Nouveau délit de consultation des sites djihadistes

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En juin 2016 a été votée une loi qui crée un délit de consultation régulière des sites djihadistes.

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Elle s’applique de façon générale, à l’exception de certains corps de métiers comme les journalistes et les enquêteurs.

La consultation doit être régulière, habituelle. Une consultation unique, semblerait-il, n’entre donc pas dans le champ d’application de la loi. Les sites délictueux sont, eux, définis comme  » ceux qui soit incitent à la commission d’acte terroriste, soit ceux qui font l’apologie du terrorisme   et des actes terroristes « . Il est puni de 30 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement.

Ce délit a fait l’objet d’un long débat politique. Il avait d’ailleurs été proposé dès 2012 suite à l’affaire Merah. Ce projet néanmoins n’avait pas abouti, le conseil d’État le censurant, car elle craignait qu’il soit attentatoire aux libertés. Le syndicat de la magistrature, par ailleurs, avait adhéré à la position du conseil.

Un délit de cette sorte est une première en Europe.


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Une fois le cadre légal explicité (I.), la question qui se pose est son utilité : n’est-il qu’un texte à but politique et non à but d’efficacité (II.) ?

I. Le cadre légal du délit de consultation habituelle de sites djihadistes

Le champ d’application du délit, tel qu’il a été adopté en juin 2016, est nécessairement strict (A.). Pourtant, le conseil d’Etat l’avait considéré comme liberticide en 2012 (B.).

 A. Le champ d’application du délit

La loi de réforme pénale du 5 juin 2016 a introduit un nouvel article 421-2-5-2 dans le Code pénal . Il dispose que  » Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. « .

Il couvre ainsi plus que les sites internet : les applications téléphoniques  sont aussi visées.

La consultation est dite  » habituelle « , cependant la notion n’est pas précisée. Une connexion esseulée ne rentre pas dans le champ d’application de l’article, cependant, celui-ci ne précise pas à quel seuil de connexion, en durée et en quantité, elles deviennent habituelles.

Les sites délictueux, eux, sont définis comme étant ceux qui  » soit incitent à la commission d’acte terroriste, soit ceux qui font l’apologie du terrorisme et des actes terroristes « . Ce délit est puni de deux ans d’emprisonnement ainsi que de 30 000 euros d’amende au maximum.

Le second paragraphe de l’article fait la liste des dérogations :  » Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. « .

On en conclut que journaliste, chercheurs et enquêteurs sont réputés de bonne foi, à défaut de tous les autres qui sont ainsi de mauvaise foi. C’est d’ailleurs l’un des principaux motifs de contestation.

 B. Une légalité contestée

Dès 2012, le conseil d’État avait fermement considéré que ce texte était attentatoire aux libertés, et plus spécifiquement à la liberté de communication. Par ailleurs, cette atteinte n’était pas  » nécessaire, proportionnée et adaptée à l’objectif de lutte contre le terrorisme « .

La liberté de communication a valeur constitutionnelle. Elle apparait à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, et celle-ci fait partie du bloc de constitutionnalité. Il dispose que  » La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi « . Par ailleurs, le Conseil constitutionnel avait précisé dans une décision du 3 mars 2009 que  »  eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services « .

La Convention européenne des Droits de l’Homme consacre aussi ce principe dans son article 10 , qui dispose que  »  Toute personne a droit à la liberté d’expression

Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (…) L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire « .

Internet fait donc partie intégrante de la liberté de communication telle qu’elle est interprétée en Europe. Cependant, pour plusieurs raisons, elle peut être limitée dans son application. Le conseil d’État, dans sa décision de 2012, applique cependant le principe de proportionnalité et estime que l’incrimination d’un individu pour une simple consultation d’un site djihadiste était disproportionné à l’objectif de lutte contre le terrorisme, et n’est donc pas une raison valable pour déroger à la liberté de communication. De plus, un autre texte préexistant étant similaire, le conseil d’État a estimé qu’un autre moyen existait déjà pour remplir cet objectif.

Ce texte, déjà contesté, fait aujourd’hui l’objet d’une QPC depuis le 14 septembre.

II. Un texte à résonance politique

On a vu que ce texte, depuis 2012, était un serpent de mer politique. Ce texte semble néanmoins difficilement applicable (A.), et dès lors être un texte qui vise seulement à être dissuasif (B.).

 A. Un texte difficilement applicable

Ce texte connait des lacunes dans sa rédaction.
Tout d’abord, aucune indication n’est donnée quant aux sites internet faisant  » l’apologie du terrorisme « . Il en va de même pour les applications ou les groupes de discussions concernés. Cependant, il va de soi qu’établir une telle liste est compliqué voir impossible. En effet, le propre d’internet est sa capacité d’évolution, ainsi supprimer un site pourrait en faire naitre 2.

Un autre point est le fait qu’un internaute assez compétent peut non seulement anonymiser ses connexions, le rendant indétectable (c’est par exemple le principe de l’application Telegram). Pire, il peut usurperl’adresse IP d’un autre internaute, et c’est ce dernier qui serait alors inculpé et présumé terroriste.

Ce texte, qui est ainsi si difficile dans son application, semble servir un but plus politique que juridique ou répressif.

B. Un texte de à vocation dissuasive

On l’a rappelé, ce texte est un serpent de mer de la politique depuis 2012. Chaque année, il a été proposé dans différents projets de loi avant son adoption en juin 2016, sûrement à cause de la multiplication des attentats en France depuis 2015.

Seulement, un tel délit existait déjà lorsqu’il était fait  » en lien avec une entreprise terroriste « . C’est-à-dire que, lorsqu’un individu faisait déjà l’objet d’une surveillance pour radicalisation par exemple, et qu’il visitait régulièrement tels sites internet, il pouvait être inculpé. Seulement, la sorte de présomption de culpabilité n’existait pas : le lien avec le terrorisme devait être établi avant le délit de consultation.

Ainsi, ce texte visant une population plus large, est-il adapté aux besoins sécuritaires actuels ou est-il redondant avec le précédent ?

Le terrorisme, on le sait, a muté. Aujourd’hui, nombre d’aspirants au djihad se radicalisent par eux-mêmes sur internet. C’est sûrement ces individus qui sont visés par le texte. Cependant, on l’a vu, ce texte sera très probablement au moins modifié par le Conseil constitutionnel, et les hommes politiques qui l’ont façonné le savent pertinemment.

Dès lors, il apparait que ce texte ne sert qu’un dessein politique et cherche à provoquer un effet d’annonce, plutôt qu’une véritable volonté de lutte effective contre le terrorisme.

Toutefois, cette loi fut l’objet d’une QPC, si bien que le 10 février 2017, on s’est interrogé sur la constitutionnalité du délit de « consultation habituelle » de site criminel, prévu à l’article 421-2-5-2 du Code pénal. Cette infraction a pour élément matériel, un fait qui n’est pas susceptible de causer seul, une atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. En effet, ce texte permettait la répression d’un fait en amont et donc d’anticiper le processus de radicalisation, le but de la loi était donc de prévenir. Cet article est devenu le symbole de cette loi de 2016, une législation d’anticipation du terrorisme.

Cependant, le Conseil Constitutionnel a décidé d’appliquer le principe de l’économie des moyens, et va statuer sur la liberté de communication. En ce sens, elle déclare qu’il y a une absence de nécessité et de proportionnalité de l’atteinte portée à la liberté de communication, alors qu’il existait déjà des moyens pour sanctionner de tels actes, telle que l’association de malfaiteurs. Le Conseil Constitutionnel considère ainsi que le législateur a par cette loi, excédé dans son pouvoir de prévention, au point de porter atteinte à la liberté de penser de l’internaute, bien qu’il n’y ait aucune expression public ou acte matériel dangereux.

Ainsi, le Conseil Constitutionnel va conclure que « les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L’article 421-2-5-2 du Code pénal doit donc, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution ». L’article 421-2-5-2 du Code pénal est déclaré inconstitutionnel.

Toutefois malgré cette censure, la loi va être rétablie par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Cependant, le 15 décembre 2017, cette loi fut de nouveau l’objet d’une QPC. La Conseil Constitutionnel considère que les dispositions qui ont été ajoutées par le législateur, pour palier à la décision de février, ne suffisent pas à ce que la loi ne soit pas qualifiée d’inconstitutionnelle. La nouvelle loi réprime « le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, sans que soit retenue l’intention terroriste de l’auteur de la consultation comme élément constitutif de l’infraction ». La décision retient, par conséquent, « une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ». Par conséquent, depuis ces deux décisions du Conseil Constitutionnel, l’article 421-2-5-2 du Code pénal a été abrogé.

Pour lire uneversion plus complète de cet article sur la loi sur le terrorisme, cliquez

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032627231&categorieLien=id

http://arianeinternet.conseil-etat.fr/consiliaweb/avisadm/386618_20120405.pdf
http://information.tv5monde.com/info/le-crime-de-lecture-de-site-internet-ete-vote-sera-t-il-applicable-118665

http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/09/16/le-delit-de-consultation-de-sites-terroristes-sous-la-menace-du-conseil-constitutionnel_4999030_4408996.html

– http://www.lexinter.net/JF/liberte_de_communication_et_d’expression.htm

– Conseil Constitutionnel 10 février 2017 n° 2016-611-QPC
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000034027044

– LOI n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000034107680/2017-03-02/

– Conseil Constitutionnel 15 décembre 2017 n° 2017-682-QPC
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000036210363

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