27 Avr 2021
Selfie, réseaux sociaux et propriété intellectuelle
Le » selfie » représente la réalisation d’un autoportrait photographique avec l’aide d’un » smartphone « . Phénomène grandissant, il s’accompagne la grande majorité du temps de la publication de la photographie sur les réseaux sociaux. Cela pose des problèmes tant quant au droit à l’image que quant au droit d’auteur.
Le » selfie » consiste à se prendre en photo afin de réaliser un auto-portrait.
Il apparait dès le début du XXème siècle, où même la grande-duchesse Anastasia Nikolaïevna se prend en photo devant son miroir en 1914. Le » selfie » traversera le siècle jusqu’à exploser à l’ère d’Internet et des » smartphones « .
Aujourd’hui, c’est toute une économie qui se développe autour du seul » selfie « . Beaucoup de » start-up » californiennes en font l’élément central de leur succès. On connait l’exemple de l’application » Instagram « , réseau social promouvant le » selfie « , qui a été acheté au prix d’un milliard de dollars par le site Facebook
On comprend donc vite que le » selfie » pose des problèmes juridiques de différents ordres, et atteint particulièrement le droit à l’image, mais aussi la propriété intellectuelle. De plus, les interrogations sur le » selfie » sont ancrées dans l’actualité, non seulement car c’est un phénomène qui semble perdurer, mais car en plus le projet de loi » République Numérique » le prend en considération de manière directe ou détournée.
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I. Selfie et propriété intellectuelle
A. La question de l’auteur du selfie
Le Code de la Propriété Intellectuelle protège » toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (art. L.112-1). Le » selfie « , en tant que photographie, est protégé par sa simple originalité. L’article suivant insère dans la liste des oeuvres protégées les » oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie » (L.112-2).
Alors, si le » selfie » est une oeuvre, elle a un auteur .
Une première affaire célèbre date de 2011. Un singe avait volé l’appareil photo d’un photographe, et avait appuyé sur le déclencheur, se prenant en » selfie « . Se posait la question de savoir qui était l’auteur de la photographie : le singe ou le photographe ?
Olivier Pignatari, Docteur en droit et avocat, se pose la question de savoir quelle serait la solution en droit français dans son article » Le » selfie » d’un singe saisi par le droit « .
Le singe ne peut être l’auteur de la photo en France. En effet, la qualification d’ » oeuvre de l’esprit » suppose son » originalité « , l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Même en admettant qu’il en soit capable, il reviendrait au singe lui-même de rapporter la preuve de l’originalité de l’oeuvre.
D’autant plus, que la Cour d’appel américaine a été claire sur le sujet et prive le singe de tous droits de propriété intellectuelle, le macaque ne peut pas être l’auteur du selfie.
Les textes du Copyright Act ainsi que la jurisprudence en vigueur se référent exclusivement à des auteurs-personnes humaines. La solution qui a été retenue aurait été la même devant une juridiction française, qui considère que l’originalité implique la personnalité de son auteur, or les animaux sont dépourvus d’une personnalité juridique. Cette exigence d’une intervention humaine signifie ainsi que le selfie est dépourvu de droits de copyright/auteur, qui ne peuvent être revendiqués ni par le singe ni par le propriétaire de l’appareil photo.
Quant au photographe, la propriété de l’appareil photo ne lui confère pas la paternité de l’oeuvre. Il pourrait réclamer des indemnités car il reste cependant propriétaire de l’oeuvre.
On pourrait aussi se poser la question de la paternité du » selfie » pris aux Oscars en 2014. Une présentatrice de télévision américaine confia son téléphone à un acteur, qui prit une photo
L’arrêt » Painer » rendu en 2011 par la Cour de Justice de l’Union Européenne détermine l’originalité à travers plusieurs critères : le choix de la mise en scène, de la personne à photographier, le cadrage, l’angle de prise de vue … Ces critères peuvent s’appliquer tant à l’acteur qu’à la propriétaire du téléphone quant au » selfie » des Oscars. Cette affaire montre bien la complexité nouvelle qu’apporte les » selfies » dans le droit.
B. » Selfie » et immeubles protégés
Les nouveaux réseaux sociaux comme » Instagram » se développent autour de la photographie, mais surtout autour du » selfie « . La nouvelle mode est de poster des auto-portraits dans diverses situations, divers endroits sur ces plateformes.
Cependant, les photographies peuvent être prises devant des immeubles, considérés comme des oeuvres protégées par le droit d’auteur. L’article L.112-2 du CPI protège en effet les » Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences « , donc les immeubles. Aussi, le droit d’auteur protège l’oeuvre pendant toute la vie de l’auteur, et pendant 70 ans après sa mort (L.123-1 CPI).
Certaines de nos plus célèbres constructions, comme la Philharmonie de Paris, ne sont pas encore dans le domaine public. Dès lors, chaque utilisation publique de l’oeuvre est censée être soumise à autorisation de l’auteur. La plupart des touristes qui se prennent en photo devant ces bâtiments datant du début du XXème siècle sont donc considérés par le droit français comme des contrefacteurs.
Sur ce point, le droit français parait tout à fait anachronique, et assez peu efficace. C’est pourquoi le projet de loi » République Numérique » cherche à introduire la » Liberté de Panorama » permettant de reproduire sur internet une oeuvre se situant dans l’espace public. Cependant cette loi précise que l’usage doit être à but » non-lucratif « .
Devant la complexité de la mise en oeuvre d’une telle législation, la Cour Suprême américaine a adopté la doctrine du » Fair Use » qui ne sanctionne pas la publication de la photographie d’une oeuvre sur les réseaux sociaux, considérant que la publication n’est pas à but commercial. Il semble évident que la Cour de cassation l’imitera.
II. » Selfies » et droit à l’image
A. » Selfies » de groupe et consentement au droit à l’image
Le » selfie » est une photographie, il est donc naturellement protégé par le droit à l’image .
Le droit à l’image découle de l’article 9 du Code civil, qui fonde le droit à la vie privée, et est consacré à l’article 226-1 du Code Pénal.
Quand une pluralité de personne apparait sur la photo – ou » selfie de groupe » – la question mérite du droit à l’image se pose. Il faut en effet le consentement de chaque personne du groupe pour publier la photographie sur Internet.
Le consentement est tacite pour le droit à l’image. Cependant, ce consentement s’étend t-il à la publication de l’image sur les réseaux sociaux ? Ces deux droits sont distincts, et donc les consentements aussi.
Encore une fois, ici il y a peu de contentieux. Le » selfie » implique souvent autant la prise de la photographie que sa publication sur les réseaux sociaux, et donc le consentement est tacite. De plus, le » selfie » est souvent réalisé avec des proches, et donc si le consentement n’était pas tacite, le problème sera la plupart du temps réglé à l’amiable. La seconde personne dispose néanmoins de son droit à l’image et pourrait s’en prévaloir devant un juge, il est donc recommandé de demander l’autorisation de poster le » selfie » de groupe à chacun des individus présent sur la dite photographie.
Bien que de ce principe est né la jurisprudence sur le Revenge Porn, qui est le fait de rendre publiques des images intimes d’un partenaire, obtenues initialement pour son seul usage personnel avec le consentement de la personne représentée, puis rendues publiques aux fins de nuire à celle-ci, généralement à la suite d’une séparation. Bien que l’action sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal a été condamnée par l’arrêt de 2016, cela a permis l’introduction dans le Code pénal de l’article 226-2-1 condamnant une telle pratique. Une décision du TGI de Bobigny du 20 novembre 2018 avait également retenu que le revenge porn était une atteinte à la vie privée.
B. » Selfies » et image de marque
La marque , elle aussi, est une propriété intellectuelle. Selon l’article L.711-1 du CPI, elle est » un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale « . Elle comprend donc autant les signes figuratifs (logos …), que les mots (nom de la marque …).
Une marque peut dès lors être représentée dans un » selfie « , par son logo ou son nom, sur le fondement du droit à l’image peut demander réparation si ce » selfie » porte préjudice à la marque.
Cependant, une des principales limites au droit des marques est l’utilisation de la marque sans son accord quand c’est dans un but » non commercial « . La Cour de Justice de l’Union Européenne précise avec l’expression » lorsque ce n’est pas dans la vie des affaires « .
Ainsi, de la même façon que pour les immeubles, il semble évident que les » selfies » postées sur les réseaux sociaux comportant une marque pourront être publiées sans l’autorisation de la marque car la doctrine du Fair Use américain considère que ça n’est pas un usage commercial, et que dans le cas des marques, la Cour de cassation a déjà reconnu pour des associations comme Greenpeace utilisant l’image de marque d’entreprises pour une campagne publicitaire de sensibilisation que ça n’était pas un usage commercial.
Sources :
– http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/poster-un-selfie-devant-la-tour-eiffel-illuminee-est-illegal_1779362.html
– Olivier Pignatari, » Le » selfie » d’un singe saisi par le droit « , 2014
– http://www.dreyfus.fr/nouvelles-technologies/le-casse-tete-juridique-du-selfie/
– Le Figaro Madame 2015, Article » Selfie
– Northen District of California Naruto et al. v. Slater et al., case No. 15-cv-04324-WHO, 28 janv. 2016 et United States Court Of Appeals For The Ninth Circuit 23 avril 2018.
– TGI de Bobigny, ch.5/sec.3, jugement contentieux du 20 novembre 2018
https://www.legalis.net/jurisprudences/tgi-de-bobigny-ch-5sec-3-jugement-contentieux-du-20-novembre-2018/