou forcée, ne risque pas de priver les intermédiaires techniques du bénéfice du régime spécial de responsabilité qui leur est reconnu en vertu de la directive.

En effet, la neutralité de ces acteurs, leur caractère purement technique, automatique et passif, est le fruit d’une construction jurisprudentielle initiée par la CJUE (CEDH 23 mars 2010 Vuitton c/Google Adwords ) et reprise par les juridictions nationales. Il est difficile de répondre dans la mesure où les juges n’avaient pas apporté plus de précisions quant au sens à donner à cette neutralité.

Le principe de neutralité oblige les fournisseurs d’accès à internet à garantir le traitement de manière égale de tous les contenus par les mesures de gestion de trafic des services d’accès à internet. Ce principe a été consacré par le paquet Telecom puis par le règlement 2015/2120 du 25 novembre 2015 « établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques » cjue et, en France, complétée notamment par les articles 40 à 47 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

Le principe de neutralité a été consacré pour la première fois dans un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne rendu le 15 septembre 2020 (CJUE 15 sept. 2020, Telenor, aff. jtes C-807/18 et C-39/19) où elle en précise la signification ou la portée. (3)

Mais il convient d’énoncer une distinction déjà opérée par la doctrine : Monsieur Ronan Hardouin distinguant « la neutralité technique » de « la neutralité intellectuelle ». Les mesures de filtrage-blocage permettraient une connaissance technique, mais non un contrôle intellectuel sur le contenu. Le régime de responsabilité des intermédiaires est donc maintenu.

B) Pas d’obligation générale de surveillance

La maîtrise de la masse de données traitée par les intermédiaires est extrêmement difficile. La directive Commerce électronique pose comme principe d’interdiction d’imposer aux intermédiaires techniques une obligation de surveillance : « les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ».

Ce sont des considérations d’ordre économique et juridique qui justifient cela. En effet, l’objet premier de la directive est la réalisation du marché intérieur avec la libre circulation des services de la société de l’information. De plus, cette interdiction doit également s’observer comme le corollaire du régime de responsabilité  allégé dont bénéficient les intermédiaires techniques sachant qu’ils « ne peuvent voir leur responsabilité engagée dès lors qu’ils s’en tiennent à [leur] rôle, et ne sont pas à l’origine de la circulation de contenus illicites, ou n’en ont pas le contrôle, ou encore font de leur mieux pour les retirer dès qu’ils en ont connaissance ».

La neutralité effective des intermédiaires est donc le gage de la libre circulation des communications électroniques qui ne font l’objet d’aucune discrimination .

Cette menace a été considérée par un arrêt Google c/Bach Films qui a énoncé que le fait d’imposer à un moteur de recherche de prévenir la réapparition dans son service d’images qualifiées d’illicites revenait à lui imposer une obligation générale de surveillance. Un tel dispositif ne peut être valable que limité dans le temps. Pour autant, les hébergeurs sont tout de même tenus d’apporter leur concours pour la mise en œuvre du retrait des contenus illicites.

Dans un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, rendu le 3 octobre 2019 (Facebook Ireland Limited c/Eva Glawischnig-Piesczek), il s’agissait de la publication d’un article sur la page d’un utilisateur de Facebook. Cette publication avait la photo d’une personnalité politique pour vignette et contenait un commentaire dont les propos étaient jugés injurieux et diffamatoires par les tribunaux.

La question qui se posait était de savoir si l’injonction du juge de cesser la diffusion du contenu illicite pouvait s’étendre aux contenus équivalents ou identiques, ainsi que la portée territoriale de cette injonction.

La Cour de justice avait jugé que les réseaux sociaux doivent procéder au blocage de l’accès à tout contenu qui serait identique ou équivalent à un contenu précédemment jugé illicite par les tribunaux et que l’obligation pouvait être étendue au niveau mondial. (1)

II- La cessation des atteintes par les intermédiaires techniques

Les hébergeurs, n’étant pas soumis à une obligation générale de surveillance, prennent connaissance de l’existence de contenus illicites par le biais d’une procédure de notification (A). Une fois cette procédure mise en œuvre, il leur faut alors procéder au retrait desdits contenus (B).

A) La procédure de notification

L’ignorance du contenu illicite hébergé se trouve au cœur du régime spécial de responsabilité. Or, dès l’instant où cette connaissance est effective, les intermédiaires techniques sont tenus d’agir promptement (https://www.murielle-cahen.com/publications/p_mise.asp) pour retirer le contenu ou en rendre l’accès impossible (article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004).

En vertu des dispositions de l’article 6-I-5 de la LCEN, la procédure de notification est mise en place en disposant que la connaissance des faits litigieux est réputée acquise par les prestataires techniques dès lors que les éléments prescrits par la loi sont notifiés.

Quels sont ces éléments ? Il s’agit de la date des faits, d’une copie de la correspondance adressée à l’auteur ou l’éditeur des informations par laquelle il est demandé leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pas pu être contacté.

De plus, les tiers informent l’hébergeur notamment sur la description des faits litigieux et leur localisation précise dans les sites hébergés. A la suite de cette notification, les intermédiaires techniques sont dans l’obligation de retirer le contenu en menant promptement les actions qui s’imposent. À titre d’exemple, la société eBay a été condamnée par la justice pour un retrait tardif.

En effet, le site de vente aux enchères avait attendu la saisine du tribunal par le demandeur, qui avait pourtant envoyé plusieurs notifications, pour retirer promptement des propositions de revente de billets de concert à des prix supérieurs à ceux proposés par les points de vente. La même solution a été retenue à l’encontre de Dailymotion le 11 juin 2010. Ainsi, il apparaît que la jurisprudence pousse les hébergeurs à adopter une politique préventive et à retirer les contenus dans tous les cas.

B) Le retrait du contenu

Bien que, en principe, les intermédiaires techniques n’ont pas intérêt et ne souhaitent pas retirer les contenus qui alimentent leurs services ; afin de voir leur régime de responsabilité préservé, ils sont tenus de ce retrait. Ainsi, est-ce que la notification d’un tiers à l’hébergeur d’un contenu qu’il juge illicite engage la responsabilité de l’intermédiaire faute d’avoir retiré promptement ces informations ou d’en avoir rendu l’accès impossible ? La réponse relève de l’appréciation du caractère « manifestement illicite » du contenu. Les auteurs s’accordent à définir cette expression par « les contenus d’une gravité avérée et dont le caractère illicite ne semble pas discutable ».

Dans le silence des textes, c’est la jurisprudence qui a eu à apprécier ce concept. Après avoir adopté une conception restrictive du principe, elle semble finalement trancher pour une approche extensive de la notion.

Dans un arrêt rendu au 12 septembre 2007 Google Inc. et Google France à Benetton Group et Bencom, la Cour d’appel a estimé que lorsqu’un certain nombre d’éléments de preuve ont été apportés par un ayant droit sur la titularité de sa marque et sur le fait que la personne exploitant la marque n’en a pas obtenu l’autorisation, alors l’information est manifestement illicite.

Néanmoins, la notion de contenu à caractère manifestement illicite semble inopérante pour tout ce qui a trait à un cas de diffamation  (CA de Paris, ordonnance de référé, avril 2013).

Dans un arrêt de la cour d’appel de Versailles, rendu le 13 octobre 2020, il était question de l’application des deux critères de l’engagement de responsabilité prévus par l’article 6, I-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

En l’espèce, il s’agissait d’un hébergeur qui a refusé de rendre inaccessible en France un site proposant des prestations d’entremises entre des mères porteuses étrangères et des clients en mal d’enfant.

La Cour avait estimé que le caractère manifestement illicite du site était évident puisque celui-ci portait atteinte aux dispositions de l’article 16-7 du Code civil et l’article 227-12 du Code pénal prohibant la gestation pour autrui.

L’hébergeur avait été informé du caractère illicite de son site par le biais d’une notification adressée par une association de défense de l’intérêt des enfants et de protection de l’enfance le 13 juin 2016. La Cour a estimé que ce dernier a engagé sa responsabilité puisqu’il n’a pas empêché l’accès au site et l’a condamné aux versements de dommages et intérêts pour préjudice moral. (4)

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Sources :

HEBERGEMENT ET CONTREFAÇON

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Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit.

La contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

Seront punis des mêmes peines le débit, l’exportation, l’importation, le transbordement ou la détention aux fins précitées des ouvrages contrefaisants.

Lorsque les délits prévus par le présent article ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende.

La contrefaçon d’œuvres littéraires et artistiques ensuite, dont l’actualité réside dans la présentation en Conseil des ministres, le 8 avril 2021, du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique qui envisage de fusionner le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avec la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) au sein d’une autorité unique, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) et qui a donné lieu à un avis du Conseil d’État n° 402564, le 1er avril 2021.

L’arsenal répressif est d’autant plus sévère qu’aux peines pénales s’ajoutent, le cas échéant, des sanctions douanières, aux termes duquel il est possible de retenir les qualifications d’importation sans déclaration de marchandises prohibées et d’importation, détention et mise en vente de marchandises présentées sous une marque contrefaisante, « qui sont susceptibles d’être appliquées concurremment dès lors qu’elles résultent de la mise en œuvre d’un système intégrant poursuites et actions pénales et douanières, permettant au juge pénal de réprimer un même fait sous ses deux aspects, de manière prévisible et proportionnée, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne devant pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues »


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Par un jugement très motivé du 23 avril 2021, le tribunal correctionnel de Nancy a condamné un hébergeur et son représentant légal pour complicité de fourniture de moyens de contrefaçon par reproduction, pour contrefaçon par représentation ou diffusion et par mise à disposition d’œuvres de l’esprit sans autorisation des auteurs.

Ils étaient poursuivis pour ne pas avoir promptement empêché l’accès à des informations stockées sur leurs serveurs, à la demande d’un tiers, susceptibles de constituer des actes de contrefaçon d’œuvres de l’esprit et de vidéogrammes. L’hébergeur, personne morale, a été condamné à une peine principale de 100 000 € d’amende et le dirigeant social à une peine d’emprisonnement d’un an de prison avec sursis et 20 000 € d’amende ainsi qu’au versement de dommages-intérêts aux ayants droit.

La société DStorage, créée en 2009, exploite le site Internet 1fichier.com qui propose des services de stockage de fichiers sur ses propres serveurs avec une possibilité de diffusion de liens de téléchargement pour les abonnés. Les agents assermentés de la Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF), de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et de la SACEM et SDRM ont constaté la présence de liens pointant vers des fichiers hébergés vers DStorage reproduisant sans autorisation des œuvres de leurs ayants droit.

Ces dernières ont adressé des notifications de retrait de ces contenus à DStorage, sans succès. L’hébergeur considérait que la procédure de notification instaurée par la LCEN ne s’appliquait qu’aux seuls contenus manifestement illicites et non aux contenus contrefaisants violant un droit de propriété intellectuelle. Les ayants droit ont porté plainte pour contrefaçon par reproduction et représentation. Un expert informatique saisi par le ministère public pour analyser les données de téléchargement de fichiers notifiés fournis sur réquisition par DStorage a permis de déterminer que 3 478 fichiers notifiés avaient fait l’objet de 7 277 381 téléchargements.

I. Le prononcé des notifications

A. Connaissance du contenu illicite

La contrefaçon en matière littéraire et artistique permet, en reproduisant une œuvre au préjudice de son auteur, de réaliser un profit souvent considérable. La propriété littéraire et artistique englobe à la fois le droit d’auteur, mais également les droits voisins du droit d’auteur. Si l’œuvre est originale, elle est protégée du seul fait de sa création.

Le Code de la propriété intellectuelle énumère les différentes pratiques susceptibles de constituer une atteinte aux droits d’auteur.

La première consiste en l’« édition imprimée ou gravée » (article L. 335-2, alinéa 1 du Code de la Propriété intellectuelle), la loi précisant en outre que la contrefaçon peut être totale ou partielle et surtout insiste sur son illicéité, l’édition se faisant « au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs ».

La deuxième forme de contrefaçon, qui se démultiplie, est « le débit, l’exportation, l’importation, le transbordement ou la détention des ouvrages contrefaits » (article L. 335-2, alinéa 3 du Code de la Propriété intellectuelle).

La troisième forme de contrefaçon est « la reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur » (article L. 335-3, alinéa 1 du Code de la Propriété intellectuelle).

Quatrième forme de contrefaçon, limitée aux œuvres audiovisuelles : leur « captation totale ou partielle en salle de spectacle cinématographique » (article L. 335-3, dernier alinéa du Code de la Propriété intellectuelle).

Les nouvelles technologies d’échange via internet pouvant servir de vecteur à la contrefaçon ont fait l’objet de longs débats au Parlement.

Parmi elles, les réseaux de « pair à pair » (dits aussi « poste à poste » ou « Peer to Peer »), mode d’utilisation d’un réseau dans lequel chaque utilisateur est en mesure de mettre certaines ressources de son ordinateur à la disposition des autres, ont tout particulièrement retenu l’attention, en raison de leur forte notoriété et de l’usage massif qui en est fait actuellement.

Cependant, d’autres systèmes comme les serveurs de nouvelles (serveurs de « news » ou réseau « Usenet ») ou de partage se développent. Ces systèmes permettent un accès très rapide à l’œuvre convoitée, allant jusqu’à rendre possible un visionnage immédiat sans téléchargement préalable.

Ainsi, trois niveaux de responsabilités peuvent être distingués selon la portée de l’action incriminée et la gravité de l’atteinte aux droits protégés qui en résulte : l’offre de moyens de mise à disposition du public illicite, la mise à disposition du public prohibée et l’usage de cette mise à disposition par le téléchargement. La fermeté de la répression exercée à leur encontre mérite en conséquence d’être graduée à due proportion.

Le fournisseur d’hébergement est irresponsable du seul fait des contenus qu’il stocke. Cependant, aux termes de l’article 6, I, 2 et 3, ce dernier devient responsable lorsqu’une faute d’abstention peut lui être imputée. Ce texte impose au fournisseur d’hébergement d’agir dès lors qu’à la suite d’une notification de contenu il a eu effectivement connaissance de l’illicéité de ce contenu. Ce n’est donc pas l’activité d’hébergement, mais l’inaction de l’hébergeur suite à une notification de contenu qui est source d’engagement de responsabilité. Le comportement fautif provient en d’autres termes d’une omission. L’hébergeur est responsable dès lors qu’il n’a pas mis un terme à la consultation de l’information manifestement illicite une fois que ce contenu lui a été notifié.

La notification de contenu illicite doit toutefois respecter un certain formalisme pour être en mesure d’engager la responsabilité de l’hébergeur. L’article 6, I, 5° précise que la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par l’hébergeur lorsque la notification comporte les éléments suivants :

« - si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénom, adresse électronique ; si le notifiant est une personne morale : sa forme sociale, sa dénomination sociale, son adresse électronique ; si le notifiant est une autorité administrative : sa dénomination et son adresse électronique. Ces conditions sont réputées satisfaites dès lors que le notifiant est un utilisateur inscrit du service de communication au public en ligne mentionné au même 2, qu’il est connecté au moment de procéder à la notification et que l’opérateur a recueilli les éléments nécessaires à son identification ;

– la description du contenu litigieux, sa localisation précise et, le cas échéant, la ou les adresses électroniques auxquelles il est rendu accessible ; ces conditions sont réputées satisfaites dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné au dit 2 permet de procéder précisément à cette notification par un dispositif technique directement accessible depuis ledit contenu litigieux ;

– les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible ; cette condition est réputée satisfaite dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné au même 2 permet de procéder à la notification par un dispositif technique proposant d’indiquer la catégorie d’infraction à laquelle peut être rattaché ce contenu litigieux ;

-la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ; cette condition n’est pas exigée pour la notification des infractions mentionnées au troisième alinéa du 7 du présent I ainsi qu’à l’article 24 bis et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. ».

Le caractère manifestement illicite, selon le tribunal, découle notamment du nom des fichiers eux-mêmes, mais également des liens pointant vers des fichiers litigieux diffusés par des sites notoirement connus pour être des fermes de liens. Pour chacun des faits portés à sa connaissance, le juge va déterminer si l’hébergeur a réagi dans un délai prompt estimé à 7 jours, en se livrant à une appréciation in concreto pour conclure que l’hébergeur a engagé sa responsabilité pénale en n’empêchant pas leur accès.

B. Appréciation du caractère manifestement illicite du contenu

Internet est devenu un terrain de création artistique. Dès 1998 un blog a ainsi été qualifié d’œuvre de l’esprit engageant sa protection au titre du droit de la propriété intellectuelle. Le juge a retenu une telle qualification en relevant que l’auteur du blog l’avait suffisamment personnalisé et qu’il en ressortait l’empreinte de sa personnalité (T. com. Paris, 9 févr. 1998 . – Dans le même sens : CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 25 mars 2004, n° 03-00782  : JurisData n° 2004-241245 .

Plus généralement, internet est source d’œuvre multimédia regroupant toute création comportant, sous forme numérique, du texte, de l’image et/ou du son et interrogeable à distance de façon interactive.

L’hébergeur est tenu de retirer un contenu qui lui est notifié lorsqu’il apparaît comme « manifestement » illicite. Ce critère provient d’une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel (Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC : JO 22 juin 2004, p. 11182). Dans le but d’introduire davantage d’objectivité dans l’appréciation de la notion d’illicéité, les sages ont exigé que seuls les contenus apparaissant comme ostensiblement contraires au droit peuvent être de nature à engager la responsabilité des hébergeurs. Cette notion vise principalement les contenus d’une certaine gravité et dont le caractère illicite apparaît comme évident à savoir, les images de violences, la pédopornographie, les actes de terrorisme, les provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence. Ces contenus dits « sensibles » ou « odieux » entraînent une obligation de retrait immédiat et volontaire de l’hébergeur indépendamment d’une décision judiciaire.

Le droit d’auteur a entièrement vocation à s’appliquer aux contenus diffusés sur internet. En conséquence, toute utilisation ou diffusion d’un contenu protégé par ces dispositions nécessite une autorisation préalable du titulaire des droits (TGI Paris, réf., 14 août 1996  : – TGI Paris, 3e ch., 4 déc. 2014, n° 14/03236, X c/ Les Éditions Gynethic).

Les droits patrimoniaux, particulièrement le droit de reproduction, s’appliquent sur internet, de même que les droits moraux de l’auteur tels que le droit de divulgation, le droit à la paternité, le droit au respect et le droit de repentir.

Ainsi, pour la première fois, dans une ordonnance de référés du 28 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a fait droit aux demandes de professionnels du cinéma fondées sur l’article L. 336-2 du Code de propriété intellectuelle et a ordonné aux FAI et aux moteurs de recherches de bloquer l’accès et de déréférencer le réseau de sites « allostreaming ». Selon les juges du fond, ces sites portaient une atteinte au droit de représentation des auteurs en proposant le visionnage d’œuvres sans autorisation des titulaires de droit (TGI Paris, réf., 28 nov. 2013, n° 11/60 013, APC et a. c/ Auchan Telecom et a.).

La création d’un lien hypertexte est condamnable dès lors qu’elle « procède d’une démarche délibérée et malicieuse, entreprise en toute connaissance de cause par l’exploitant du site d’origine, lequel doit alors répondre du contenu du site auquel il s’est, en créant ce lien, volontairement et délibérément associé dans un but déterminé » (CA Paris, 4e ch., sect. A, 19 sept. 2001, n° 1999/21382).

L’article 6 de la LCEN impose à l’hébergeur d’agir « promptement » pour retirer les données sans toutefois préciser un délai. C’est alors au juge, par son pouvoir d’interprétation, de déterminer la promptitude de l’hébergeur dans la suppression du contenu litigieux. Par exemple, la société Dailymotion a été reconnue responsable du fait de son inaction pour ne pas avoir supprimé des vidéos qui lui avaient été notifiées 5 à 7 jours auparavant (CA Paris, pôle 5, ch. 1, 2 déc. 2014, n° 13/08052, TF1 et a. c/ Dailymotion et a.).

Il a également été jugé qu’un délai de réaction de 2 semaines était excessif (CA Paris, pôle 5, ch. 2, 4 févr. 2011, n° 09/21 941, Google et a. c/ Aufeminin.com et a.). Enfin, en première instance, les juges du fond ont considéré que YouTube n’avait pas satisfait à son obligation en supprimant le contenu dans un délai de 5 jours (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 29 mai 2012, n° 10/11 205, TF1 et a. c/ YouTube).

II. Qualification pénale des faits reprochés à l’hébergeur

A. La connaissance présumée du caractère contrefaisant de l’activité, par l’application du 5 du I de l’article 6 de la LCEN

Aux termes de l’article 6, I, 5 de la LCEN, la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par l’hébergeur lorsque lui sont notifiés les éléments suivants :

la date de la notification ;

si le notifiant est une personne physique : ses noms, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;

-les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

-la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

-les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

-la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.

La directive (UE) 2019/790 du Parlement européen du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur a instauré à son article 17 une obligation spécifique à l’égard des fournisseurs de services de partage en ligne comparable à une obligation de police. Cette obligation qui tend à empêcher l’apparition de contenus contrefaisants sur les plateformes de partage en ligne se superpose à celle déjà existante de modération des contenus manifestement illicites signalés à ces dernières.

Il ne s’agit toutefois pas d’une obligation générale de surveillance, le fournisseur de service n’étant en aucun cas tenu à un résultat absolu. Ce dernier engage sa responsabilité comme contrefacteur du fait de la présence d’une œuvre non autorisée sur ses services lorsqu’il ne peut prouver qu’il a accompli ses meilleurs efforts et qu’il s’est montré suffisamment diligent.

Il considère qu’en maintenant le lien de téléchargement actif et en conservant le fichier sur ses serveurs, l’hébergeur fournit à l’internaute le moyen de commettre une contrefaçon par reproduction. L’intention complice, c’est-à-dire la connaissance du caractère contrefaisant de l’activité, résulte de la connaissance présumée du caractère contrefaisant de l’activité, par l’application du 5 du I de l’article 6 de la LCEN.

Il retient donc la culpabilité de DStorage en requalifiant les faits en complicité par fourniture de moyens de stockage des serveurs lui appartenant et le maintien des liens permettant l’accès à ces moyens de stockage, de contrefaçon par reproduction. La qualité de coauteur de l’infraction de contrefaçon par représentation, diffusion, communication et de mise à disposition du public des œuvres de l’esprit et des vidéogrammes est donc retenue et ce à compter de la date de notification, plus sept jours.

B. Répressions pénales

L’article 14 de la directive « commerce électronique » définit l’activité d’hébergement comme la « fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service ». L’article 6-I, 2° de la LCEN détermine également la prestation d’hébergement comme une activité purement technique.

Selon le législateur français, les hébergeurs sont « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

La Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser son interprétation de l’activité d’hébergement dans son arrêt Google Adwords. Selon le juge de Luxembourg, l’hébergeur ne doit pas avoir joué « un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées » (CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, Sté Google c/ Sté Louis Vuitton Malletier). Cette nouvelle position jurisprudentielle est reprise par les juridictions nationales, notamment par la première chambre civile de la Cour de cassation qui dans une série de trois arrêts rappelle que le régime de responsabilité aménagée « s’applique au prestataire d’un service de référencement sur internet lorsque ce prestataire n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées » Sté Nord-Ouest, Sté UGC Images et a. c/ Sté Dailymotion , SA Google France c/ Sté CNRRH., Google Inc et Google France c/ Louis Vuitton Malletier.

Le tribunal a écarté certains constats, mais a finalement condamné le chargeur des fichiers à un an de prison avec sursis avec vingt mille euros d’amende et Dstorage à cent mille euros d’amende ainsi qu’à la publication du jugement sur son site. Les deux prévenus ont été condamnés solidairement à près d’un million et demi d’euros de dommages et intérêts et dédommagements divers, avec exécution provisoire. Bien entendu, la suppression des fichiers litigieux doit être aussi réalisée aux frais de l’hébergeur.

Pour lire une version plus complète de cet article sur la contrefaçon et l’hébergement de site, cliquez

Sources :

https://www.oecd.org/fr/presse/lancement-du-rapport-de-l-ocde-et-de-l-euipo-sur-le-commerce-de-produits-contrefaits-le-lundi-18-mars-2019-a-12h00-avec-webcast-en-direct.htm
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036584445
https://www.legalis.net/actualite/un-hebergeur-condamne-pour-contrefacon/
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000037526491/2020-06-25/#:~:text=Le%20fait%2C%20pour%20toute%20personne,15%20000%20Euros%20d%27amende
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000023607235?init=true&page=1&query=09-13.202&searchField=ALL&tab_selection=all
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022488616?init=true&page=1&query=06-15.136&searchField=ALL&tab_selection=all
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022488612?init=true&page=1&query=06-20.230&searchField=ALL&tab_selection=all

Brevetabilité des logiciels

Les logiciels occupent aujourd’hui une place centrale dans la vie numérique. En effet, toute machine emporte avec elle un logiciel. Cependant une question qui s’est posée est celle de la brevetabilité des logiciels.

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Selon la définition de l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI) un logiciel est « un ensemble d’instructions pouvant, une fois transposé sur un support déchiffrable par machine, faire indiquer, faire accomplir ou faire obtenir une fonction, une tâche ou un résultat particulier par une autre machine capable de faire du traitement de l’information ».

La conception du logiciel part de l’élaboration par un auteur d’un algorithme qui constitue un programme, que l’on appelle le « code source ». L’auteur peut lui donner la forme qu’il le souhaite du moment que ce code source peut être traduit en code binaire, également appelé « code objet », par un ‘compilateur’ afin d’être lu par un ordinateur.

Contrairement à une protection par le droit d’auteur, le brevetage d’un logiciel permettrait de protéger les fonctions même de ce dernier.


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Ainsi, est-il possible de breveter un logiciel en France ?

S’il s’avère qu’il est possible de breveter un logiciel par exception au principe selon lequel seul le droit d’auteur protège les logiciels (I), une réforme européenne pourrait tendre à faire disparaître certaines critiques faites à l’égard des brevets logiciels (II).

I. La brevetabilité des logiciels

Exclue du droit français depuis 1968, la brevetabilité des logiciels (A), est en fait possible en pratique sous certaines conditions (B).

A) Le droit d’auteur, protecteur du contenu du logiciel

Le logiciel se distingue des œuvres de l’esprit plus traditionnelles en raison de sa spécificité d’être à la fois technique et immatériel, Le logiciel étant alors au croisement entre œuvre de l’esprit et invention technique, il n’a pas été simple pour la France de choisir sous quel régime de protection le placer.

Par crainte que l’ouverture de la France à la brevetabilité des logiciels ne bloque la recherche française en raison d’une potentielle inondation du marché par des demandes de brevets émanant du Japon ou des États-Unis, très en avance sur la France en la matière, mais aussi par crainte de complications techniques en matière juridique entre autres dans l’appréciation des critères de nouveauté et d’inventivité qui est opérée dans le cas d’un brevetage, et enfin, motivé par l’impossibilité pour le logiciel de remplir le caractère industriel alors exigé à tout brevetage d’invention, le législateur français a alors choisi le 2 janvier 1968, par la loi 68-1 (abrogée en 1992), d’interdire en son article 7, la brevetabilité du logiciel. La France reconnaît enfin expressément le logiciel comme une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur par la loi du 3 juillet 1985.

La directive européenne 91/250/CEE du Conseil relative à la protection juridique des programmes d’ordinateur de 1991 a également consacré cette assimilation des logiciels à des œuvres littéraires en son article premier, dans l’intention d’harmoniser les législations européennes.

Depuis, c’est le Code de la Propriété intellectuelle (CPI) qui consacre la protection par le droit d’auteur des logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire, à l’article L112-2.

L’article L611-10 CPI prévoit quant à lui et pour les raisons citées en amont l’exclusion explicite de la brevetabilité des logiciels.

En pratique l’exclusion de brevetabilité des logiciels s’avère n’être en fait pas absolue.

B) Le brevet, protecteur de l’invention technique découlant du logiciel

Le 15 juin 1981, la cour d’appel de Paris s’est prononcée en faveur du brevetage d’un logiciel à condition que ce dernier soit constitutif d’une invention.

Conformément à cette décision, le législateur français a prévu à l’article L611-10 CPI que :

« 1. Sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle.

  1. 2. Ne sont pas considérées comme des inventions au sens du premier alinéa du présent article notamment:
  2. c) Les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs
  3. 3. Les dispositions du 2 du présent article n’excluent la brevetabilité des éléments énumérés auxdites dispositions que dans la mesure où la demande de brevet ou le brevet ne concerne que l’un de ces éléments considéré en tant que tel. »

Le législateur a donc autorisé la brevetabilité des inventions dont le logiciel est seulement « un [des] éléments ». Cela signifie que si un logiciel ne peut pas être breveté en tant que tel, il le devient une fois intégré à une invention plus globale.

Ainsi, le droit d’auteur protège le contenu du logiciel là où de façon complémentaire le brevet protège l’innovation technique qui en découle. L’ensemble du logiciel ne sera souvent pas breveté. Seule l’invention technique découlant du logiciel pourra être couverte. À cet effet, on peut dire que ce seront uniquement les éléments techniques utilisés par ce logiciel qui seront brevetés.

Jusqu’alors cantonné au secteur de la bureautique et de l’industrie, le logiciel est aujourd’hui un outil technique au cœur de tout type d’activités. On pourrait presque penser qu’exclure la brevetabilité des logiciels s’apparenterait alors à un refus de protéger toute innovation technique.

Cette  brevetabilité du logiciel peut donc être menacée et l’est encore plus aujourd’hui, avec le développement des nouvelles technologies, tel que peuvent l’attester les nombreuses procédures judiciaires dans lesquelles intervient le cabinet dans ce type d’affaires.

Là où la protection par le droit d’auteur s’acquiert sans formalité de dépôt, l’article L111-2 CPI disposant en effet que « l’œuvre est réputée créer indépendamment de toute divulgation publique du seul fait de la réalisation même inachevée de la conception de l’auteur », le dépôt d’une invention s’effectue en revanche auprès de l’Institut National de la Propriété intellectuelle (INPI) et nécessite de s’acquitter d’une redevance de dépôt.

En dépit des avantages que présente la protection d’un logiciel par le droit d’auteur, l’OMPI avertit tout de même les éditeurs de logiciels que celle-ci « s’étend uniquement aux expressions, et non aux idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels. Ainsi, de nombreuses sociétés protègent le code objet des programmes informatiques par le droit d’auteur tandis que le code source est protégé comme secret d’affaires. »

Bien que les brevets logiciels jouissent d’un fondement légal implicite en droit français, le débat les concernant divise énormément l’opinion publique et les critiques qu’ils subissent impactent grandement leur développement.

II. Critiques et perspective d’évolution

A) Les critiques du brevet logiciel

Source de nombreux débats, la brevetabilité des logiciels peut être perçue comme une limitation à l’innovation logicielle, ou bien comme un moyen de les promouvoir. Il est fréquent dans ce débat que les pour et les contres soient mal entendus.
Débordant de complexité, les débats sur la brevetabilité des logiciels ont été menés à toutes les échelles, autant nationale, européenne et même internationale. C’est précisément la complexité de ce sujet qui le rend aussi vivant et débattu, d’autant plus qu’il fait  également intervenir la branche des droits d’auteur.

Pilier fondamental de l’innovation technologique, la propriété intellectuelle a toujours protégé les secteurs traditionnels tels que l’industrie chimique ou automobile et continuera, toujours dans cette lancée, à protéger les nouveaux secteurs de l’innovation technique dont fait partie l’industrie de l’informatique. C’est pourquoi, la question de la brevetabilité du logiciel a entièrement sa place et que les débats qu’elle génère sont menés avec passion.

Si l’Europe s’est toujours montrée réticente en matière de brevetabilité des logiciels, les États-Unis et le Japon ont quant à eux consacré une protection par brevet du logiciel depuis les débuts de ce dernier, contribuant grandement à la croissance de l’industrie du logiciel dans ces régions-ci du monde.

En France le 12 septembre 2001, les conseillers du Premier ministre recevaient L’AFUL et l’April pour clarifier la position du gouvernement en matière de brevets logiciels. Le gouvernement avait alors indiqué ne pas avoir s’être encore positionné sur la question. Les deux associations l’avaient par ailleurs critiqué pour la publicité qu’il avait faite à propos de l’avis, erroné, de l’Académie des technologies portant sur les brevets logiciels.

L’AFUL et l’April ne sont pas défavorables au brevet logiciel tant que ce dernier favorise réellement l’innovation au lieu d’être utilisé pour limiter le développement de nouveaux logiciels.

Les rapports du Conseil général des mines et celui du Comité de coordination des sciences et technologies de l’information et de la communication précisaient en ce sens que : « le brevet logiciel a un impact négatif sur l’innovation et la concurrence, et qu’il est probablement impossible d’éviter une extension du système de brevet aux algorithmes, aux mathématiques, aux méthodes d’affaires et toutes les méthodes intellectuelles si le brevetage du logiciel était légalisé ».

L’April, dite association de promotion et de défense du logiciel libre, a formulé sur son site, en janvier 2010, une critique des brevets logiciels.

Dans le domaine du logiciel, considérant que chaque innovation repose sur celles qui l’ont précédée, dès lors qu’une innovation antérieure vient à être brevetée, alors toutes les nouvelles inventions s’étant basées dessus ne peuvent être librement diffusées, le détenteur du brevet antérieur disposant d’un droit exclusif sur toute nouvelle utilisation de sons brevet.

La même chose viendrait à se produire pour tout éditeur de logiciel ayant eu recours à un logiciel tombant dans le champ de protection défini par les restrictions du brevet antérieur.

Le droit exclusif du détenteur d’un brevet peut prendre différentes formes comme contrôler l’usage qui est fait du logiciel breveté, la demande de paiement d’une redevance ou de pourcentage sur les bénéfices.

L’April déplore les risques que pourraient présenter les brevets logiciels : « Étant donnée la nature incrémentale du logiciel, l’ensemble de la production logicielle serait alors soumis au bon vouloir de quelques détenteurs de brevets »

Il est par ailleurs fait reproche au fait que la durée de vie d’un logiciel, devenant obsolète après à peine quelques années, n’est pas en adéquation avec celle d’un brevet qui continue quant à lui de restreindre toute innovation entrant dans son champ de protection pendant deux décennies entières. L’April commente ainsi que « les brevets logiciels n’incitent donc pas à l’innovation : ils sont utilisés de manière dévoyée pour s’assurer par la loi un avantage concurrentiel, aidés en cela par une incertitude juridique qui permet de tenir à l’écart les concurrents sur le segment de marché concerné. »

Il n’a été fait mention tout au long de cet article que du brevet français, mais le brevet européen comporte également son lot d’avantages, octroyant entre autres une protection à échelle communautaire.

Cependant, ce dernier est aussi vivement critiqué en raison de sa procédure très lente. Le dépôt du brevet européen requiert en effet la validation de 38 États dans 29 langues différentes. Le brevet européen est également critiqué pour le coût extrêmement onéreux de la redevance accompagnant le dépôt, de l’ordre de 36 000 euros. Par conséquent, le brevet européen se montre très inégalitaire pour les PME et accessible qu’aux grandes entreprises.

Enfin, la densité et complexité de la procédure de dépôt du brevet européen est critiquée pour les risques de fuite d’information qu’elle engendre en raison de l’intervention de nombreux acteurs, impliqués dans les traductions par exemple.

Tous ces facteurs nuisent à l’efficacité et par conséquent au développement du brevet européen.

Selon l’April, le secteur du logiciel libre serait menacé par les brevets logiciels qu’elle considère comme des armes utilisées par les monopoles pour exclure leurs concurrents du marché.

B) La perspective européenne d’une atténuation de ces critiques

L’article 52 de la Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973 dite « Convention de Munich » excluait les logiciels du champ des inventions brevetables.

Néanmoins, l’Office européen des brevets (OEB), a, depuis sa création en 1977, délivré un nombre important de brevets européens, ce qui a abouti à une jurisprudence ambiguë, contraire à la Convention de Munich. L’OEB a effectivement admis la brevetabilité de logiciels innovants associés à quelque chose de déjà connu, ce qui revient en d’autres termes à inclure dans la brevetabilité des logiciels l’innovation permettant de surpasser une difficulté technique d’un programme déjà existant. L’OEB a aussi interprété largement la notion de « caractère technique » pour permettre de protéger les logiciels apportant un « effet technique supplémentaire ».

Si l’on regarde de plus près, l’accord sur les Aspects de droits de propriété intellectuelle liés au commerce (Adpic) prévoit qu’« un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines [techniques], à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle ». Il ressort de cette terminologie que les logiciels sont inclus dans les inventions brevetables, dédouanant alors légèrement l’OEB pour ses dérives jurisprudentielles, le véritable problème étant alors plutôt que la Convention de Munich n’a pas été modifiée à la lumière de l’accord sur les Adpic.

Envieux des législations américaines et nippones qui accordent une importance capitale à la brevetabilité des logiciels et où même les méthodes d’affaires peuvent être brevetées, ce à quoi l’OEB est fermement opposée, les grands éditeurs de logiciels font pression pour tendre vers une brevetabilité des logiciels « en tant que tels ».

Encline à conserver le droit d’auteur comme protection de principe du logiciel, l’exemple américano-nippon en ce qui concerne les logiciels comportant de vraies innovations ne manqua pas d’inspirer la Commission européenne qui serait prête à faire coexister droit d’auteur et brevets.

Ainsi, un premier projet de directive avait complètement échoué, d’une part par manque de clarté, mais aussi parce qu’il avait attisé les critiques des PME et des partisans du logiciel libre.

La nouvelle proposition de la Commission soumise en 2004 fut également un échec, à tel point qu’aucun des nombreux amendements déposés ne fut entendu, amenant évidemment à un nouveau refus en 2005.

Depuis, toute évolution en ce sens semble avoir cessé, présentant les inconvénients de laisser l’OEB en charge de la matière et exposant ainsi l’UE à ses dérives, mais surtout un tel blocage dans l’évolution de la brevetabilité des logiciels contribue à l’agrandissement du fossé séparant l’Europe des États-Unis et du Japon en matière de concurrence dans l’industrie du logiciel.

Toutefois, un projet intitulé le « Paquet brevet de l’Union européenne » proposé en 2011 par la Commission, a été adopté par le Parlement européen en 2012. Ce texte vise à mettre en place un brevet unitaire européen déposable à l’OEB et assurant automatiquement une protection dans les 25 États ayant ratifié, dispensant ainsi des longues procédures de validation.

D’un point de vue financier, la Commission a estimé que le montant de la redevance dont devrait s’acquitter un éditeur voulant déposer un brevet unitaire européen pourrait descendre à 4725 euros. De plus, un système d’aide pour les PME, les organisations à but non lucratif, les universités et les organisations publiques de recherche serait mis en place, renforçant la coopération européenne.

À cela s’ajouterait une unification linguistique du brevet unitaire européen. Le brevet devrait être déposé en français, en anglais ou bien en allemand, tandis que des compensations permettant de financer une traduction pourrait être octroyée aux États dont aucune de ces trois langues n’est parlée officiellement.

Enfin, une juridiction unique serait mise en place à Paris pour connaître des recours en contrefaçon et en validité des brevets.

En dépit de l’enthousiasme se dégageant d’un tel projet, la création du brevet unitaire européen s’est avérée plus complexe que prévu et l’Allemagne et le Royaume-Uni ont alors bloqué son entrée en vigueur.

Malgré le vote du Brexit en 2016, le Royaume avait ratifié le premier texte de 2012 ainsi que l’accord sur la juridiction unitaire du brevet (JUB) de 2018. Mais, sans doute parce qu’il aurait été étrange qu’une nation souhaitant être entièrement indépendante n’accepte d’être soumise aux droits l’UE, le Royaume-Uni décide en 2020 de ne plus participer au système unifié.

En Allemagne en revanche, un recours avait été déposé en 2017 contre la loi de ratification de la JUB dont il était estimé qu’elle menaçait les droits régaliens de l’État. La cour constitutionnelle fédérale allemande décida le 20 mars 2020, d’annuler la loi de ratification de la directive et remettant en cause ses conditions de ratification. En effet, un vote du parlement à la majorité des deux tiers serait nécessaire avant de pouvoir autoriser une juridiction non-étatique à se substituer aux juridictions allemandes.

Finalement, si la mise en place de ce brevet unitaire européen pourrait promouvoir l’innovation et améliorer la protection des détenteurs de brevets nationaux, mais aussi européens, cela permettrait également un meilleur développement des brevets logiciels permettant à terme de rivaliser avec les concurrents japonais et américains.

Pour conclure, on pourrait se questionner sur le fait que les nombreux rapports et avis du gouvernement français sembleraient pencher en faveur des grands éditeurs de logiciels, déséquilibrant ainsi illégitimement la balance face aux partisans des logiciels libres.

Cependant, la loi n° 2016-1321 pour une république numérique promulguée le 7 octobre 2016 encourage l’utilisation de logiciels libres au sein des administrations publiques en son article 16. Considérée comme une intrusion anticonstitutionnelle de l’État dans la vie des affaires des entreprises, en contradiction avec le principe de neutralité de l’État, il pourrait sembler, comme le défend l’April, qu’une telle mesure, privée de caractère contraignant, ne soit qu’un coup d’épée dans l’eau dans le combat en faveur des logiciels libres.

Pour lire une version plus complète de cet article sur la brevetabilité du logiciel, cliquez

Sources :
Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 1, 14 janvier 2020, N° 002/2020.
Cour d’appel de Paris, 4ème chambre, Section A, 15 juin 1981, Prospection Electrique Shlumberger c/ INPI
Philippe le Tourneau, Dalloz référence : Contrats du numérique (Dalloz, 2021) 221.61-221.65
https://www.wipo.int/patents/fr/faq_patents.html
https://www.april.org/synthese-les-brevets-logiciels

Responsabilité des forums de discussion

La responsabilité des forums de discussion est une problématique récurrente en droit qu’il est difficile de trancher. Il faut savoir que les forums prennent aujourd’hui une place de plus en plus importante sur internet, en témoigne le forum r/wallstreetbets de la plateforme Reddit qui a provoqué en janvier 2021 une des plus grandes frénésies boursières de la décennie dans l’affaire « GameStop », et il est donc fréquent de se connecter sur certains d’entre eux. Traitant de domaines variés, il arrive que le sujet de conversation prenne des tournures juridiquement réprimandables.

Nous pouvons donc trouver dans les forums de discussion des termes réducteurs, insultants et même diffamatoires ainsi que des atteintes à l’intérêt général ou aux droits d’auteur par exemple. Ainsi, c’est lorsque les propos émis touchent la considération de personnes physiques ou morales que la responsabilité des forums de discussion doit être résolue. 

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Dès lors, existe-t-il une réelle responsabilité des forums de discussion ? Si la responsabilité des forums de discussions s’est vue ajustée par le législateur, elle reste majoritairement traitée par la jurisprudence.

I. Position du problème

La responsabilité des acteurs de l’Internet occupe de plus en plus l’actualité juridique en ce moment.

Après la loi du 1er août 2000 et l’amendement Bloche qu’elle a intégré à celle du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la responsabilité des animateurs de services interactifs tels que les « chats » et forums de discussions se trouve au centre des débats.


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En effet, la jurisprudence, renforcée par cet amendement, au terme duquel un hébergeur n’est « pénalement ou civilement responsable du contenu diffusé que si, ayant été saisi par une autorité judiciaire, il n’a pas agi promptement pour empêcher l’accès au contenu incriminé », avait permis d’aboutir à une forme d’immunité des prestataires techniques de l’Internet pour les propos tenus sur les pages web et/ou forums de discussion qu’ils hébergent.

Or, s’est rapidement posé le problème du recours ouvert à la victime de propos diffamatoires ou infamants en cas d’impossibilité d’en identifier l’auteur : faut-il alors rechercher la responsabilité du créateur, du modérateur ou de l’administrateur du forum ? C’est précisément sur ce point que les juges français ont dû se prononcer à l’occasion du litige opposant le cybermarchand Père-Noël aux responsables d’un forum de discussion hébergé sur le site Defense-consommateur.org.

Avant de rappeler les faits de cette affaire, précisons qu’il est nécessaire de distinguer selon que l’on se trouve dans le cadre d’un forum de discussion modéré ou non. La responsabilité des forums de discussion est engagée de cette distinction.

Dans le cas d’un forum non modéré, le créateur d’un site met à la disposition des internautes un forum pour qu’ils puissent s’exprimer ; à ce titre, il ne pourra pas être auteur ou co-auteur des propos diffusés.

N’étant qu’un simple prestataire hébergeant un espace où chacun est libre de donner son avis, il ne détient pas la possibilité de contrôler a priori le contenu de cet espace. Son statut d’administrateur ne lui confère qu’un pouvoir de contrôle a posteriori.

En conséquence, il serait peut-être judicieux d’appliquer les dispositions de la loi d’août 2000 à ce type de créateur et de ne pas systématiquement retenir sa responsabilité en cas de publication de messages illicites sauf dans l’hypothèse où il aurait incité les internautes à tenir de tels propos ; le créateur du site pourrait alors voir sa responsabilité recherchée de ma même façon que celle d’un directeur de publication.

Lorsque le forum est modéré, les propos sont validés par l’administrateur du forum avant toute diffusion ; il pourrait donc voir sa responsabilité engagée automatiquement en cas de publication de messages diffamatoires, injurieux ou autres, à l’image de ce qui se fait déjà en matière de presse pour les directeurs de publication.

II. Evolution jurisprudentielle

Le jugement rendu dans l’affaire « Père-Noël » constitue la première position prise par les juridictions françaises sur le problème de la responsabilité des créateurs des sites proposant aux internautes un forum de discussions.

Le TGI de Lyon a, par son jugement du 28 mai 2002, procédé à la condamnation des responsables du site « Defense-consommateur.org » pour diffamation suite à la publication, par des internautes, de propos injurieux et diffamants à l’encontre d’un cybermarchand (Père-Noël) sur le forum de discussions non modéré du site.

Cette condamnation consiste au paiement d’une somme de 80 000 euros (500 000 F) à titre de dommages et intérêts ainsi qu’à la publication de la décision dans la presse et sur le site abritant le forum.

Le juge a retenu la responsabilité civile et pénale des personnes en charge des sites pour l’ensemble des messages publiés sur tous les types de forums, modérés ou non modérés.

Il relève « qu’il est constant que les [responsables] ont pris l’initiative de créer un service de communication audiovisuelle en vue d’échanger des opinions sur des thèmes définis à l’avance et en l’espèce, relatifs aux difficultés rencontrées par certains consommateurs face à certaines sociétés de vente ; qu’ils ne peuvent donc pas opposer un défaut de surveillance des messages qui sont l’objet du présent litige ; qu’ils se considèrent eux-mêmes comme les concepteurs du site incriminé et doivent donc répondre des infractions qui pourraient avoir été commises sur le site qu’ils ont créé. »

Cette solution, surprenante compte tenu de la difficulté d’exercer un contrôle a priori des contenus sur les forums non modérés, a été confirmée par le TGI de Toulouse dans une ordonnance en date du 5 juin 2002 suite à une affaire aux faits similaires.

En l’espèce, une association (DomExpo) fait l’objet de vives critiques sur un site spécialisé dans les maisons, et ce, dans le cadre d’un forum de discussions non modéré.

Cette association obtient de l’hébergeur et du responsable du site la suppression de l’accès au site litigieux et celle des messages incriminés.

Le juge admet que les parties en cause ont rempli leurs obligations telles que découlant de l’article 43-8 de la loi du 1er août 2000 ; cependant, il considère insuffisantes les mesures prises pour faire cesser le trouble.

Le TGI rappelle que les internautes ont tenu des propos « comportant de manière évidente des invectives grossières, des imputations d’escroquerie, de pratiques douteuses qui excèdent les limites de la liberté d’expression pour entrer dans le domaine du dénigrement portant atteinte à l’honneur et ne respectant pas la dignité de celui auquel ils s’adressent ».

La juridiction considère le créateur d’un site comme « responsable du contenu du site qu’il a créé et des informations qui circulent sur le réseau » dans la mesure où il dispose seul du pouvoir réel de contrôler les informations ou diffusions.

Il peut donc voir sa responsabilité civile engagée étant donné qu’il a « l’obligation de respecter les règles légales ou les restrictions ou interdictions qu’imposent le droit et ne peut se retrancher derrière la nature de l’Internet pour mettre devant le fait accompli les personnes auxquelles la divulgation de propos illicites porte préjudice ».

Mais, par cette ordonnance, la juridiction entend également imposer à l’hébergeur technique du forum une « obligation générale de prudence et de diligence », celui-ci devant mettre en œuvre « des moyens raisonnables d’information, de vigilance et d’action ». En cas de violation de ces obligations, l’hébergeur sera donc uniquement civilement responsable.

III. Difficultés résultant des jurisprudences « Père-Noël » et « DomExpo »

Le créateur du site qui propose un forum de discussion est soumis à une obligation de surveillance sur la totalité des contenus diffusés en raison de la maîtrise qu’il possède sur la diffusion des propos. Cette solution semble tout à fait logique dès lors que l’on se trouvera dans l’hypothèse où la diffamation se sera produite sur un forum modéré, l’administrateur du site devant donner son approbation préalablement à la publication des messages.

Or, dans les affaires récemment examinées par les juridictions françaises, la diffamation avait eu lieu sur des forums non modérés.

La responsabilité retenue par ces jugements serait donc fondée sur les articles 1241 (anc. 1383) et 1242 (anc. 1384) du Code civil, le premier posant le principe de la responsabilité du dommage causé par la négligence ou l’imprudence, le second retenant une responsabilité du fait des choses dont a la garde.

Les créateurs d’un forum seraient alors responsables pour l’imprudence d’avoir mis à la disposition des internautes un forum non modéré, mais aussi en raison de la maîtrise qu’ils sont censés exercer sur leur site.

En ce qui concerne les hébergeurs, on peut se demander ce que leur nouvelle obligation implique concrètement étant donné que dans l’affaire « DomExpo » l’hébergeur avait empêché l’accès au site litigieux dès son assignation, pour ne le rétablir qu’après la suppression des contenus diffamants. Il serait donc contraint d’installer des moyens de surveillance afin de prévenir toute mise en cause devant le juge civil ; mais ces moyens apparaissent difficiles à mettre en œuvre.

La loi du 21 juin 2004 dite « pour la confiance dans l’économie numérique » (LCEN) proclame entre autres un régime de responsabilité des intermédiaires techniques de l’Internet dérogeant au principe consacré à l’article 1240 du Code civil puisque ces derniers, désormais notifiés, ne sont alors pas tenus responsables, ni pénalement ni civilement, pour les informations stockées tant qu’ils n’ont pas été informés de leur caractère illicite, excluant la prise en considération de « toute » faute au profit d’une faute spéciale. La catégorie des hébergeurs de forum de discussions tombe sous ce régime de responsabilité.

En 2007, la cour d’appel de Paris a cependant reconnu à l’hébergeur un devoir de « veiller dans la mesure de ses moyens à ce que son site ne soit pas utilisé à des fins répréhensibles ». En 2012, la CJUE a néanmoins reconnu l’impossibilité pour un hébergeur de concevoir et financer un moyen de filtrer en permanence la totalité des informations qu’il stocke en raison de l’évidente incompatibilité d’un tel idéal avec la liberté d’entreprendre. La même année, la Cour de cassation est venue confirmer à trois reprises cette décision, mettant un terme à la doctrine irréaliste soulevée en 2007 par la cour d’appel de Paris.

Conformément au devoir des hébergeurs de répression de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine consacrée à l’article 6-I-7 de la LCEN, ceux-ci doivent permettre aux utilisateurs de prendre facilement connaissance de ces principes d’intérêt général et doivent également avertir les autorités publiques de telles activités une fois notifiées. L’article 6-II du même texte de loi prévoit que l’hébergeur doit conserver toute donnée permettant d’identifier un utilisateur qui aurait contribué à créer du contenu via le service de l’hébergeur.

Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, laissé savoir dans une décision du 10 juin 2004, que le caractère « manifestement » illicite d’une information stockée par un hébergeur et dénoncée comme tel par un tiers pourrait engager la responsabilité de l’hébergeur.

La jurisprudence a montré certaines difficultés d’application de la loi de 2004, comme dans des cas de condamnations de l’hébergeur n’ayant pas réussi à rendre l’accès impossible à un contenu illicite pourtant retiré, de celui qui a retiré le contenu illicite seulement un mois après notification ou encore de celui qui a rendu inaccessible l’accès pour la France au site d’une entreprise espagnole de services relatifs à la gestation pour autrui.

IV. Conséquences des nouvelles positions jurisprudentielles

Le 28 juin 2002, le tribunal d’Instance de Nantes a entériné un accord conclu le 27 juin 2002 entre le webmaster d’un forum et le président de la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie) et par lequel les deux parties règlent leur différend; le litige qui les opposait était en fait la conséquence de propos injurieux et diffamatoires tenus à l’encontre du second sur ce forum non modéré, mis en place pendant les dernières élections, et qui visait à permettre aux médecins d’exprimer leur mécontentement suite aux amendes infligées par le président de l’organisme à certains de leurs confrères qui avaient pris la décision de facturer leurs consultations au prix de 20 euros au lieu du tarif légal en vigueur inférieur (18,75 euros).

Le webmaster du forum y reconnaît d’ailleurs avoir « failli à son obligation de modération en sa qualité de webmaster ». Condamné à verser un euro symbolique, il a également consenti à régler les frais résultant de la procédure.

Quant à l’hébergeur du site (Nfrance) et au prestataire du système de forums (lhébergeur.net – Twidi.com), ils ont été écartés de la procédure. En effet, ils avaient rempli leurs obligations légales en procédant à la fermeture du forum et à la publication de l’assignation.

Suite à cette affaire, le responsable du site a décidé de fermer son site, regrettant que « le problème de fond posé par les textes de lois qui engagent la responsabilité des webmasters concernant les écrits des forums reste entier ».

Par ailleurs, la cour d’appel de Koblenz en Allemagne a, le 16 mai 2002, jugé responsable un créateur de site à la suite de la publication de messages dits diffamatoires dans un livre d’or.

En 2010, la CJUE a précisé dans l’affaire « Google AdWords » comment déterminer les bénéficiaires du régime de responsabilité atténuée consacré à l’article 14 (al. 1, let. a) de la directive sur le commerce électronique précitée qui, pour rappel, déclare irresponsable des informations stockées l’hébergeur « n’[ayant] pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite ».

Le critère donné par la CJUE dépend de la neutralité de l’hébergeur ; ce dernier, pour pouvoir bénéficier du régime de responsabilité consacré à l’article 14 de la directive européenne sur le commerce électronique précitée, doit avoir eu un comportement « purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle de données [stockées] ». Cependant, la CJUE précisera en 2011 que la simple neutralité de l’hébergeur n’est pas suffisante pour bénéficier du régime [d’irresponsabilité] de l’article 14 s’il est prouvé qu’il a manqué à son obligation de diligence.

Dans une décision du 3 octobre 2019, la CJUE a estimé en ce qui concerne les articles 14 et 15 de la directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 étant à l’origine de la loi de transposition du 21 juin 2004 d’une part que si le prestataire de service de stockage d’informations (l’hébergeur) est exonéré d’une obligation générale de surveillance et de contrôle des messages, il reste toutefois dans l’obligation (= est tenu) d’intervenir s’il est informé du caractère litigieux de certains messages, et d’autre part que l’obligation de suppression prévue par ces articles doit produire des « effets à l’échelle mondiale ».

En conséquence, refuser d’appliquer aux créateurs de forums la protection de la loi du 1er août 2000, induit la suppression progressive et inéluctable de tous les forums non modérés. La Cour de cassation a retenu cependant plutôt un critère de neutralité vis-à-vis de l’hébergeur, la protection de la LCEN semble profiter à un maximum d’hébergeurs de forums de discussions.

La loi dite Hadopi du 12 juin 2009 prévoit en son article 93-3, alinéa 5, que le directeur de la publication ne pourra voir sa responsabilité pénale engagée que s’il est établi qu’il avait connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il n’a pas agi promptement pour retirer ce message.

Si ce régime de responsabilité ressemble beaucoup à celui qui avait été instauré par la loi LCEN à l’égard des hébergeurs en son article 6-I-2 qui disposait en effet que les hébergeurs ne pouvaient voir leur responsabilité engagée pour un contenu publié sur leur site s’ils n’avaient pas connaissance de son caractère illicite, il s’avère que les hébergeurs peuvent également être exonérés si lorsqu’ils ont eu connaissance de la publication sur leur site d’un contenu illicite ils « ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Seulement, le responsable de forum de discussions a pour obligation d’empêcher par des moyens de filtrage la communication de ces messages illicites sur leur site. En revanche, s’il n’a pas pu mettre en place un dispositif de modération, alors sa responsabilité ne sera retenue que s’il avait connaissance du contenu illicite et qu’il ne l’a pas retiré dans un délai suffisamment court. Cette responsabilité pour absence de contrôle a priori n’existe pas pour les hébergeurs.

Par ailleurs, l’autre différence entre les deux régimes de responsabilité réside dans le fait qu’un hébergeur ne peut être tenu responsable du contenu qu’il stocke que si ce dernier est « manifestement » illicite. Le responsable d’un forum de discussion en revanche peut être responsable pour la diffusion d’un contenu simplement illicite.

Le terme « manifestement » ayant été ajouté par le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2004 précitée, dans le but de préserver la liberté d’expression, la loi Hadopi n’opérant pas cette distinction, elle impose par conséquent au responsable d’un forum de discussion de supprimer tout contenu illicite sans jugement préalable.

 

SOURCES :

Philippe le Tourneau, Dalloz référence : Contrats du numérique (Dalloz 2021), ch. 422.31-422.36
CJUE, 3ème chambre, 3 octobre 2019, Eva Glawischnig-Piesczek c/Facebook Ireland, C-18/18
TGI Versailles, 1ère chambre, 26 février 2019, n° 16/07633
CJUE, 3ème chambre, 16 février 2012, Belgische Vereniging van Auteurs, Componisten en Uitgevers CVBA (Sabam) c/ Netlog, C-360/10
CJUE, Grande chambre, 12 juillet 2011, L’Oréal c/eBay International, C-324/09
CJUE, Grande chambre, 23 mars 2010, Google c/Louis Vuitton, C-236/08
Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 dite « favorisant et la protection de la création sur internet »
Paris, 12 décembre 2007, Google c/Benetton
Paris, 4ème chambre, 9 novembre 2007, eBay
TGI Paris, 19 octobre 2007, Zadig production c/Google
Conseil constitutionnel 10 juin 2004, n° 2004-496 DC
Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite « pour la confiance dans l’économie numérique » (LCEN)
Forum des droits sur l’Internet, Premier rapport d’activité : année 2002 (La Documentation française, Paris 2003) 32-34
Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information