Compétence du tribunal civil français dans les litiges sur internet

Vivant en dehors de la France, pouvez-vous faire un procès en France contre un site internet dans une autre langue que le français, si ce site vous attaque au niveau de la vie privée, ou si les produits ou services que vous vendez y sont contrefaits ?

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Avec l’essor d’Internet, et au vu de la place prépondérante qu’occupent les nouvelles technologies dans notre quotidien, la question se pose.

C’est l’exemple d’un site internet étranger, diffusant des photos de vous à votre insu, et portant de fait atteinte à votre dignité. De même, un site étranger peut divulguer des informations relatives à votre vie privée, vous causant par la même un préjudice conséquent.

Un site étranger peut également porter atteinte à d’autres droits, comme ceux liés à la protection accordée par le droit d’auteur : c’est l’exemple du site qui référence des produits contrefaits à votre insu, ou bien dénigre délibérément votre marque ou vos produits.

Face à ces atteintes, tous les droits nationaux ne prévoient pas le même degré de protection. De fait, il pourra être intéressant pour les victimes de venir chercher réparation devant les juridictions françaises, en application de la loi nationale, même si ces dernières ne sont pas françaises.


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La question de la compétence du tribunal français en matière de litige sur Internet se pose donc. Tout l’intérêt, dans le cadre d’un préjudice subi par un ressortissant étranger et découlant d’un site étranger, est d’éviter que les juridictions des États en lien avec un litige se trouvent à la fois compétentes à statuer.

Il est important de noter que cette question se pose ici au regard des juridictions civiles uniquement. En effet, le juge pénal rappelé, dans un arrêt récent du 12 juillet 2016 (Cass. Crim.), que le critère d’accessibilité, au cœur de notre étude, ne pouvait constituer à lui seul un critère suffisant pour saisir les juridictions pénales et qu’il était nécessaire qu’existe un lien de rattachement quelconque entre les propos et le territoire.

Les règles issues d’un tel cadre juridique trouvent différentes interprétations selon les juridictions. C’est ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), mais aussi plusieurs juridictions internes françaises se sont penchées sur la question de la compétence du tribunal français en matière de vie privée ou de contrefaçon, quand le site attaqué n’est pas français et que le plaignant n’est pas français.

À ce sujet, il faut comprendre que le critère de l’accessibilité a été longuement débattu, et il est important de noter que cette question se pose, dans le cadre de notre étude, au regard des juridictions civiles uniquement. En effet, le juge pénal rappelé, dans un arrêt récent du 12 juillet 2016 (Cass. Crim.), que le critère d’accessibilité ne pouvait constituer à lui seul un critère suffisant pour saisir les juridictions pénales et qu’il était nécessaire qu’existe un lien de rattachement quelconque entre les propos et le territoire.

Au civil donc, les juridictions françaises ont finalement approuvé la compétence du tribunal français en matière de vie privée ou de contrefaçon, quand le site attaqué n’est pas français et que le plaignant n’est pas français, sur le fondement du critère d’accessibilité (I). Ceci étant, on peut s’interroger sur la manière dont cette adoption, tout en favorisant la protection des victimes de ce type de préjudice découlant d’un site Internet étranger, vient réagencer les règles de droit établies en la matière (II).

I. L’accessibilité définit la compétence des tribunaux civils français

La jurisprudence Martinez marque le retour du critère d’accessibilité dans le cadre de la compétence des juridictions internes en la matière (A). De plus, la CJUE a également élargi le champ d’application d’une telle interprétation à d’autres supports (B).

A) L’élargissement des critères

La particularité de l’arrêt du 25 octobre 2011 « eDate Advertising & Martinez » rendu par la CJUE est qu’il affirme que le critère de « territorialité » du dommage s’amincit au regard des possibilités qu’offre Internet  et que dès lors, il est pertinent de s’appuyer sur d’autres critères : ceux de l’accessibilité et du centre des intérêts.

La CJUE s’écarte donc du seul critère de la jurisprudence Fiona Shevill du 7 mars 1995  de la « matérialisation du dommage » pour délimiter la compétence des juridictions.

A contrario, elle réhabilite le critère d’accessibilité du site en question, en soutenant expressément que « la compétence optionnelle au lieu du dommage, prévue par la jurisprudence Shevill et reconduite en matière d’Internet, doit s’entendre comme visant le pays d’accessibilité du site ».
Le critère de l’accessibilité a été réutilisé dans un arrêt du 6 mars 2018, dans le cas on traitait de la compétence des juridictions françaises pour des propos injurieux envers un ressortissant britannique habitant à Monaco, tenus sur internet. La Cour dispose que le seul fait que le site soit accessible depuis le territoire français ne suffit pas à rendre les juridictions françaises compétences, il faut une véritable orientation du site vers le public français. De plus, la Cour retient que la notoriété retenue par les intéressés, est limitée au domaine des affaires, ce qui serait insuffisant pour justifier la compétence des juridictions françaises.

Au contraire, la Cour de cassation va retenir la compétence des juridictions françaises dans un arrêt du 19 juin 2019, grâce aux critères de rattachement au territoire français. En effet, le site précise qu’il s’intéresse au « rassemblement de tous les laïques et les Républicains voulant défendre en France, en Europe et dans le monde ce principe émancipateur », le public français était donc bien visé par ce site, le site est donc accessible pour le public français.

La saisine des juridictions d’un État membre sera ouverte, dans ces conditions, à un ressortissant étranger du fait d’un préjudice causé par un site étranger, si de tels rattachements peuvent être établis.

B) La généralisation de ces critères aux autres atteintes

La jurisprudence Fiona Shevill trouvait à s’appliquer dans le cadre d’une « diffamation internationale par voie de presse ».

Par la suite, plusieurs arrêts ont suivi cette tendance. Le critère du centre des intérêts fut repris par le Tribunal de grande Instance (« TGI ») de Nanterre, le 25 octobre 2012 , au sujet de la violation de la vie privée  de l’actrice Marion Cotillard par un journal belge après la diffusion de photos privées.

De même, le TGI de Paris s’est reconnu compétent, par décision en date du 14 janvier 2016, pour statuer quant à la contrefaçon  d’une marque française sur un site italien, dès lors que le site était disponible « dans une version traduite en français », mettant de fait en jeu le critère d’accessibilité en France précédemment dégagé.

La CJUE a elle aussi directement mis en application les critères qu’elle a su dégager, dans un arrêt du 3 octobre 2013  en matière d’atteinte au droit d’auteur.

C’est donc tout type d’atteintes à un droit privatif qui pourra être sanctionné si le critère dégagé par la jurisprudence Martinez peut être établi.
La Cour de cassation a également affirmé dans un arrêt du 20 août 2018 que toutes infractions liées à la cybercriminalité au sens strict entrent dans la compétence du tribunal judiciaire de Paris. Le tribunal correctionnel de Paris et sa cour d’assise ont une compétence concurrente nationale en matière d’atteinte aux systèmes de traitements automatisés de données et pour le crime de sabotage informatique, prévu aux articles 323-2 et suivants du Code pénal.

 

II. Compétence des juridictions françaises et impact sur les règles de droit international

Le sens commun de ces décisions offre une protection plus efficace au regard de l’utilisation d’Internet (A). Ceci étant, la question se pose des conséquences au regard des normes applicables en la matière (B).

A) Une tendance jurisprudentielle favorable à la protection des droits privatifs

Ces différents critères viennent successivement répondre à des litiges ayant le même fondement : celui du préjudice causé par un média étranger.

L’article 14 de la Convention européenne  interdit le traitement différent de situations comparables, sauf justifications objectives et raisonnables. Le critère de l’accessibilité permet de traiter pareillement des atteintes similaires, qu’elles se matérialisent par voie de presse ou par Internet.

Le droit au respect de la vie privée, assuré par l’article 8 de la Convention européenne, sera donc garanti ici de manière uniforme, aussi bien donc pour les ressortissants nationaux qu’étrangers, et aussi bien aux regards de sites nationaux qu’étrangers.

Internet ne doit pas être une zone « de non-droit », et la CJUE semble agir en ce sens. Le droit international privé ne peut constituer « un refuge » permettant d’échapper aux règles nationales applicables en la matière.

Il faut comprendre qu’une telle adaptation des normes applicables soutient le choix d’une protection renforcée du demandeur. Nécessairement, ce choix implique donc un certain réagencement des règles en la matière, notamment au regard du droit international.

B) Une tendance jurisprudentielle remaniant l’agencement des règles de droit applicables

Pendant de nombreuses années, le juge français appliquait le critère de l’accessibilité pour reconnaître la compétence des juridictions françaises dès lors que le site en question était accessible en France (TGI Nanterre « Payline », 13 octobre 1997 & TGI Paris « Yahoo! », 20 novembre 2000).

Les juges européens avaient par la suite décidé de modérer l’emploi d’un tel critère en le subordonnant à certaines conditions, précisant que l’accessibilité du site en France ne suffisait pas à caractériser, seul, la contrefaçon sur Internet (CJUE, eBay c/L’Oréal, 12 juillet 2011) – l’arrêt Martinez est venu réaffirmer assez fortement l’assise d’un tel critère.

Aujourd’hui, la plupart des sites ayant vocation à s’exporter sont traduits dans plusieurs langues. De plus, certains outils y intègrent désormais une traduction automatique des sites étrangers.

De fait, le critère de l’accessibilité est un outil qui permet, sans aucun doute, d’établir la compétence des juridictions françaises en la matière.

Le choix du juge européen, ici, est de favoriser la compétence des juridictions nationales. On comprend donc que, de l’aveu-même de l’instance supranationale, les critères dégagés sont les normes qui désormais régissent d’éventuels conflits de juridiction dans ce cadre.

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Sources

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