2 Juil 2025
Fin des appels intempestifs : la révolution du consentement téléphonique
C’est une scène que chacun connaît trop bien. En plein repas, entre deux réunions ou au milieu d’un moment de détente, le téléphone sonne. Un numéro inconnu s’affiche, souvent local, parfois masqué.
Au bout du fil, une voix enjouée, souvent scriptée, vous propose de changer d’opérateur, d’isoler vos combles, ou de profiter d’une offre « exceptionnelle » sur vos factures d’énergie.
D’abord agacé, on répond poliment, puis on raccroche sèchement, ou on laisse sonner dans le vide. Mais rien n’y fait : les appels reviennent, encore et encore. Ce fléau, familier à des millions de Français, ne relève pas de la simple nuisance passagère. Il est devenu, au fil des ans, un véritable problème de société.
D’après des chiffres récents relayés par l’UFC-Que Choisir, pas moins de 97 % des Français ont déjà été confrontés au démarchage téléphonique. Une moyenne de six appels par semaine, tous secteurs confondus, est désormais la norme. Ces sollicitations sont particulièrement intrusives, et lorsqu’elles visent des publics vulnérables – personnes âgées, isolées, mal informées – elles peuvent avoir des conséquences graves, allant de la signature de contrats non désirés jusqu’à des escroqueries aux sommes parfois considérables.
Face à l’inefficacité des mécanismes existants – au premier rang desquels Bloctel, censé limiter les appels commerciaux mais dont le fonctionnement s’est révélé largement défaillant – le législateur a fini par trancher. Le 21 mai 2025, le Parlement français a adopté définitivement une nouvelle loi qui interdit le démarchage téléphonique sans consentement préalable. Ce changement de paradigme marque une véritable révolution juridique et philosophique : désormais, les entreprises ne pourront contacter un particulier que si ce dernier a expressément donné son accord. Fini le modèle du opt-out, où l’usager devait se signaler pour ne pas être dérangé ; place au opt-in, où le silence ne vaut plus acceptation.
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Cette loi, intégrée à une proposition de loi plus large visant à lutter contre les fraudes aux aides publiques, cible prioritairement certains secteurs particulièrement exposés aux dérives, comme la rénovation énergétique. Ce domaine a concentré de nombreux abus ces dernières années, entre entreprises fantômes, démarchage agressif et contrats signés dans la confusion, avec parfois des conséquences financières et juridiques dramatiques pour les consommateurs.
Mais cette avancée législative, dont l’entrée en vigueur est prévue pour août 2026, ne fait pas disparaître tous les obstacles.
Le texte laisse aux professionnels du secteur un temps d’adaptation, mais il ouvre aussi la voie à de nouveaux défis : comment s’assurer du respect de cette obligation de consentement ? Quid des numéros étrangers, des centres d’appels délocalisés, ou des escrocs qui évoluent en marge de toute légalité ? La loi suffira-t-elle à elle seule à garantir la fin des appels indésirables, ou faudra-t-il également miser sur des outils technologiques, une coopération renforcée entre autorités, et une vigilance collective accrue ?
L’intelligence artificielle, l’analyse comportementale des appels, le partage de données entre opérateurs et plateformes de régulation figurent parmi les solutions techniques envisagées. Mais derrière cette mutation, c’est aussi une nouvelle conception de la relation commerciale qui se dessine : une communication respectueuse, fondée sur le libre choix du consommateur, et non sur l’intrusion ou la pression.
Le démarchage téléphonique, longtemps toléré, parfois encadré mais rarement maîtrisé, arrive-t-il enfin à son crépuscule ? Cette réforme ambitieuse, fruit de nombreuses années de débat, pourrait bien constituer un tournant décisif. Reste à savoir si elle parviendra à réconcilier les citoyens avec leur téléphone.
Dans les lignes qui suivent, nous analyserons les racines profondes de ce fléau, le contenu et les ambitions de la nouvelle loi, ainsi que les défis – techniques, juridiques et sociaux – que pose sa mise en œuvre.
I. Le démarchage téléphonique : un fléau à l’origine d’un renforcement législatif sans précédent
A. L’échec des dispositifs historiques
Le démarchage intrusif n’est pas un phénomène nouveau. Dès 2014, la loi Hamon instaurait le principe du *opt-out* via la plateforme Bloctel, permettant aux consommateurs de s’inscrire sur une liste d’opposition. Pourtant, avec seulement 5,6 millions d’inscrits (sur 67 millions de numéros en France), son impact fut limité.
Les fraudeurs contournaient facilement le système en utilisant des fichiers illégaux ou en multipliant les sociétés écrans. La loi Naeglen (2020) tenta de durcir le cadre en interdisant le démarchage dans des secteurs sensibles (rénovation énergétique, formation) et en encadrant les horaires (10h-13h et 14h-20h en semaine). Malgré cela, les appels indésirables persistaient, alimentés par l’explosion des fraudes aux aides publiques, notamment via les certificats d’économie d’énergie (CEE) .
B. La loi de 2025 : une révolution du consentement
La nouvelle législation, adoptée le 21 mai 2025, inverse radicalement la logique : le consentement préalable devient la règle. Les entreprises devront prouver que le consommateur a manifesté son accord de manière « libre, spécifique, éclairée, univoque et révocable » – par exemple via une case à cocher active (non pré-remplie) .
Seule exception : « l’exception client », autorisant les appels liés à un contrat en cours (ex. : un opérateur proposant une mise à jour de forfait) .
Le texte renforce aussi la répression :
– Sanctions pénales : Jusqu’à 5 ans de prison et 500 000 € d’amende pour abus de faiblesse.
– Amendes administratives : Jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires pour les entreprises récidivistes.
– Interdiction sectorielle : La prospection électronique (SMS, réseaux sociaux) est prohibée dans la rénovation énergétique, un secteur miné par les arnaques.
C. Les limites persistantes
Malgré ces avancées, des failles subsistent. Comme le souligne Hélène Lebon, avocate spécialisée : * »Les fraudeurs se fichent des textes.
La clé est dans l’application des lois existantes »* .
La traçabilité des fichiers reste problématique : les entreprises achètent souvent des listes de numéros « en bonne foi », sans vérifier leur légalité .
Par ailleurs, l’impact économique inquiète : 29 000 à 40 000 emplois dans les centres d’appels pourraient être menacés . Enfin, les escrocs innovent déjà via des numéros en 06/07 ou des messageries cryptées (WhatsApp), échappant ainsi aux contrôles .
II. Technologie et régulation : une alliance vitale pour l’efficacité de la loi
A. L’IA en première ligne
Pour contrer les appels frauduleux, les opérateurs déploient des solutions d’intelligence artificielle :
– Filtres antispam : Dès août 2026, les SMS commerciaux non désirés pourront être bloqués via des algorithmes, comme c’est déjà le cas pour les emails.
– Analyse vocale : L’IA détecte les fraudes en temps réel en analysant l’ondulation de la voix, le débit ou les mots-clés (ex. : « Caisse d’Assurance-maladie » pour les arnaques type « faux remboursements ») .
– Authentification des appels : La loi Naeglen a imposé un dispositif d’authentification (STIR/SHAKEN), obligeant les opérateurs à interrompre les appels non certifiés .
B. Le rôle clé des régulateurs
La loi de 2025 facilite le partage d’informations entre la DGCCRF, la CNIL et l’Arcep.
Cette synergie permet :
– Une identification rapide des fraudeurs via la mutualisation des données.
– Des campagnes préventives sur les fuites de données (ex. : alerte si un numéro est vendu sur le dark web).
– La suspension des aides publiques en cas de soupçon de fraude (ex. : dans la rénovation énergétique) .
C. Adaptation ou disparition ?
Face à ces contraintes, les entreprises légitimes se réinventent :
– Reconversion vers le *inbound marketing* (répondre aux demandes clients) ou les chatbots.
– Responsabilisation des intermédiaires : vérification systématique des fichiers achetés. – Innovation consentie : Prospection ciblée via des questionnaires en ligne, où le consommateur choisit ses préférences de contact .
La loi de 2025 marque un tournant historique, mais son succès dépendra de trois piliers : l’application rigoureuse des sanctions (dès 2026), l’efficacité technologique (IA et coordination des régulateurs) et l’évolution des pratiques commerciales. Si les consommateurs peuvent espérer une réduction des appels indésirables, la vigilance reste de mise face à des fraudeurs toujours ingénieux. Comme le résume Pierre-Jean Verzelen, sénateur à l’origine du texte : * »Il faudra taper fort et vite.
En Allemagne, une loi similaire n’a été efficace qu’après deux ans de sanctions effectives »* . La tranquillité téléphonique est à ce prix.
Chiffres clés à retenir :
- 97 % des Français agacés par le démarchage.
- 6 appels non désirés reçus en moyenne par semaine.
- Août 2026 : entrée en vigueur de l’interdiction.
- 500 000 € : amende maximale pour abus de faiblesse.
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Sources :
- La proposition de loi interdisant le démarchage téléphonique non consenti adoptée par le Parlement – ici
- L’interdiction du démarchage téléphonique non consenti adoptée par le Parlement – Le Club des Juristes
- Une nouvelle loi interdit le démarchage téléphonique non consenti – Next
- « Les Français ne pourront plus être dérangés » : le démarchage téléphonique subi, c’est bientôt fini – Le Parisien
- Démarchage téléphonique : le Parlement a définitivement voté le texte interdisant le démarchage à partir d’août 2026 | LCP – Assemblée nationale
- Loi contre le démarchage téléphonique : qu’est ce qui va changer au bout du fil ?