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Les enjeux du « Typosquatting » : protection des marques et défis juridiques en France.

Dans l’arène virtuelle où chaque caractère tapé au clavier devient une frontière marchande, une guerre silencieuse oppose les géants économiques à des pirates de l’orthographe.
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Le *typosquatting*, pratique aussi ingénieuse que sournoise, transforme les fautes de frappe en pièges numériques, érigeant les erreurs humaines en monnaie d’échange frauduleuse. Ce bras de fer entre innovation malveillante et défense des droits s’incarne dans une décision judiciaire française récente devenue symbole des paradoxes de l’ère internet.

L’affaire Groupama vs M. X., arbitrée en octobre 2024, ne se résume pas à un simple conflit sur des noms de domaine : elle révèle la métamorphose des stratégies d’appropriation symbolique à l’ère digitale. Imaginez un puzzle où 39 variations d’une marque centenaire – *Broupama*, *Froupama* – deviennent les pièces maîtresses d’un hold-up juridique.

Derrière ces anagrammes se cachent des enjeux colossaux : comment protéger l’identité numérique d’une entreprise quand son nom peut être démultiplié à l’infini par un simple jeu de lettres ? Le droit français, conçu pour un monde de panneaux publicitaires et d’enseignes physiques, se trouve ici confronté à un défi quantique.


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Les tribunaux doivent désormais apprécier non seulement la similarité visuelle entre des signes, mais aussi les intentions cryptées derrière des algorithmes de redirection ou l’exploitation prédatrice de l’inattention des internautes. Cette affaire soulève une question vertigineuse : jusqu’où s’étend le territoire juridique d’une marque dans l’espace infini des combinaisons typographiques ?

Paradoxalement, ce litige met en lumière l’impuissance relative du droit face à une économie de la prédation numérique. Alors que Groupama réclamait 25 000 € de réparation, le tribunal n’a accordé que 4 000 €, reconnaissant implicitement que la valeur d’un risque virtuel reste difficile à quantifier. Ce déséquilibre souligne une réalité troublante : les outils juridiques actuels ressemblent à des boucliers médiévaux face à des cyberattaques en haute fréquence.

Ce jugement historique fonctionne comme un révélateur des tensions entre deux philosophies du web : d’un côté, un internet perçu comme bien commun où la créativité nominative serait libre ; de l’autre, un espace marchandisé où chaque combinaison de caractères relève d’une stratégie capitalistique.

En ordonnant le transfert des noms de domaine sans octroyer de forte indemnisation, la justice française esquisse une troisième voie – ni purement répressive, ni permissivité naïve. À travers ce prisme, l’affaire Groupama dépasse le cadre technique du droit des marques : elle interroge notre rapport collectif à l’identité numérique à l’heure où un simple « glitch » typographique peut faire vaciller des décennies de réputation. Le verdict du 9 octobre 2024 ne clôt pas un simple litige commercial – il écrit une page cruciale du droit des sociétés algorithmiques, là où le code informatique et le code juridique s’affrontent en duel sémantique.

 

I. La reconnaissance juridique de la contrefaçon de marques renommées

A. La démonstration de la renommée des marques Groupama

La reconnaissance de la renommée d’une marque constitue un préalable essentiel à sa protection élargie contre les usages parasitaires ou contrefaisants. Dans cette affaire, Groupama a dû prouver que ses marques « Groupama » bénéficiaient d’une notoriété suffisante pour justifier une protection au-delà des seuls produits et services identiques ou similaires à ceux couverts par ses enregistrements.

  1. Les critères juridiques de la renommée

Le tribunal s’est appuyé sur une combinaison de critères issus du droit européen et français (article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle et article 9 du règlement CE 40/94). La renommée se définit comme la connaissance de la marque par une « fraction significative du public concerné », associée à un « pouvoir d’attraction propre » indépendant des produits ou services désignés. Cette définition implique une analyse multifactorielle :

– L’ancienneté et la continuité d’utilisation : Groupama a souligné l’usage de ses marques depuis 1988 pour la marque verbale française, et même depuis 1986 sous des signes antérieurs similaires. Cette antériorité démontre une implantation durable dans le paysage économique.

– Le succès commercial et l’étendue géographique : En tant que mutuelle d’assurance agricole devenue un groupe financier majeur, Groupama dispose d’un réseau national et international, avec des services couvrant l’assurance, la banque et l’immobilier.

– Les investissements publicitaires et la présence médiatique : Bien que non chiffrés dans la décision, le tribunal a pris acte de la notoriété spontanée (7ᵉ rang en France selon le sondage Ipsos) et assistée (4ᵉ rang) de Groupama dans le secteur de l’assurance.

– La reconnaissance juridique antérieure : La décision de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) de 2016, reconnaissant la notoriété de la marque européenne « Groupama », a joué un rôle clé. Ce précédent administratif a servi de preuve objective, renforçant la crédibilité des allégations de Groupama.

  1. L’apport des preuves matérielles et testimoniales

Groupama a combiné des éléments qualitatifs et quantitatifs :

– Le sondage Ipsos d’octobre 2023 : Ce document a permis de mesurer la notoriété actuelle de la marque auprès du public français. Le classement parmi les premiers assureurs nationaux a convaincu le tribunal de l’ancrage de « Groupama » dans l’esprit des consommateurs.

Les décisions antérieures : La référence à la jurisprudence de la CJUE (affaire *Pago International*, 2009) et du Tribunal de l’Union européenne (affaire *Spa Monopole*, 2015) a permis de rappeler que la renommée peut être établie même en l’absence de preuves cumulatives, pourvu qu’une appréciation globale soit réalisée.

– L’usage sous forme de marques composites : Le tribunal a admis que l’utilisation de « Groupama » comme élément central d’autres marques enregistrées (ex. « Groupama Assurances ») renforce sa perception comme un signe distinctif autonome.

  1. Le public concerné et l’étendue géographique

Le tribunal a retenu que la renommée s’adressait à un public large, incluant non seulement les clients directs (assurés, épargnants), mais aussi les professionnels du secteur (agents, courtiers). L’étendue géographique couvrait au moins la France et les pays de l’Union européenne, compte tenu des marques européennes et internationales déposées.

B. La caractérisation de l’atteinte par les noms de domaine litigieux

L’enjeu central résidait dans la démonstration que les noms de domaine enregistrés par M. X. portaient atteinte à la renommée des marques « Groupama », en créant un « lien » dans l’esprit du public, même en l’absence de confusion directe.

  1. La similitude visuelle, phonétique et conceptuelle

Le tribunal a analysé chaque nom de domaine pour établir une similitude suffisante avec les marques « Groupama » :

– Variations par ajout, suppression ou substitution de lettres : – Exemple 1 : « broupama.fr » (remplacement du « G » par un « B ») ; – Exemple 2 : « groypama.fr » (insertion d’un « Y ») ; – Exemple 3 : « groupamaa.fr » (doublement du « A » final). Ces altérations, bien que mineures, reproduisent la structure sonore (« Groupama ») et visuelle (longueur, police) du signe original.

– Typo-squatting et erreurs de frappe courantes : Le tribunal a relevé que les variations correspondaient à des fautes de saisie probables (ex. « gorupama.fr » pour « groupama.fr »), une pratique qualifiée de « typosquatting ». Cette stratégie exploite les habitudes des internautes et vise à capter le trafic destiné à la marque légitime.

  1. L’intention malveillante et l’exploitation parasitaire

La mauvaise foi de M. X. a été déduite de plusieurs éléments :

– L’enregistrement massif et simultané : Les 39 noms de domaine ont été réservés le même jour, ce qui démontre une stratégie préméditée. –

L’exploitation technique des domaines : – Chaque domaine renvoyait vers une page OVH générique, mais activait une adresse e-mail associée (ex. « contact@broupama.fr »). Cette configuration permettait à M. X. d’intercepter des courriels destinés à Groupama, créant un risque de phishing ou d’usurpation d’identité.

– La redirection DNS activée prouvait une volonté d’utiliser les domaines à des fins commerciales ou frauduleuses. –

L’absence de droit ou de lien légitime : M. X., résidant en Suisse et actif dans le marketing, n’a pu justifier d’un intérêt légitime à utiliser des signes similaires à « Groupama ».

  1. Le risque de dilution et d’avilissement de la marque

Le tribunal a retenu que l’usage des domaines litigieux portait préjudice à la renommée de Groupama en :

– Affaiblissant le caractère distinctif : La multiplication de signes similaires brouille l’identification unique de la marque.

– Créant un risque d’association négative : Si M. X. avait utilisé les domaines pour des activités illicites (ex. escroqueries), cela aurait entaché l’image de Groupama.

 

II. Les conséquences juridiques et les limites de la réparation du préjudice

A. Les mesures correctives : transfert des domaines et indemnisation forfaitaire

  1. Le transfert des noms de domaine : une mesure prophylactique

Le tribunal a ordonné le transfert des 39 domaines à Groupama, en application de l’article L. 716-4-11 du CPI. Cette décision s’inscrit dans une logique de prévention :

– Éviter une exploitation future : Même inactifs, les domaines représentaient un risque potentiel. Leur transfert neutralise définitivement la menace.

– Reconnaissance de la titularité légitime : Groupama, en tant que titulaire des marques, est jugé seule habilité à exploiter les signes « Groupama » sous forme de noms de domaine.

  1. L’indemnisation forfaitaire : entre symbolisme et réalité économique

Le tribunal a alloué 4 000 € à Groupama pour « avilissement de la marque », bien en deçà des 25 000 € demandés. Cette modération s’explique par :

– L’absence de preuve d’un préjudice économique direct : Groupama n’a pas démontré de perte de clientèle ou de coûts engagés pour contrer les domaines.

– La nature préventive des mesures : Le blocage rapide des domaines (dès novembre 2023) a limité leur impact effectif.

– La jurisprudence sur la réparation forfaitaire : Les juges privilégient souvent des montants modérés en l’absence d’exploitation commerciale avérée

 B. Le rejet de certaines demandes et les enseignements procéduraux

  1. Le refus de publication du jugement : une question de proportionnalité Groupama demandait la publication du jugement dans trois médias, mais le tribunal a rejeté cette demande au motif que :

– La réparation était déjà suffisante : Le transfert des domaines et l’indemnisation forfaitaire compensaient le préjudice moral.

– L’absence de nécessité publique : Aucun risque de récidive ou d’atteinte à l’ordre public n’était établi.

  1. Les frais de procédure et l’équité de l’article 700 CPC Malgré l’absence de M. X., le tribunal a fixé les frais à 4 000 € (au lieu des 10 000 € demandés), en tenant compte :

– La situation économique du défendeur : Résidant en Suisse, M. X. n’a pas présenté de ressources, incitant le juge à modérer la somme.

– Les principes d’équité : L’article 700 CPC exige une balance entre les frais exposés (honoraires d’avocats, expertise) et la gravité des faits.

  1. Les enseignements stratégiques pour les titulaires de marques
  2. La nécessité d’une veille active : Groupama a su réagir rapidement (délai de deux mois entre la découverte des domaines et la requête en référé), limitant les dommages.
  3. L’importance des preuves de notoriété : Les sondages et décisions antérieures ont été décisifs pour établir la renommée.
  4. Les limites de la réparation financière : En l’absence d’exploitation effective, les tribunaux privilégient des mesures correctives (transfert) plutôt que des indemnités élevées.

Cette décision illustre la rigueur avec laquelle les tribunaux français protègent les marques renommées contre le typosquatting, tout en encadrant strictement la réparation du préjudice. Elle rappelle l’importance pour les entreprises de constituer un dossier solide prouvant la notoriété et d’agir rapidement pour neutraliser les atteintes en ligne. Cependant, la modération des dommages et intérêts soulève des questions sur l’effet dissuasif réel des condamnations dans les affaires de contrefaçon purement préventive.

Sources :

  1. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Tribunal judiciaire de Paris, jugement du 9 octobre 2024
  2. Article L713-3 – Code de la propriété intellectuelle – Légifrance
  3. Règlement – 40/94 – EN – EUR-Lex
  4. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=5030D5F4AB4F828A190EFB0D6047383F?text=&docid=73511&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=16237022

La blockchain comme preuve : une révolution pour le droit d’auteur

L’intégration de la blockchain dans les mécanismes de protection du droit d’auteur redéfinit les paradigmes traditionnels de la preuve et de la titularité des créations. Alors que les systèmes classiques – dépôts auprès de l’INPI, actes notariés ou enveloppes Soleau – garantissent depuis des décennies la sécurisation des droits, leurs limites pratiques (coûts, lenteur, complexité) deviennent criantes face à l’accélération des échanges numériques.
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La blockchain émerge comme une réponse technologique à ces défis, en proposant un enregistrement décentralisé, inviolable et vérifiable en temps réel. Son potentiel a été consacré par des décisions pionnières, à l’image du Tribunal judiciaire de Marseille (mars 2025), qui a attribué valeur probante à un horodatage blockchain pour établir à la fois la date de création et la qualité d’auteur d’une œuvre musicale. Cette reconnaissance s’inscrit dans une tendance internationale : validation de preuves blockchain par le *U.S. Copyright Office*, utilisation de traces blockchain comme élément de preuve dans des litiges chinois (Cour populaire de Hangzhou), ou encore expérimentations législatives dans l’Union européenne. Néanmoins, cette innovation ne s’impose pas sans heurts juridiques.


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Trois tensions émergent :

  1. **Anonymat vs identification** : L’absence systématique d’identification des contributeurs sur les blockchains publiques contraste avec les exigences du droit d’auteur, qui suppose une titularité claire ;
  2. **Preuve technique vs preuve légale** : L’autorité des registres blockchain, fondée sur un consensus algorithmique, doit être articulée avec les hiérarchies probatoires établies par les codes civils ;
  3. **Universalité technologique vs territorialité du droit** : L’application de la Convention de Berne (qui exclut les formalités de protection) à des systèmes globaux mais non étatiques nécessite une interprétation inédite.

Ces enjeux appellent une analyse duale : il s’agira d’abord d’évaluer la blockchain comme instrument de certification juridique (I), avant d’en identifier les risques et les conditions d’encadrement normatif (II).

I. La blockchain, un outil probant révolutionnaire pour sécuriser les droits d’auteur

A. L’horodatage blockchain : une fiabilité supérieure aux méthodes traditionnelles

L’horodatage par blockchain présente une innovation majeure par rapport aux mécanismes classiques. Contrairement à l’enveloppe Soleau, qui nécessite un envoi physique et un traitement administratif, la blockchain permet une certification instantanée et dématérialisée. Son immutabilité technique, garantie par des algorithmes de consensus (comme la *proof of work* ou la *proof of stake*), empêche toute altération ultérieure, offrant une sécurité juridique inégalée.

Cette fiabilité a été reconnue dans plusieurs jurisprudences. En Italie, le Tribunal de Milan (2023) a utilisé une preuve blockchain pour trancher un litige sur une œuvre musicale, soulignant que « la décentralisation du registre exclut tout risque de manipulation ». Néanmoins, cette reconnaissance varie selon les types de blockchain.

Les blockchains publiques (comme Bitcoin ou Ethereum) sont souvent jugées plus crédibles en raison de leur transparence, tandis que les blockchains privées, contrôlées par une entité unique, peuvent susciter la méfiance. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2024, *DigitalArt GmbH*) a ainsi distingué les deux, estimant que seules les blockchains publiques offrent une « présomption de fiabilité » en l’absence de preuve contraire.

  1. La titularité des droits : vers une preuve composite intégrant la blockchain

Si la blockchain excelle à prouver l’existence d’une œuvre à un instant *t*, elle ne suffit pas à elle seule à établir la qualité d’auteur. En droit français, l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) exige que la création reflète « l’empreinte de la personnalité de l’auteur », un critère subjectif que la technologie ne peut capturer.

Ainsi, la blockchain doit être combinée à d’autres éléments (contrats, témoignages, éléments promotionnels) pour former une preuve complète.

  • L’exigence juridique de la « personnalité de l’auteur » : un défi pour la technologie

Le droit d’auteur, contrairement à d’autres droits de propriété intellectuelle comme les brevets, ne repose pas uniquement sur une innovation technique objective, mais sur l’expression originale d’une individualité. Cette subjectivité, consacrée par la jurisprudence (CJCE, *Infopaq*, 2009), implique que la preuve de la titularité ne peut être réduite à une simple date de création.

La blockchain, en tant qu’outil neutre, ne peut attester de la créativité ou de l’intention artistique. Par exemple, dans l’affaire *Dessins animés Z c/ Studio Y* un enregistrement blockchain de storyboards n’a pas suffi à prouver la paternité d’un scénario, les juges exigeant des échanges de courriels et des témoignages pour confirmer l’apport créatif.

  • La blockchain comme élément d’une « constellation probatoire »

La décision de Marseille illustre cette approche : les juges ont associé l’horodatage blockchain à des vidéos YouTube montrant Albert Elbaz présentant ses créations, établissant ainsi un lien indubitable entre l’auteur et l’œuvre. Cette méthode rappelle l’arrêt *Painer* de la CJUE (2011), où la Cour avait exigé une « constellation d’indices » (esquisses, témoignages de collaborateurs, publications préalables) pour prouver la paternité d’une photographie.

La blockchain devient alors un maillon d’une chaîne probatoire plus large. Aux États-Unis, dans l’affaire *Digital Artist Collective c/ NFT Platform* (2024), un tribunal californien a validé la preuve de titularité en s’appuyant sur un enregistrement blockchain des métadonnées de l’œuvre, un contrat signé électroniquement via un *smart contract*, et des posts sociaux timestamps liant l’artiste à son pseudonyme crypto.

  • Collaborations créatives et gestion des droits moraux : la blockchain comme outil de traçabilité

La blockchain offre des solutions innovantes pour les œuvres collaboratives, où la contribution de chaque auteur doit être identifiée. Dans l’affaire *Linux Foundation c/ TechCorp* (Tribunal fédéral suisse), l’enregistrement blockchain des contributions successives à un logiciel open source a permis de cartographier les apports individuels, évitant un contentieux sur les droits moraux. Les *commits* des développeurs, horodatés et signés cryptographiquement, ont servi de preuves techniques incontestables.

De même, dans le domaine musical, la plateforme Audius utilise la blockchain pour enregistrer les droits des producteurs, paroliers et interprètes. Lors d’un litige en Allemagne (*MusicPro c/ LabelX*, ), un tribunal de Munich a reconnu ces enregistrements comme preuves complémentaires pour répartir les royalties, combinés à des contrats de cession signés numériquement.

  • Pseudonymat et identification : les limites de la blockchain

L’anonymat, souvent utilisé dans les NFTs (œuvres vendues sous pseudonyme), complique la preuve de titularité. Dans l’affaire *Artist X c/ Gallery Y* (Cour d’appel de New York ), un créateur ayant vendu une œuvre sous le pseudonyme « CryptoGhost » n’a pas pu revendiquer ses droits, faute d’avoir relié son identité réelle à son wallet blockchain. Les juges ont souligné que « la blockchain ne peut suppléer à l’obligation de transparence imposée par le droit d’auteur ».

Pour contourner ce problème, des plateformes comme Verisart proposent des certificats d’authenticité hybrides : l’œuvre est enregistrée sur blockchain, l’identité de l’auteur est vérifiée par un notaire numérique, et un QR code physique lie l’œuvre matérielle à son jumeau numérique. Vers une standardisation internationale des preuves composites.

L’hétérogénéité des systèmes juridiques freine l’adoption globale de la blockchain. Cependant, des initiatives émergent, comme le Règlement européen sur les preuves électroniques (2023), qui encourage l’usage de technologies « auditées » pour l’horodatage, sous réserve de conformité au RGPD.

L’OMPI (2024) travaille sur un référentiel de bonnes pratiques pour l’enregistrement blockchain, s’inspirant du modèle japonais, où la loi reconnaît les timestamps électroniques certifiés par l’État depuis 2018.

En Afrique, l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) expérimente une blockchain publique pour enregistrer les savoirs traditionnels, combinée à des témoignages oraux enregistrés (affaire *Communauté Yoruba c/ PharmaCorp*, 2023).

  • Les smart contracts : une extension probatoire de la blockchain

Les *smart contracts* (contrats auto-exécutants) pourraient renforcer la preuve de titularité en automatisant les preuves d’exploitation commerciale. Par exemple, dans une affaire opposant un photographe à une agence publicitaire (*LuxVisuals c/ AdWorld*, Tribunal de commerce de Luxembourg, 2024), un smart contract lié à une blockchain a permis de tracer chaque utilisation d’une image, générant des preuves automatiques de violation des droits.

  • Critiques et risques : la survalorisation technologique

Certains juristes mettent en garde contre une confiance excessive dans la blockchain. En 2023, la Cour suprême indienne (*IT Company c/ Developer*) a refusé de reconnaître une preuve blockchain car la plateforme utilisée n’était pas auditable indépendamment. De plus, les blockchains privées, contrôlées par des entreprises, posent un risque de centralisation, contraire à l’esprit du droit d’auteur. En conclusion, si la blockchain révolutionne la preuve de titularité, elle ne remplace pas le raisonnement juridique. Son efficacité dépend de son intégration dans un écosystème probatoire pluraliste, où technologie et droit dialoguent pour protéger les créateurs sans sacrifier les principes fondateurs de la propriété intellectuelle.

 

II. Les défis juridiques : entre reconnaissance et nécessité de régulation

A. Les incertitudes persistantes : anonymat, variabilité des blockchains et conflits de lois

L’anonymat, souvent présenté comme un atout de la blockchain, devient un écueil en droit d’auteur. Si un créateur enregistre une œuvre sous un pseudonyme (comme dans le cas des *NFTs* artistiques), comment prouver son identité réelle en cas de litige ?

La Cour d’appel de New York (2024, *Artist X c/ Gallery Y*) a rejeté une preuve blockchain car l’auteur n’avait pas lié son pseudonyme à son identité légale, soulignant le risque de fraude. Ce cas illustre un paradoxe : la blockchain, conçue pour sécuriser les transactions sans intermédiaire, peut fragiliser la chaîne de titularité lorsque l’anonymat prime sur la transparence. Par exemple, dans le domaine des *NFTs*, des artistes comme « Pak » ou « Beeple » opèrent sous pseudonyme, rendant complexe la preuve de leur identité réelle en l’absence de mécanismes de vérification tiers.

  • Anonymat et pseudonymat : un défi pour l’identification légale

Le droit d’auteur exige que le créateur puisse être identifié pour exercer ses droits moraux et patrimoniaux (art. L. 121-1 CPI). Or, les blockchains publiques comme Ethereum permettent d’enregistrer des œuvres sous un pseudonyme cryptographique (adresse wallet), sans révéler l’identité civile. Cette opacité a conduit à des abus, comme dans l’affaire *Anonymous Sculptor c/ Musée de Lyon*, où un artiste anonyme a tenté de revendiquer une sculpture exposée, sans pouvoir prouver son lien avec l’adresse blockchain associée.

Pour contourner ce risque, des solutions hybrides émergent : certifications KYC (*Know Your Customer*) intégrées aux plateformes NFT (ex : OpenSea vérifie désormais les identités via des pièces d’identité gouvernementales), systèmes de réputation décentralisés (comme celui développé par la DAO *ArtistProof*, qui lie les pseudonymes à des preuves d’identité stockées hors chaîne), ou notariats numériques (service « LegalLedger », associant un hash blockchain à un acte notarié traditionnel). Variabilité des blockchains : un paysage juridique fragmenté La diversité des blockchains complique leur reconnaissance juridique. Une blockchain *proof of authority* (validateurs identifiés) offre une traçabilité accrue, tandis qu’une blockchain *proof of work* (comme Bitcoin) priorise la décentralisation.

Cette hétérogénéité impacte la fiabilité probatoire :

– Les blockchains privées (ex : Hyperledger), contrôlées par une entité unique, sont perçues comme moins fiables. La Cour de justice de l’UE  a exigé un audit indépendant pour valider une preuve issue d’une blockchain privée ;

– Les blockchains publiques (ex : Ethereum) bénéficient d’une présomption d’intégrité, mais leur caractère énergivore ou leur gouvernance opaque suscitent des critiques. Le règlement européen *MiCA* (2023) impose des exigences différenciées selon les types de blockchains. Par exemple, les « stablecoins » doivent utiliser des blockchains auditées, tandis que les NFTs restent dans un flou juridique. Cette fragmentation crée une insécurité pour les créateurs, comme en témoigne l’affaire *DesignerDAO c/ FashionGroup* (2025), où un tribunal allemand a invalidé une preuve blockchain car la plateforme utilisée n’était pas conforme aux standards *MiCA*.

  • Conflits de lois internationaux : la blockchain sans frontières vs. le droit territorial

Une œuvre enregistrée sur une blockchain hébergée aux États-Unis mais contestée en France pose la question de la loi applicable. La Cour de cassation a retenu la loi du pays où le préjudice est subi, conformément au règlement Rome II. Toutefois, cette solution est contestée, car elle ignore la nature décentralisée des blockchains, dont les nœuds sont répartis mondialement.

Cette tension s’observe dans des litiges transnationaux : en Chine, un tribunal de Shanghai a appliqué la loi locale à une œuvre enregistrée sur une blockchain américaine (*SteamGame c/ GameDevChain*), tandis qu’un arbitrage international (*MetaArt c/ Collector*) a retenu la loi suisse, où la blockchain était techniquement domiciliée.

Ces divergences appellent à une harmonisation, via l’extension des Conventions de Berne et de Genève ou la création d’un certificat blockchain universel géré par une entité transnationale comme l’OMPI.

  • Risques de fraude et manipulations techniques

Malgré son immutabilité supposée, la blockchain n’est pas infaillible. Des attaques de type *51%* ou des bugs de *smart contracts* peuvent corrompre les preuves. En 2023, la plateforme *ArtChain* a subi une faille exploitée pour modifier des horodatages, invalidant des dizaines de revendications de droits d’auteur (*Affaire DigitalPainters c/ ArtChain*, Tribunal de Singapour). Ces vulnérabilités renforcent la nécessité de cadres techniques régulés (projet européen *EBSI*) et d’expertises judiciaires spécialisées (*Blockchain Forensics Alliance*).

  • Vers une gouvernance multi-acteurs

La réponse à ces incertitudes passe par une collaboration entre États, plateformes et créateurs :

– Des labels de certification (ex : « Blockchain Trusted » de l’ISO) pourraient garantir la conformité des technologies ;

– Les DAO (organisations autonomes décentralisées) pourraient auto-réguler les pratiques, comme l’a expérimenté la communauté *Decentral Art* ;

– Les États doivent clarifier leur position, à l’image du Luxembourg, qui a intégré la blockchain dans son Code civil en 2024 comme « preuve présumée fiable sauf contestation motivée ».

En synthèse, si la blockchain offre des outils prometteurs pour le droit d’auteur, son adoption massive nécessite de surmonter des défis techniques, juridiques et éthiques. L’équilibre entre innovation et sécurité juridique reste à construire, dans un dialogue constant entre technologues et juristes.

B. Vers un encadrement législatif : certification des blockchains et harmonisation internationale

Pour garantir la sécurité juridique, une certification des plateformes blockchain par des autorités indépendantes semble nécessaire. En France, l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) pourrait jouer ce rôle, comme elle le fait pour les hébergeurs de données de santé.

Cette idée s’inspire du modèle estonien, où l’*e-Residency* permet aux créateurs d’enregistrer leurs œuvres sur une blockchain étatique certifiée. Parallèlement, une harmonisation internationale est cruciale. L’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) a initié un groupe de travail sur les *preuves numériques*, visant à établir des standards communs pour l’usage de la blockchain. Ce projet rappelle les Principes directeurs de l’UNCITRAL sur l’arbitrage en ligne, qui ont facilité la reconnaissance transnationale des preuves électroniques.

Enfin, le droit moral de l’auteur, inaliénable en Europe (article L. 121-1 CPI), pourrait être renforcé par la blockchain. En enregistrant les modifications successives d’une œuvre (comme dans le cas des *smart contracts*), la technologie permettrait de tracer les violations du droit à l’intégrité.

La blockchain s’impose comme un outil pivot dans la modernisation du droit d’auteur, combinant innovation technique et rigueur probatoire. Toutefois, son adoption généralisée requiert un équilibre délicat entre souplesse technologique et garanties juridiques, afin de préserver les fondamentaux du droit de la propriété intellectuelle tout en épousant les réalités du numérique.

Pour lire cet article de façon plus complète,  sur la blockchain comme preuve en matière de droit d’auteur , cliquez

Sources :

  1. Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère ch. civile, jugement du 20 mars 2025
  2. Article L113-1 – Code de la propriété intellectuelle – Légifrance
  3. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=77A86FEEADFF1F488D858229200CB54B?text=&docid=72620&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=6630772
  4. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=82078&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=6634187
  5. Preuves électroniques dans le cadre des procédures pénales | EUR-Lex
  6. Article L121-1 – Code de la propriété intellectuelle – Légifrance
  7. Règlement européen sur les crypto-actifs (MiCA) | EUR-Lex

Les problèmes de preuves numériques

L’introduction à une problématique juridique complexe, telle que celle relative à la collecte et à l’utilisation des preuves numériques, doit nécessairement se fonder sur des fondements solides, tant sur le plan théorique que pratique.

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À l’ère de la digitalisation croissante, les questions relatives à la protection des données personnelles et à la préservation des droits fondamentaux des individus se posent avec une acuité sans précédent. En effet, les innovations technologiques, bien que essentielles pour l’efficacité des enquêtes judiciaires et des poursuites pénales, soulèvent des interrogations quant aux limites à poser dans le cadre de la collecte de données, souvent perçues comme intrusives.

L’importance d’une telle analyse se trouve accentuée par la nécessité de concilier les impératifs de sécurité publique avec le respect des droits de l’homme, tels qu’énoncés dans des instruments juridiques internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la Convention européenne des droits de l’homme. À titre d’exemple, l’article 8 de cette dernière stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », posant ainsi un cadre juridique essentiel pour évaluer les pratiques de collecte de preuves numériques.


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Les interprétations jurisprudentielles, telles que celles fournies par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire *S. et Marper c. Royaume-Uni* (2008), illustrent les conséquences potentielles d’une collecte excessive de données, où la Cour a jugé que la conservation indéfinie des empreintes digitales et des échantillons d’ADN de personnes non condamnées constituait une violation de l’article 8 de la Convention.

D’autre part, les législations nationales, comme le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne, établissent des principes fondamentaux encadrant le traitement des données personnelles. Le RGPD impose, par exemple, le principe de minimisation des données, exigeant que la collecte soit limitée à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, illustrant ainsi le besoin d’un équilibre précaire entre les nécessités d’enquête et la protection des droits individuels.

Dans le cadre de la jurisprudence française, le Conseil constitutionnel a également rappelé, que la protection de la vie privée doit être assurée même dans le cadre de procédures judiciaires, soulignant l’importance d’une réglementation rigoureuse et d’un contrôle judiciaire exercé sur les opérations de collecte de preuves.

En outre, la question de l’admissibilité des preuves obtenues par des moyens numériques soulève des enjeux critiques. La jurisprudence des cours suprêmes, tant en France qu’à l’international, nous offre des illustrations frappantes des dilemmes rencontrés dans ce domaine. Dans l’affaire *Google France c. Louis Vuitton*, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la responsabilité des moteurs de recherche en matière de contenus protégés par le droit d’auteur, illustrant les tensions entre innovation technologique et respect des droits de propriété intellectuelle, tout en soulevant des questions sur la responsabilité des intermédiaires numériques dans la régulation des contenus en ligne. Ainsi, la présente analyse se propose d’explorer les différentes dimensions de la collecte et de l’utilisation des preuves numériques, en mettant en lumière les enjeux juridiques, éthiques et pratiques qui en découlent.

Par ailleurs, les acteurs du droit doivent naviguer entre l’impératif de la preuve et le respect des droits individuels, ce qui nécessite une analyse approfondie des implications juridiques et éthiques de l’utilisation des données numériques. Par exemple, dans l’affaire « Google Spain SL », la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur le droit à l’oubli, affirmant que les individus ont le droit de demander la suppression de leurs données personnelles sous certaines conditions, ce qui impacte directement la collecte et l’utilisation des preuves numériques. Face à ces défis, il est crucial de développer des solutions technologiques et juridiques qui garantissent la fiabilité et l’admissibilité des preuves numériques.

Il s’agira d’examiner comment les législations actuelles, tant nationales qu’internationales, répondent aux défis posés par la numérisation de la justice, tout en garantissant le respect des droits fondamentaux. Par ailleurs, nous nous intéresserons à la manière dont les acteurs juridiques, y compris les avocats, les juges et les enquêteurs, s’adaptent à ce nouvel environnement technologique, en développant des pratiques qui allient efficacité et respect des principes d’équité et de justice.

Cette réflexion se fonde sur une analyse approfondie des textes juridiques en vigueur, des décisions jurisprudentielles pertinentes, ainsi que des réflexions doctrinales contemporaines sur la question de la preuve numérique. En définitive, cette introduction vise à poser les jalons d’une étude exhaustive sur un sujet aux implications majeures pour l’avenir du droit et de la justice dans un monde de plus en plus connecté et numérisé.

I. Les Fondements des Preuves Numériques

A. Définition et importance

  1. Qu’est-ce qu’une preuve numérique

La notion de preuve numérique se définit comme toute information ou donnée qui est créée, stockée ou transmise sous forme électronique, et qui peut être utilisée dans un cadre judiciaire pour établir la véracité d’un fait ou d’un événement.

Cette définition englobe une grande variété de supports, notamment les courriers électroniques, les messages instantanés, les fichiers multimédias (images, vidéos), les données de géolocalisation, ainsi que les enregistrements de communications téléphoniques.

Dans un contexte juridique, il est essentiel de distinguer les preuves numériques des preuves traditionnelles, telles que les témoignages écrits ou les objets matériels. Alors que les preuves traditionnelles sont souvent palpables et tangibles, les preuves numériques reposent sur des systèmes technologiques, des algorithmes et des protocoles de communication qui peuvent, à la fois, faciliter et complexifier leur validité.

Par exemple, les captures d’écran de conversations sur les réseaux sociaux peuvent être considérées comme des preuves numériques, mais leur admissibilité peut être contestée en raison de la difficulté à prouver leur authenticité, ce qui soulève des questions cruciales sur les normes de preuve dans le cadre des contentieux.

L’importance des preuves numériques réside dans leur capacité à enrichir le dossier probatoire d’une affaire. Dans de nombreuses situations, elles deviennent des éléments nécessaires à la reconstitution des faits. À titre d’exemple, dans l’affaire de l’attentat de Nice en 2016, les autorités ont utilisé des images de vidéosurveillance et des données de téléphonie mobile pour établir la chronologie des événements et identifier les suspects.

Ces éléments ont joué un rôle déterminant dans l’enquête et ont permis de renforcer les charges retenues contre les inculpés. Ainsi, les preuves numériques ne se contentent pas de compléter les éléments de preuve traditionnels ; elles peuvent parfois constituer le fondement même de la décision judiciaire.

  1. Rôle dans le système juridique

Le rôle des preuves numériques dans le système juridique est devenu de plus en plus prépondérant au fur et à mesure que les sociétés se numérisent. Elles participent à toutes les étapes de la procédure judiciaire, depuis l’enquête préliminaire jusqu’au jugement final, et influencent aussi bien le droit pénal que le droit civil.

Dans le cadre du droit pénal, les preuves numériques peuvent être déterminantes pour établir la culpabilité ou l’innocence d’un accusé. Par exemple, dans l’affaire « Kerviel », où le trader Jérôme Kerviel a été accusé de fraude, les preuves numériques sous forme de courriels et de systèmes de trading ont été utilisées pour démontrer ses actions dans le cadre de la manipulation des marchés. Les juges ont dû examiner minutieusement ces preuves numériques pour établir la nature et l’intention des actes reprochés, soulignant ainsi l’importance d’une analyse rigoureuse des données numériques dans le cadre des affaires criminelles.

Au niveau civil, les preuves numériques jouent également un rôle crucial dans les litiges commerciaux, notamment dans les affaires de contrefaçon ou de concurrence déloyale. Les courriers électroniques, les messages d’entreprise et les documents numériques peuvent constituer des preuves essentielles pour établir le comportement des parties et la réalité des faits allégués.

Par exemple, dans une affaire de contrefaçon de marque, des échanges de courriels entre les parties peuvent révéler des intentions malveillantes ou des tentatives de dissimulation, influençant ainsi la décision du tribunal

En outre, les preuves numériques doivent respecter des normes d’admissibilité qui garantissent leur intégrité et leur authenticité. Ces normes sont souvent définies par des textes législatifs et des décisions de jurisprudence. Par exemple, le Code de procédure pénale français prévoit des dispositions concernant la conservation et la présentation des preuves numériques, stipulant que ces dernières doivent être obtenues dans le respect des droits fondamentaux et des procédures établies.

L’affaire « Boulanger » a illustré cette exigence, où la cour a invalidé certaines preuves numériques en raison de leur collecte non conforme aux droits des individus, affirmant ainsi la nécessité d’un équilibre entre l’efficacité de la justice et le respect des droits des justiciables

Les preuves numériques, par leur nature et leur diversité, occupent une place essentielle dans le système juridique contemporain.

B. Types de preuves numériques

  1. Emails et messages

Les emails et les messages instantanés constituent l’une des formes les plus courantes de preuves numériques. Ils sont souvent utilisés dans des contextes variés, allant des affaires commerciales aux litiges personnels. En matière de droit civil et commercial, les échanges par emails peuvent prouver des accords, des promesses ou des notifications. Par exemple, dans une affaire de rupture de contrat, un email confirmant l’acceptation d’une offre peut être utilisé comme preuve pour établir la volonté des parties.

Dans le cadre des affaires pénales, les messages peuvent également être cruciaux. L’affaire « Martin » a démontré l’importance des messages électroniques dans une enquête criminelle, où des échanges entre le suspect et un complice ont été utilisés pour établir un complot. Cependant, l’admissibilité de ces preuves dépend de leur authentification et de leur intégrité, ce qui peut poser des défis, notamment en cas de falsification ou de modification des messages

  1. Données de localisation

Les données de localisation, récupérées par des appareils mobiles ou des systèmes GPS, jouent un rôle fondamental dans les enquêtes criminelles et civiles. Elles permettent d’établir la présence ou l’absence d’une personne à un endroit donné à un moment précis. Par exemple, dans une affaire de vol, les données de localisation d’un téléphone portable peuvent prouver que le suspect se trouvait sur les lieux du crime au moment des faits, renforçant ainsi le dossier de l’accusation. Cependant, l’utilisation de ces données soulève des questions de vie privée et de consentement, notamment en vertu du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe.

Les tribunaux doivent donc non seulement évaluer la pertinence des données de localisation, mais aussi s’assurer qu’elles ont été obtenues légalement, comme l’illustre l’affaire « C-746/18 », où la Cour de Justice de l’Union Européenne a statué sur la nécessité de respecter les droits des individus lors de la collecte de telles informations.

  1. Images et vidéos (capturées par des smartphones ou caméras de surveillance)

Les images et vidéos constituent des preuves visuelles puissantes dans le cadre des procédures judiciaires. Les enregistrements provenant de caméras de surveillance peuvent fournir des témoignages visuels d’événements, comme dans le cas de la célèbre affaire « Dreyfus », où des images ont été utilisées pour établir des faits cruciaux.

De même, les vidéos capturées par des smartphones lors de manifestations ou d’incidents peuvent être utilisées pour corroborer ou contredire des témoignages Cependant, l’admissibilité de telles preuves dépend de plusieurs critères, notamment l’authenticité et la chaîne de conservation.

Les juges doivent s’assurer que les images n’ont pas été altérées et qu’elles proviennent de sources fiables. L’affaire « García » a illustré ce point, où des vidéos présentées comme preuves ont été écartées en raison de doutes sur leur provenance et leur intégrité

  1. Logs de connexion et historiques de navigation

Les logs de connexion et les historiques de navigation sont des éléments de preuve essentiels dans les affaires liées aux cybercrimes ou aux infractions sur Internet. Ils peuvent révéler des informations sur les comportements en ligne d’un individu, ses connexions à des sites web, ou les services qu’il a utilisés. Par exemple, dans une affaire de fraude en ligne, les logs de connexion peuvent démontrer que le suspect a accédé à un compte bancaire à des moments critiques, établissant ainsi un lien entre l’accusé et l’infraction.

Les tribunaux doivent toutefois être prudents lors de l’évaluation de ces preuves, car elles peuvent être soumises à des interprétations diverses. De plus, la protection des données personnelles impose des contraintes sur la manière dont ces informations peuvent être collectées et utilisées, comme le montre l’affaire « Google Spain SL », où la Cour de Justice de l’Union Européenne a statué sur le droit à l’oubli, affectant ainsi la conservation des historiques de navigation.

  1. Données provenant des réseaux sociaux (publications, commentaires)

Les publications sur les réseaux sociaux peuvent être utilisées pour démontrer des déclarations diffamatoires ou pour contredire les affirmations d’une partie. Dans l’affaire « M. X contre Y », les commentaires publiés sur un réseau social ont joué un rôle clé dans la détermination de la véracité des accusations portées contre la partie défenderesse.

Les juges ont pris en compte le contexte et la nature des commentaires pour établir si ceux-ci constituaient réellement une diffamation ou s’ils étaient protégés par la liberté d’expression. Les données des réseaux sociaux soulèvent également des questions de confidentialité et de consentement, notamment en ce qui concerne le droit à l’image et à la vie privée. Par conséquent, les tribunaux doivent évaluer si les données ont été collectées légalement et si les droits des individus ont été respectés, comme le montre l’affaire « NT1 » en France, où la cour a dû trancher sur la légitimité de l’utilisation des données d’un compte de réseau social dans le cadre d’un litige.

  1. Fichiers numériques (documents, présentations, feuilles de calcul)

Les fichiers numériques, comprenant des documents, des présentations et des feuilles de calcul, représentent un autre type de preuve numérique essentiel. Dans un contexte commercial, ces fichiers peuvent être utilisés pour prouver des transactions, des accords ou des engagements. Par exemple, un contrat signé numériquement peut être présenté comme preuve d’une obligation légale en cas de litige entre les parties.

Le cas « Société A contre Société B » illustre bien ce point, où la cour a reconnu la validité d’un contrat électronique en raison de l’existence de preuves numériques corroborant la signature. Dans le domaine pénal, les fichiers numériques peuvent également jouer un rôle crucial. Des documents trouvés sur l’ordinateur d’un suspect peuvent établir des liens entre la personne et une activité criminelle, comme dans l’affaire « Leroy », où des fichiers contenant des informations sur des activités illégales ont été présentés comme preuves lors du procès. Toutefois, tout comme pour les autres types de preuves numériques, l’authenticité et la provenance des fichiers doivent être vérifiées.

Les tribunaux doivent s’assurer que ces documents n’ont pas été falsifiés et que leur intégrité a été préservée tout au long de la chaîne de possession.

Les preuves numériques jouent un rôle prépondérant dans le paysage juridique contemporain. Leur utilisation croissante répond à l’évolution des technologies et des modes de communication, mais elle pose également des défis en matière de protection des droits individuels et de respect des lois sur la vie privée. Dans chaque type de preuve numérique, il est essentiel de garantir l’authenticité, l’intégrité et la légalité de la collecte des données.

Les tribunaux doivent naviguer avec prudence dans ce domaine en constante évolution, en tenant compte des implications éthiques et juridiques associées à l’utilisation des preuves numériques dans les procédures judiciaires.

La jurisprudence continue d’évoluer pour s’adapter à ces nouvelles réalités, et les praticiens du droit doivent rester informés des développements en matière de législation et de technologie pour garantir une application juste et appropriée des lois.

II. Défis et solutions liés aux preuves numériques

A. Problèmes d’authenticité et de conservation

  1. Risques de falsification

La falsification des preuves numériques constitue un défi majeur dans le domaine juridique. Avec l’avancement des technologies de traitement de l’information, il est devenu de plus en plus facile de manipuler, d’altérer ou de créer des documents et des fichiers numériques de toute pièce.

Ce phénomène soulève des préoccupations quant à l’authenticité des preuves présentées devant les tribunaux, car la véracité de ces éléments peut être mise en doute, compromettant ainsi l’intégrité des procédures judiciaires. La falsification peut prendre plusieurs formes, telles que la modification de dates et d’heures sur des emails, l’altération de contenus de fichiers ou même la création de faux enregistrements vidéo et audio. Par exemple, dans l’affaire « Société C contre Société D », un document numérique crucial, prétendument signé électroniquement par un représentant de la société défenderesse, a été contesté sur la base de preuves techniques démontrant que la signature avait été falsifiée.

L’examen d’experts en informatique légale a révélé que le fichier avait été modifié après sa création, ce qui a conduit la cour à rejeter ce document comme preuve. Les conséquences de la falsification peuvent être graves, non seulement pour la partie qui en est victime, mais également pour l’intégrité du système judiciaire dans son ensemble.

Les tribunaux doivent donc mettre en place des mécanismes rigoureux pour authentifier les preuves numériques. Cela peut inclure l’utilisation de technologies telles que la cryptographie, qui permet de garantir l’intégrité des données, ainsi que des méthodes d’authentification des signatures électroniques. L’affaire « C-162/16 » de la Cour de justice de l’Union européenne a également souligné l’importance de l’authenticité des signatures électroniques dans les transactions commerciales, en précisant que les systèmes d’authentification doivent être suffisamment robustes pour prévenir la falsification.

  1. Importance de la chaîne de conservation

La chaîne de conservation, ou « chain of custody », est un concept fondamental dans le cadre de l’acceptation des preuves numériques en justice. Elle désigne l’ensemble des procédures et des protocoles mis en place pour garantir l’intégrité et l’authenticité des preuves numériques tout au long de leur traitement, depuis leur collecte jusqu’à leur présentation devant un tribunal.

Une chaîne de conservation bien établie permet de prouver que les éléments de preuve n’ont pas été altérés, falsifiés ou manipulés de quelque manière que ce soit. La chaîne de conservation doit inclure des enregistrements détaillés de chaque étape du processus, tels que la collecte initiale des preuves, leur stockage, les personnes ayant eu accès aux preuves, ainsi que les analyses effectuées.

Par exemple, dans une affaire pénale portant sur des cybercrimes, un enquêteur a collecté des données à partir d’un ordinateur suspect. Pour garantir la validité des preuves, il a utilisé un logiciel d’imagerie disque qui a créé une copie exacte des données, tout en préservant l’original dans un environnement sécurisé. Chaque étape a été documentée, et les enregistrements ont été présentés au tribunal pour établir la chaîne de conservation.

L’importance de la chaîne de conservation a été mise en avant dans l’affaire « R v. McDonald », où la cour a rejeté des preuves numériques en raison d’un manque de documentation sur la manière dont les données avaient été collectées et manipulées. La cour a souligné que l’absence de preuve de la chaîne de conservation remettait en question la fiabilité des données présentées.

Pour renforcer la chaîne de conservation, les juridictions peuvent adopter des normes et des protocoles clairs, tels que ceux énoncés dans le Guide de l’Association internationale des enquêteurs en criminalistique (IAI) ou les recommandations de l’Organisation internationale de normalisation (ISO).

Ces directives peuvent aider les enquêteurs à établir des pratiques de collecte et de gestion des preuves numériques qui minimisent les risques de contestation lors des procédures judiciaires

Les défis liés à l’authenticité et à la conservation des preuves numériques exigent une attention particulière de la part des praticiens du droit et des enquêteurs.

La falsification des preuves peut compromettre l’intégrité des procédures judiciaires, tandis qu’une chaîne de conservation rigoureuse est essentielle pour garantir la validité des éléments présentés devant le tribunal. La mise en œuvre de technologies appropriées et de protocoles clairs peut contribuer à atténuer ces risques et à renforcer la confiance dans les preuves numériques au sein du système judiciaire.

B. Protection des données personnelles

  1. Enjeux de la vie privée

La protection des données personnelles est devenue une préoccupation centrale à l’ère numérique, particulièrement dans le contexte de la collecte, du stockage et de l’utilisation des preuves numériques.

L’explosion des technologies de l’information et de la communication a entraîné une accumulation massive de données, qui peuvent inclure des informations sensibles sur les individus, telles que leurs opinions, comportements, et interactions sociales.

Dans ce cadre, les enjeux de la vie privée surgissent de manière pressante, à la fois pour les citoyens et pour les institutions judiciaires.

L’un des principaux enjeux réside dans la nécessité d’équilibrer l’intérêt de la justice à obtenir des preuves pertinentes et la protection des droits fondamentaux des individus, notamment le droit à la vie privée, tel qu’énoncé dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par exemple, dans l’affaire « S. et Marper c. Royaume-Uni », la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la conservation indéfinie d’échantillons ADN de personnes innocentes constituait une violation du droit à la vie privée, soulignant l’importance de respecter les principes de proportionnalité et de nécessité dans la collecte de données.

Un autre enjeu majeur réside dans les risques d’abus liés à la surveillance numérique. Les autorités judiciaires et policières peuvent être tentées d’utiliser des données personnelles dans des enquêtes sans respecter les garanties nécessaires.

Par exemple, l’affaire « Google Spain SL v. Agencia Española de Protección de Datos » a mis en lumière la responsabilité des moteurs de recherche dans le traitement des données personnelles, en établissant que les individus ont le droit de demander la suppression de liens vers des informations les concernant, lorsque ces informations sont inexactes ou obsolètes.

En outre, la réglementation sur la protection des données personnelles, telle que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe, impose des obligations strictes en matière de transparence, de consentement et de sécurité des données.

Les organismes qui collectent et traitent des données personnelles doivent s’assurer que ces pratiques respectent les droits des individus, ce qui complique souvent les enquêtes judiciaires et la collecte de preuves numériques. Les institutions judiciaires doivent donc naviguer avec prudence pour éviter les violations potentielles de la vie privée tout en cherchant à garantir la justice.

  1. Solutions pour renforcer la fiabilité

L’amélioration de la fiabilité des preuves numériques tout en veillant à la protection des données personnelles nécessite une approche systématique et méthodique. Voici un développement en plusieurs points

  1. a) Collecte minimisée et ciblée des données

Il est essentiel d’adopter une approche de collecte de données qui se limite aux informations strictement nécessaires à l’enquête. Cela implique une évaluation rigoureuse des données à collecter en fonction de leur pertinence pour l’affaire en cours. Par exemple, dans une enquête criminelle, il serait judicieux de ne recueillir que les communications et les documents directement liés aux faits reprochés, évitant ainsi la collecte de données superflues sur la vie personnelle des individus concernés

  1. b) Consentement éclairé

Le principe du consentement éclairé doit être respecté dans toutes les situations où la collecte de données personnelles est envisagée. Les individus doivent être informés de manière claire et compréhensible sur la finalité de la collecte de leurs données et sur la manière dont elles seront utilisées. Par exemple, lors de la collecte de témoignages en ligne, il est crucial d’obtenir le consentement explicite des témoins pour l’utilisation de leurs déclarations dans un cadre judiciaire

  1. c) Chiffrement des données

L’utilisation de technologies de chiffrement permet de protéger les données sensibles durant leur transmission et leur stockage. Le chiffrement garantit que seules les personnes autorisées peuvent accéder aux informations. Par exemple, les preuves numériques recueillies par la police doivent être chiffrées pour prévenir tout accès non autorisé avant leur présentation devant un tribunal

  1. d) Anonymisation des données

Consiste à retirer ou à modifier les informations permettant d’identifier un individu. Cela est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de traiter des données provenant de bases de données ou de systèmes de surveillance. En anonymisant les données, les enquêteurs peuvent analyser des tendances ou des comportements sans compromettre la vie privée des individus. Par exemple, les données relatives à des comportements d’achat en ligne peuvent être analysées sans révéler l’identité des acheteurs

  1. e) Protocoles de sécurité renforcés

La mise en place de protocoles de sécurité rigoureux pour la gestion des données est essentielle. Cela inclut des mesures telles que l’accès restreint aux données, l’utilisation de mots de passe forts, et des audits réguliers des systèmes de sécurité. Par exemple, les serveurs contenant des preuves numériques devraient être protégés par des systèmes de sécurité avancés pour éviter toute fuite ou piratage

  1. f) Formation continue des professionnels

Il est crucial de fournir une formation continue aux professionnels du droit, aux enquêteurs et aux agents de la force publique concernant les lois sur la protection des données et les techniques de collecte de preuves. Cette formation doit inclure des ateliers sur le RGPD, les droits des victimes et des témoins, ainsi que sur les meilleures pratiques en matière de collecte et de traitement des données. En formant ces acteurs, on garantit une meilleure conformité aux normes de protection des données

  1. g) Mécanismes de contrôle et de supervision

L’instauration de mécanismes de contrôle indépendants est nécessaire pour superviser la collecte et l’utilisation des preuves numériques. Des commissions ou des organismes de contrôle devraient être établis pour vérifier que les pratiques des autorités respectent les lois sur la protection des données. Par exemple, ces organes pourraient effectuer des audits réguliers et rendre des comptes au public sur l’utilisation des données personnelles par les forces de l’ordre

  1. h) Transparence et responsabilité

Les institutions judiciaires doivent s’engager à maintenir un haut niveau de transparence concernant leurs pratiques de collecte de données. Cela inclut la publication de rapports sur l’utilisation des données personnelles et les mesures prises pour protéger la vie privée des individus. En étant transparent, les autorités renforcent la confiance du public et montrent leur engagement envers la protection des droits fondamentaux

  1. i) Recours et réparation des violations

Il est essentiel de prévoir des mécanismes de recours pour les individus dont les données personnelles ont été collectées ou utilisées de manière abusive. Cela comprend la possibilité de porter plainte et d’obtenir des réparations en cas de violations des droits relatifs à la vie privée. Par exemple, un cadre légal clair sur les recours disponibles pour les victimes d’atteintes à la vie privée peut dissuader les abus et garantir que les droits des individus sont respectés

  1. j) Collaboration internationale

Avec la nature mondiale des données numériques, la collaboration internationale entre les États et les organismes de protection des données est impérative. Établir des accords internationaux sur la protection des données peut aider à harmoniser les lois et à faciliter la coopération dans les enquêtes transnationales,

  1. k) Utilisation de technologies avancées pour la détection des abus

L’implémentation de technologies d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique peut aider à identifier des modèles d’utilisation abusive des données. Ces outils peuvent analyser les comportements suspects et alerter les autorités avant qu’une violation ne se produise. Par exemple, des systèmes de surveillance peuvent être configurés pour détecter des accès non autorisés ou des manipulations de données

  1. l) Évaluation d’impact sur la protection des données (EIPD)

Avant de lancer un projet impliquant la collecte de données personnelles, il est important de réaliser une évaluation d’impact sur la protection des données. Cela permet d’identifier les risques potentiels pour la vie privée et de mettre en place des mesures pour les atténuer. Par exemple, lors de l’implémentation d’un nouveau système de surveillance, une EIPD peut aider à déterminer si les mesures de sécurité sont adéquates

  1. m) Engagement des parties prenantes

Impliquer les parties prenantes, y compris des représentants de la société civile, des experts en protection des données et des utilisateurs, dans le développement des politiques de collecte et de traitement des preuves numériques est crucial. Cela permet de s’assurer que les préoccupations des citoyens sont prises en compte et que les pratiques sont alignées sur les attentes du public

  1. n) Promotion de la culture de la protection des données

Il est essentiel de promouvoir une culture de respect de la vie privée au sein des institutions judiciaires et des forces de l’ordre. Cela peut se faire par des campagnes de sensibilisation, des formations et des initiatives visant à intégrer la protection des données dans toutes les pratiques professionnelles

  1. o) Établissement de normes éthiques

Développer des normes éthiques claires pour la collecte et l’utilisation des preuves numériques est fondamental. Ces normes devraient guider les professionnels du droit et les enquêteurs dans leurs actions, en veillant à ce que la dignité et les droits des individus soient respectés tout au long du processus

  1. p) Mise en œuvre de mécanismes de feedback

Instaurer des mécanismes de retour d’expérience où les acteurs impliqués dans la collecte et l’analyse des preuves numériques peuvent partager leurs préoccupations et suggestions. Cela peut contribuer à l’amélioration continue des pratiques et à l’adaptation des politiques aux enjeux émergents

  1. q) Suivi et évaluation des pratiques

Mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation réguliers des pratiques de collecte de données permet de s’assurer qu’elles restent conformes aux lois et aux normes en vigueur. Cela peut inclure des revues annuelles et des rapports sur l’efficacité des mesures de protection des données

  1. r) Utilisation de données agrégées

Lorsque cela est possible, privilégier l’utilisation de données agrégées plutôt que de données individuelles permet de réduire les risques pour la vie privée. Par exemple, en analysant des tendances à partir de données regroupées, les enquêteurs peuvent obtenir des informations précieuses sans compromettre les informations personnelles des individus

  1. s) Sensibilisation du public sur les droits en matière de données

Informer le public sur ses droits en matière de protection des données et sur les recours disponibles en cas de violation est essentiel. Cela renforce l’autonomisation des citoyens et leur capacité à défendre leur vie privée

  1. t) Mise en place de sanctions dissuasives

Établir des sanctions claires et dissuasives pour les violations des lois sur la protection des données peut contribuer à prévenir les abus. Les organismes responsables doivent être en mesure d’appliquer des mesures punitives pour assurer le respect des normes établies

  1. u) Innovation constante

Encourager l’innovation dans les méthodes de collecte et d’analyse des preuves numériques, tout en garantissant que ces innovations respectent les normes éthiques et les lois sur la protection des données. Cela permet de trouver des solutions efficaces tout en préservant les droits des individus

  1. v) Dialogue continu avec les experts en protection des données

Maintenir un dialogue régulier avec des experts en protection des données, des juristes et des techniciens peut aider à anticiper les défis futurs et à adapter les pratiques en conséquence. Cette collaboration peut fournir des conseils précieux sur les évolutions législatives et technologiques Ces points, pris ensemble, constituent un cadre complet visant à renforcer la fiabilité des preuves numériques tout en protégeant les données personnelles, garantissant ainsi une approche équilibrée entre justice et respect des droits fondamentaux.

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Sources :

  1. EUR-Lex – 62012CJ0131 – EN – EUR-Lex
  2. Kerviel, l’affaire devenue une série | Les Echos
  3. CURIA – Documents
  4. Affaire Dreyfus, un scandale d’État sous la IIIe République : un podcast à écouter en ligne | France Inter
  5. CURIA – Documents
  6. EUR-Lex – 62012CJ0131 – FR – EUR-Lex

Le droit de la preuve peut autoriser la présentation d’information qui sont normalement soumises à la protection du secret des affaires.

Dans un contexte économique mondial où la concurrence est de plus en plus féroce, la question de la protection des informations sensibles au sein des entreprises prend une importance cruciale. En effet, le secret des affaires joue un rôle fondamental pour préserver des atouts stratégiques, tels que des savoir-faire, des procédés de fabrication ou des données clients, qui, s’ils venaient à être divulgués, pourraient gravement compromettre la position d’une entreprise sur le marché.

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Cependant, cette nécessité de protection peut parfois se heurter à un autre principe tout aussi essentiel : le droit à la preuve, qui est au cœur des procédures judiciaires et du respect du procès équitable.

L’équilibre entre ces deux impératifs – la préservation du secret des affaires et le droit à la preuve – constitue un enjeu juridique majeur, particulièrement dans le cadre des litiges commerciaux. La jurisprudence contemporaine, notamment l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 février 2025 (pourvoi n° 23-10.953), vient éclairer les conditions dans lesquelles le droit à la preuve peut permettre la levée du secret des affaires. L’article L. 151-8, 3° du Code de commerce établit que le secret des affaires ne peut être opposé lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation de ces informations est justifiée par un intérêt légitime reconnu par la loi, qu’elle soit nationale ou européenne. Cette disposition souligne que, dans certaines circonstances, la nécessité de produire une preuve peut prévaloir sur la protection du secret, mais cela doit être soigneusement encadré.


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Cette tension entre la protection des informations confidentielles et le droit de chaque partie à faire valoir ses arguments devant un tribunal appelle à une analyse rigoureuse. Les juges sont appelés à examiner si la production d’une pièce protégée par le secret des affaires est réellement indispensable pour établir les faits allégués, comme dans les cas de concurrence déloyale, par exemple. Il incombe également aux juridictions d’évaluer si l’atteinte au secret est proportionnée à l’objectif poursuivi. Cette approche exige une attention minutieuse aux spécificités de chaque affaire, et il est essentiel de se rappeler que la simple nécessité de produire une preuve ne saurait justifier, à elle seule, la levée du secret des affaires. Les implications de cette problématique sont vastes et nécessitent une réflexion approfondie.

D’une part, les entreprises doivent naviguer entre leur besoin légitime de protéger leurs informations sensibles et leur obligation de se conformer aux procédures judiciaires.

D’autre part, les magistrats doivent veiller à rendre des décisions justes en respectant les droits des parties impliquées, tout en préservant l’intégrité du système judiciaire. Ce processus de mise en balance entre le droit à la preuve et la protection du secret des affaires s’avère complexe, mais il est indispensable pour garantir la transparence et la justice dans le cadre des litiges commerciaux. Dans cet article, nous nous attacherons à analyser plus en profondeur les implications de l’arrêt de la Cour de cassation précité, en considérant les conditions dans lesquelles le droit à la preuve peut justifier la levée du secret des affaires.

I. Fondements Historiques et Philosophiques

A. Genèse du Secret des Affaires : De l’Artisanat Médiéval à l’Industrie

  1. Les Corporations Médiévales

Les statuts des guildes, comme ceux des drapiers de Paris en 1268, imposaient le secret sous peine d’exclusion. Le savoir-faire, appelé « mystery » en anglais, était transmis oralement pour éviter la divulgation. Par exemple, les verriers de Murano à Venise, confinés sur une île au XVe siècle pour protéger leurs techniques, illustrent l’ancêtre du secret industriel.

  1. L’Ère Industrielle et la Naissance des Brevets

Le Statute of Monopolies anglais de 1623 marque un tournant en reconnaissant les brevets tout en laissant le secret comme alternative pour les innovations non brevetables. Un cas emblématique est celui de la recette secrète du Coca-Cola, jamais brevetée pour éviter la divulgation, et qui reste protégée depuis 137 ans.

  1. L’Influence des Révolutions Technologiques

Au XXe siècle, les procès sur les secrets industriels, comme celui de DuPont contre Rolfe Christopher en 1970 concernant la photographie aérienne d’usines, posent les bases du droit moderne.

B. Le Droit à la Preuve : Une Garantie de l’Équité Processuelle

  1. Des Origines Romaines à la CEDH

Le principe « actori incumbit probatio », issu du droit romain, structure les systèmes juridiques occidentaux. La CEDH, dans l’affaire Dombo Beheer contre Pays-Bas en 1993, érige le droit à la preuve en composante du procès équitable.

  1. La Philosophie sous-jacente

Pour Jürgen Habermas, dans sa « Théorie de l’agir communicationnel », la transparence judiciaire est un pilier de la démocratie délibérative. À l’inverse, Friedrich Hayek, dans « Droit, Législation et Liberté », souligne les risques d’une intrusion excessive de l’État dans les affaires privées.

II. Cadre Juridique Actuel : Droit Comparé et Harmonisation

A. Le Modèle Français : Un Équilibre Téléologique

  1. L’Article L. 151-8 du Code de Commerce

L’article L. 151-8 du Code de commerce dispose que le secret des affaires n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est nécessaire pour exercer un droit à réparation ou protéger un intérêt légitime.

  • La Cour de cassation, dans son arrêt du 5 février 2025 a partiellement annulé un arrêt de la cour d’appel de Paris dans un litige opposant des franchisés de pizzas. La Cour a confirmé que le guide d’évaluation des points de vente de Domino’s Pizza, marqué « confidentiel », était protégé par le secret des affaires, mais a cassé la condamnation à 30 000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral, estimant que la cour d’appel n’avait pas vérifié si la production de la pièce était strictement proportionnée et indispensable à la défense d’un intérêt légitime. (1)
  • L’arrêt du 23 novembre 2022 de la cour d’appel de Paris concerne une affaire de concurrence déloyale entre la société Agora, franchisée de Speed Rabbit Pizza, et la société Domino’s Pizza France. Agora a reproché à Domino’s et à sa filiale DPFC des pratiques déloyales, tandis que Domino’s a demandé des dommages et intérêts pour violation de son secret des affaires. La cour a jugé que le guide d’évaluation des points de vente, produit par Domino’s, était protégé par le secret des affaires. Cependant, elle a également condamné Agora et SRP à verser 30 000 euros à Domino’s pour préjudice moral. La Cour de cassation a ensuite annulé cette condamnation, estimant que la cour d’appel n’avait pas suffisamment examiné si la production du document était justifiée par un intérêt légitime et si l’atteinte au secret des affaires était proportionnée.
  1. Les Mesures Protectrices Innovantes

Des mesures comme les « Confidentiality Clubs », inspirés du droit anglo-saxon, permettent de limiter l’accès aux informations sensibles à un nombre restreint de personnes, comme dans l’affaire Safran contre Airbus. Les ordonnances de scellement, utilisées dans les litiges spatiaux comme Thales contre SpaceX, protègent les données après l’audience.

B. Le Modèle Américain : Primauté du Trade Secret Act

  1. Le Defend Trade Secrets Act (DTSA, 2016) Le DTSA permet des saisies ex parte de preuves en cas de risque de destruction. Un cas célèbre est celui de Waymo contre Uber en 2017, où des secrets sur les voitures autonomes ont été volés, résolu par un accord de 245 millions de dollars.

  2. La Doctrine du Inevitable Disclosure

Cette doctrine empêche un employé de rejoindre un concurrent si son savoir-faire rend la divulgation inévitable, comme dans l’affaire IBM contre Papermaster en 2008.

C. Le Modèle Allemand : Rigueur Procédurale

  1. Le Gesetz zum Schutz von Geschäftsgeheimnissen (2019) Cette loi exige une motivation détaillée des juges sur la nécessité de la divulgation. Par exemple, la BGH en 2024 a refusé de divulguer un procédé chimique, jugé non indispensable à la preuve d’une contrefaço
  2. D. Le Modèle Japonais : Approche Consensuelle

  3. Les Confidentiality Arbitrations Au lieu d’un procès public, les parties optent pour un arbitrage confidentiel, comme dans le litige Sony contre Panasonic sur les batteries lithium-ion en 2023.

 

III. Études de Cas Approfondies : Stratégies et Enseignements

A. Affaire Volkswagen c. Greenpeace

Dans cette affaire, Greenpeace a demandé l’accès à des rapports internes sur les émissions de CO2, invoquant l’intérêt public environnemental. La CJUE a autorisé la divulgation partielle, sous anonymisation des données techniques critiques, créant un précédent sur la supériorité de l’intérêt public en matière climatique.

B. Affaire Meta c. France

La France a ordonné à Meta de divulguer des algorithmes publicitaires suspectés de discrimination. La CEDH a validé la demande, estimant que la lutte contre les discriminations justifie une atteinte proportionnée. Les algorithmes ont été communiqués sous forme agrégée, sans révéler le code source.

D. Affaire Tesla c. Rivian

Dans cette affaire, Tesla a accusé Rivian de vol de secrets sur les batteries par d’anciens employés. Le tribunal a ordonné une forensic audit des serveurs de Rivian, sous supervision d’un tiers neutre, et a condamné Rivian à 1,2 milliard de dollars pour dommages punitifs.

IV. Défis Contemporains : Technologies et Globalisation

A. L’Intelligence Artificielle : Nouvelle Frontière du Secret

  1. Les Algorithmes Opaques

Les réseaux de neurones profonds sont par nature incompréhensibles. Dans l’affaire HealthAI contre MedTech, le juge a imposé une explicabilité partielle sans divulguer l’algorithme.

  1. L’Apprentissage Fédéré

Les données restent décentralisées, mais les modèles d’IA sont partagés. Dans l’affaire Google Health contre Mayo Clinic, un accord a été trouvé sur des modèles chiffrés accessibles uniquement via une API sécurisée.

B. La Blockchain : Transparence Irréversible vs. Confidentialité

  1. Les Smart Contracts

Un contrat automatisé sur blockchain Ethereum a révélé involontairement des clauses secrètes. Dans l’affaire CodeLaw contre ChainSecure, la divulgation accidentelle a entraîné la perte de protection.

  1. Les NFTs et la Propriété Intellectuelle

Un NFT inclut des éléments protégés par le secret, posant des problèmes de traçabilité et de responsabilité.

C. Le Métavers : Espace Virtuel, Enjeux Réels

  1. Vol de Secrets dans les Espaces Virtuels

Un avatar a espionné une réunion confidentielle dans le métavers MetaWorld, soulevant des questions sur la qualification du vol.

  1. Preuve Électronique et Authenticité

Il est essentiel de garantir l’intégrité des preuves issues du métavers, par exemple en utilisant des timbres blockchain.

V. Perspectives Doctrinales et Réformes

A. Débats Théoriques

  1. École Économique (Posner, Easterbrook)

Le secret doit être protégé comme un bien rival, car sa divulgation réduit sa valeur. Cependant, cette approche peut nuire à l’innovation cumulative, comme dans le cas des logiciels open-source.

  1. École Sociétale (Delmas-Marty, Supiot)

La transparence est un bien commun, et les exceptions au secret doivent être élargies, notamment dans les secteurs stratégiques comme le climat et la santé. Une proposition est de créer un droit à l’audit pour les ONG.

B. Projets de Réforme

  1. Un Registre Mondial des Secrets

Inspiré de l’OMPI, ce registre permettrait une déclaration encadrée sans divulgation, bien qu’il présente des risques de piratage et de centralisation des données sensibles.

  1. Des Cours Spécialisées en Propriété Immatérielle

Sur le modèle de l’Unified Patent Court européen, une juridiction dédiée aux secrets et preuves pourrait être créée.

  1. Législation sur l’IA Explicable

Il est proposé d’imposer des standards d’explicabilité, comme la norme ISO/IEC 24027, pour concilier transparence et protection.

Le droit à la preuve et le secret des affaires ne sont pas des antipodes, mais les deux faces d’une même médaille : celle d’un droit en constante adaptation aux défis de son temps. Les récentes évolutions jurisprudentielles, technologiques et géopolitiques appellent à une refondation équilibrée des principes, où la nécessité et la proportionnalité restent les boussoles du juge. Les innovations procédurales, comme les confidentiality clubs et les audits numériques, pallient les rigidités traditionnelles, tandis que la coopération internationale atténue les conflits de souveraineté. À l’aube de la décennie 2030, le droit est confronté à un impératif : protéger les secrets sans sacrifier la vérité, et garantir la preuve sans étouffer l’innovation. Comme l’écrivait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » – une maxime qui guide plus que jamais cet équilibre délicat.

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Sources :